Semaine 38

  • Roch Hachana
Editorial

Au commencement

Lorsque Roch Hachana revient, ce n’est pas que d’entrée dans un nouveau cycle annuel qu’il s’agit. Ce n’est pas non plus simplement la première des grandes fêtes d’automne. Certes, ces définitions rapides sont également exactes et elles imprègnent notre conscience. Cependant, ce jour-là dépasse aussi largement de telles considérations, toutes importantes soient-elles. A chaque Roch Hachana, est-il enseigné, c’est une lumière nouvelle qui descend dans ce monde, une lumière spirituelle qui n’était, jusque-là, jamais parvenue jusqu’à nous, d’une élévation qu’aucun mot ne peut décrire. C’est-à-dire que nous entrons, à présent, dans un monde radicalement nouveau.
L’idée est loin d’être neutre; On aurait, en effet, pu croire que l’univers qui nous entoure ne change jamais de manière qui nous concerne directement. On aurait pu imaginer que, modelés par notre environnement immédiat, nous sommes, par nature, incapables d’en sortir et que nous sommes condamnés à reproduire les actions qui font le tissu de notre quotidien. Voici que Roch Hachana nous rappelle que, bien au contraire, nous entrons sur une terre nouvelle car D.ieu nous donne, une nouvelle fois, la vie dans un acte de bonté créatrice.
C’est à un tel moment que le Choffar retentit. Simple corne de bélier, dont les sonorités sont aussi éloignées des subtiles harmonies que la sincérité du cœur l’est de l’artifice des sophistications, il fait entendre son cri le jour de Roch Hachana. C’est bien d’un cri qu’il s’agit, comparable à celui de l’enfant qui appelle son père. Il est pourtant, en même temps, la sonnerie glorieuse qui accompagne le couronnement du Roi – de D.ieu, Roi de l’univers. Cette ambivalence n’est pas un hasard. En cet instant où tout est neuf, où nos yeux se posent sur un monde nouveau, la sincérité et la grandeur vont de pair. Elles sont ces sentiments merveilleux qui sont liés à la vie même. Pour une bonne et douce année.

Etincelles de Machiah

Dix questions / réponses sur la résurrection des morts (IX)

Question : Comment le corps sera-t-il reconstruit?
Réponse : Il reste toujours un os du corps. Certains pensent que c’est une partie de la colonne vertébrale : certains disent que c’est l’occiput, là où le nœud des Téfilines est placé, d’autres que c’est le dernier os de la colonne vertébrale. Au moment de la résurrection, D.ieu assouplira cet os avec “la rosée de la résurrection”. Il jouera alors le rôle de la levure dans la pâte et c’est à partir de lui que l’ensemble de corps sera reconstruit.
(d’après “Techouvot Oubiourim”, sec. 11)

Vivre avec la Paracha

Roch Hachana - Un verre de lait

Le ‘Hassid Rabbi Chmouel Munkes voyageait pour passer Roch Hachana avec son Rabbi, Rabbi Chnéour Zalman de Liadi, quand il dut faire une halte pour passer Chabbat dans un petit village.
Peu après la fin de Chabbat, le village entier se retira tôt au lit. Quelques minutes avant minuit le chamach commença sa ronde avec une lanterne dans une main et un petit marteau dans l’autre, frappant aux volets de chaque maison et appelant: «Debout! Debout! Levez-vous pour le service du Créateur». Le village entier se leva, s’habilla rapidement et se précipita vers la synagogue brillamment éclairée pour les Sli’hot, la prière solennelle qui ouvre la période des Jours solennels.
Dans la maison de l’hôte de Rabbi Chmouël régnait une confusion extrême. Toute la famille était habillée et groupée devant la porte, les livres de prière à la main, prête à partir pour la synagogue ; mais leur hôte prestigieux n’était pas encore sorti de sa chambre. Enfin, le villageois frappa doucement à la porte de Rabbi Chmouel. Pas de réponse. Doucement, il pénétra dans la chambre. A son étonnement, il trouva le ‘Hassid profondément endormi.
«Reb Chmouel, Reb Chmouel» appela-t-il, secouant son hôte pour le réveiller. «Venez vite. Sli’hot ».

La seule réponse de Rabbi Chmouel fut de s’enfouir encore plus profondément sous les couvertures.
«Vite, Reb Chmouel !, persista l’hôte, ils sont sur le point de commencer!»
«Commencer quoi?, demanda Reb Chmouel, apparemment ennuyé. C’est le milieu de la nuit. Pourquoi me réveillez-vous au milieu de la nuit ? »
«Que vous arrive-t-il? s’écria le villageois. Ce soir ce sont les Sli’hot! Vous êtes vraiment un bon juif ! Si je ne vous avais pas réveillé, vous auriez dormi pendant toutes les Sli’hot!»
«Les Sli’hot ?, demanda Reb Chmouel, que sont les Sli’hot?»
L’hôte de Rabbi Chmouel n’en croyait pas ses yeux. «Vous moquez-vous de moi? Ne savez-vous pas qu’aujourd’hui nous avons célébré le Chabbat qui précède Roch Hachana. Chaque homme, chaque femme, chaque enfant dans le village est actuellement à la synagogue et tremble d’impatience. Bientôt le Baal Tefilah va entamer les prières des Sli’hot et la communauté entière va éclater en sanglots, priant et suppliant D.ieu de leur accorder une bonne année…»
«Et c’est pour cela qu’il y a ce remue ménage? demanda Rabbi Chmouel. Vous allez prier à la synagogue? Qu’y a-t-il de si urgent qui ne peut attendre jusqu’au matin? Pourquoi priez-vous?»
«Il y a beaucoup de raisons pour prier Reb Chmouel, soupira le villageois. Je prie que la vache donne assez de lait pour garder mes enfants en bonne santé. Je prie que l’orge se vende à un bon prix au marché cette année, car bientôt j’aurai une fille à marier. Je prie pour que mon cheval ne se casse pas la patte, à D.ieu ne plaise, comme c’est arrivé l’an passé…»
«Je ne comprends pas, interrompit Rabbi Chmouel, depuis quand les grandes personnes se lèvent-elles au milieu de la nuit pour demander un peu de lait?».

Le villageois avait raison

Rabbi Chmouel voulait enseigner à son hôte que la préparation à Roch Hachana ne consiste pas seulement à prier D.ieu pour ses besoins matériels. Roch Hachana est le jour où nous proclamons la royauté de D.ieu sur l’univers et nous engageons à Lui obéir et Le servir. C’est un moment de Techouvah, de regrets de ses péchés et manquements et de résolutions pour ne jamais les répéter. Est-ce le moment de s’approcher de D.ieu avec la « liste des courses » pour nos besoins matériels ?
Et pourtant, un coup d’œil sur le livre de prières de Roch Hachana montre qu’il abonde de requêtes pour la vie, la santé et la subsistance. Car à Roch Hachana, l’énergie divine qui vitalise toute la Création est renouvelée pour une nouvelle année et chaque créature reçoit sa part de vie, de bonheur et de richesse. Le simple villageois avait raison : Roch Hachana est le moment de prier pour que la vache donne du lait et que l’orge se vende à un bon prix au marché.

Comment alors concilier la sainteté du jour et les aspects matérialistes d’une importante partie de ses prières?
Mais le concept même de la prière renferme le même paradoxe. La prière est la communion de l’âme avec le Créateur, son île spirituelle dans un jour qui pourrait être attaché à la matérialité. En fait, le mot hébreu pour « prière » : tefilah, signifie « attachement », son sens étant de s’élever au-dessus de nos soucis courants et de nous attacher à notre source divine. Et pourtant l’essence de la prière, le fondement sur lequel repose son édifice spirituel, est notre demande au Tout Puissant de pourvoir à nos besoins quotidiens.
Le paradoxe de la prière se trouve encore décuplé quand viennent les prières de Roch Hachana. A Roch Hachana non seulement nous tenons-nous devant D.ieu, mais nous Le couronnons comme Roi, nous soumettant à Lui dans l’abnégation totale de notre ego et de tous ses désirs devant Sa volonté. Dès lors, quelle place y a-t-il en ce jour pour la notion de besoin personnel ?

Une résidence ici bas

L’homme seul possède la capacité de faire de D.ieu un roi car seul l’homme possède le libre-arbitre sans lequel le concept de «royauté» est vide de sens. En se soumettant librement à la souveraineté Divine, le jour de Roch Hachana, nous réveillons Son désir d’être roi et infusons une vitalité nouvelle à Son engagement dans l’ensemble de la création.
Le désir divin d’être roi est également décrit par nos Sages comme le désir d’une « résidence dans les royaumes inférieurs », une résidence dans le monde matériel. Pourquoi le monde matériel ? Car ce n’est que là qu’existe le véritable choix. Le monde spirituel est par nature propulsé vers sa source Divine. Ainsi, notre service divin dans les ères spirituelles de notre vie est une service «obligatoire», conduit par les inclinations naturelles de notre être spirituel. Par ailleurs, quand nous invitons D.ieu dans notre existence physique, quand nous Le servons par des actes matériels et avec les objets de notre existence physique, nous choisissons réellement de nous soumettre à Lui, car une telle servitude va à l’encontre de chaque parcelle de notre nature physique.
Ainsi, celui qui considère comme «inconvenant» de supplier D.ieu pour du lait pour ses enfants à Roch Hachana rejette un des aspects fondamentaux de la souveraineté divine. Couronner D.ieu signifie L’accepter comme souverain dans tous les domaines de notre vie, y compris, et prioritairement, dans les domaines et les exigences les plus mondains. Cela signifie reconnaître notre complète dépendance devant Lui pas seulement pour notre nourriture spirituelle mais pour le morceau de pain qui soutient notre existence physique.

Dans cette perspective, nos besoins ne sont pas des besoins personnels et nos demandes ne sont pas égoïstes. Oui nous demandons de la nourriture, de la santé et de la richesse ; mais nous les demandons comme un sujet les requiert de son maître, comme un serviteur demandant à son maître les moyens pour mieux le servir. Nous demandons de l’argent pour observer la mitsva de charité, pour construire une Soukkah, nous demandons de l’argent pour maintenir le corps et l’âme unis pour que notre vie serve de « résidence dans les royaumes inférieurs » qui abrite Sa présence dans notre monde.

La prière de ‘Hanna

La Haftara (lecture des Prophètes) du premier jour de Roch Hachana relate l’histoire de ‘Hannah la mère du prophète Chmouel.
‘Hannah l’épouse stérile de Elkanah se rendit à Chilo (où se tenait le Temple avant que Chlomo ne le construise à Jérusalem) pour prier pour un enfant.
Elle pria D.ieu, pleurant avec profusion. Et elle émit un vœu et dit : « O Maître des hôtes…Si Tu donnes à ta servante un enfant mâle, je le consacrerai à D.ieu tous les jours de sa vie… »

Eli, le Grand Prêtre de Chilo l’observait comme elle
priait profusément devant D.ieu…Seules ses lèvres remuaient, sa voix ne se faisait pas entendre.
Eli pensa qu’elle était ivre. Et il lui dit : «Combien de temps seras-tu ivre ! Evacue ton vin !» ‘Hanna répliqua : «Non mon Maître je n’ai consommé ni vin ni boisson forte. J’ai déversé mon âme devant la face de D.ieu…»
Eli la bénit pour que D.ieu accorde sa requête. Cette année là ‘Hanna donna naissance à un garçon qu’elle nomma Chmouel («écouté de D.ieu»). Après l’avoir sevré, elle accomplit son vœu de le consacrer au service de D.ieu en le conduisant à Chilo où il fut élevé par Eli et les prêtres. Chmouel devint l’un des plus grands prophètes d’Israël.
La « prière de ‘Hanna » comme s’appelle cette lecture est l’une des sources bibliques fondamentales pour le concept de la prière et nombre des lois de la prière en dérivent. En fait, le dialogue entre Eli et ‘Hanna touche l’essence même de la prière et de la prière de Roch Hachana en particulier.
L’accusation d’Eli d’ivresse peut aussi se comprendre comme une critique pour ce qu’il vit comme une indulgence excessive de la part de ‘Hanna pour ses désirs et ses besoins matériels. «Tu te tiens dans le lieu le plus saint de la terre, implique Eli, dans le lieu où la présence divine a choisi de résider. Est-ce le lieu propice pour prier pour des besoins personnels? Et si tu dois le faire, est-ce le lieu pour le faire avec «profusion», avec une telle ténacité et une telle passion?»
«Tu ne m’as pas comprise, répondit ‘Hanna, «j’ai déversé mon âme devant la face de D.ieu ». je ne demande pas simplement un fils ; je demande un fils que «je puisse consacrer à D.ieu tous les jours de sa vie».
Nos Sages nous disent que Chmouel fut conçu à Roch Hachana. L’accomplissement de la prière de ‘Hanna par D.ieu en ce jour nous encourage à réellement bénéficier de ce moment solennel du couronnement de D.ieu pour Le prier pour tous nos besoins quotidiens. Car en ce jour, nos besoins «personnels» et notre désir de servir notre Maître sont uniques et confondus.

Le Coin de la Halacha

Qu'est-ce que Erouv Tavchiline ?

On n'a pas le droit, un jour de fête juive, de préparer de la nourriture pour le soir suivant ou le lendemain. Cependant, lorsqu'un jour de fête tombe le vendredi, on prépare avant la fête un aliment cuit au four et un aliment cuit à l'eau, pour montrer qu'on a pensé, avant la fête, à préparer Chabbat.
Cette année, mercredi 15 septembre 2004 (ainsi que mercredi 29 septembre et mercredi 6 octobre, on procédera au Erouv Tavchiline (littéralement : « Le mélange par les aliments ») : on préparera une Matsa ou un pain ainsi qu’un met cuit (viande ou poisson ou œuf). On récitera la bénédiction: Barou'h Ata Ado-nay Elo-hénou Mélè'h Haolam Achère Kidéchanou Bemitsvotav Vétsivanou Al Mitsvat Erouv. (« Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi de l’univers, qui nous as sanctifiés par Ses commandements et nous as ordonné le commandement du « Erouv »). Puis on les mettra soigneusement de côté et on les consommera pendant un des repas de Chabbat.
Grâce à cet Erouv, tous les membres de la famille (et les invités) pourront cuire, porter, allumer les bougies et, en général, procéder vendredi à tous les préparatifs pour Chabbat.

Que fait-on à Roch Hachana ?

Mercredi 15 septembre, après avoir mis des pièces à la Tsédaka, les femmes, les jeunes filles et les petites filles allument les bougies de Roch Hachana (avant 19 h 45, horaire de Paris) avec les bénédictions suivantes :
1) « Barou'h Ata Ado-naï Elo'hénou Mélè'h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vétsivanou Lehadlik Ner Chel Yom Hazikarone »; et (2): « Barou'h Ata Ado-naï Elo'hénou Mélè'h Haolam Chéhé'héyanou Vekiyemanou Vehigianou Lizmane Hazé ».
Après la prière du soir, on se souhaite mutuellement : « Lechana Tova Tikatev Veté'hatème » – « Sois inscrit(e) et scellé(e) pour une bonne année ». Après le Kiddouch, on se lave les mains rituellement et on trempe la 'Hallah dans le miel et non dans le sel (et ce, jusqu'à Hochana Rabba, mercredi 6 octobre inclus).
Ensuite on trempe un morceau de pomme douce dans le miel, on dit la bénédiction : « Haètz » et on ajoute : « Yehi Ratsone Milfané'ha Chete'hadèche Alénou Chana Tova Oumetouka » (« Que ce soit Ta volonté de renouveler pour nous une année bonne et douce »). Durant le repas, on s'efforce de manger de la tête d'un poisson, des carottes sucrées ou du gâteau au miel une grenade et, en général, des aliments doux, pas trop épicés, comme signes d'une bonne et douce année.
Jeudi soir 16 septembre, les femmes, les jeunes filles et les petites filles allument les bougies de la fête (après 20 h 50, horaire de Paris) à partir d'une flamme allumée avant la fête, avec les mêmes bénédictions que la veille.
On aura auparavant placé sur la table un fruit nouveau, qu'on mangera durant le repas.
Jeudi 16 et vendredi 17 septembre, on écoute la sonnerie du Choffar. Si on n'a pas pu l'entendre à la synagogue, on peut encore l'écouter toute la journée.
Jeudi après-midi, après la prière de Min'ha, on se rend près d'un cours d'eau et on récite la prière de Tachli'h.
Durant les deux jours de Roch Hachana, on évite les paroles inutiles et on s'efforce de lire de nombreux Téhilim (Psaumes).
Jusqu'à Yom Kippour inclus, on ajoute dans la prière du matin le Psaume 130 et on récite matin et après-midi (sauf Chabbat) la prière « Avinou Malkénou » (« Notre Père, notre Roi »). On ajoute certains passages de supplication dans la prière de la « Amida ». On multiplie les actes de charité et, en général, on s’efforce d’être davantage scrupuleux dans l’accomplissement des Mitsvots.

F. L.

De Recit de la Semaine

EN CE JOUR, IL EST ECRIT QUI VIVRA…

En 1648, l’odieux Bogdan Chmielnicki avait mené ses hordes de cosaques en Ukraine où ils avaient massacré des centaines de communautés juives et polonaises. Ils avaient presque réussi à exterminer la population juive des bords du Dniepr. La sauvagerie et la cruauté de ces barbares avaient même surpassé celles des croisés.
À Kiev, quelques malheureux Juifs, hommes, femmes et enfants avaient réussi à s’enfuir dans les forêts. Ils se cachaient où ils pouvaient, toujours angoissés de se trouver face aux longs sabres des cosaques. Ce n’était que la nuit que ces fugitifs s’aventuraient hors de leurs cachettes pour chercher un peu de nourriture.
Rav Meyer, de la ville de Shivotov – qui avait autrefois abrité l’une des plus grandes communautés juives autour de Kiev – était le guide spirituel de ce groupe en fuite. Sa femme avait été tuée par les Cosaques ; son fils Hershel âgé de treize ans était sa seule raison de vivre. Doué d’une voix puissante et émouvante, avec laquelle il pouvait faire pleurer ou s’enthousiasmer ses auditeurs, Hershel aidait beaucoup son père en réconfortant leurs compagnons et en les encourageant à garder confiance et espoir. Plus d’une fois, ses chants quasi magiques les avaient empêchés de se rendre à ces Cosaques sans pitié ou de se suicider.
Mais un si grand groupe ne peut se cacher très longtemps. La rumeur s’était répandue alentour : des Juifs avaient survécu dans la forêt. Ils avaient été obligés de s’enfoncer encore plus profondément dans les fourrés et les marécages pour échapper aux bandes de barbares. Mais sans s’en rendre compte, ils avaient ainsi pénétré dans les chasses gardées d’un rival de Chmielnicki, un homme non moins cruel que lui, Booyar, le chef des Tartares. Oui, cruel et pourtant il y avait encore quelque chose d’humain dans cet homme impitoyable : il avait un respect absolu pour une vieille femme nomade qui pouvait le commander en clignant simplement des yeux : sa mère.
Constatant qu’ils étaient pris au piège, les fugitifs juifs se mirent à réciter le Vidouy, la confession des péchés et la dernière prière des mourants. Alors qu’ils priaient du plus profond de leur être, ils entendirent Hershel chanter d’une voix déchirante le Kaddich, la proclamation de la sainteté de D.ieu en toute circonstance, même lorsque des Juifs font face aux longues épées acérées des Tartares. Comme par enchantement, les cris et les hurlements cessèrent. Les Juifs s’étaient ressaisis et l’éclat de haine qui brillait auparavant dans les yeux des Tartares avait disparu. Leurs bras levés étaient retombés : charmés, ils écoutaient le jeune garçon qui, bien conscient de la gravité de la situation, avait chargé sa voix d’une émotion si puissante qu’elle pouvait faire fondre le plus cruel ennemi des Juifs.
Etonné par le silence qui régnait soudain dans son camp, Booyar jeta un coup d’œil hors de sa tente et observa cette scène étonnante : ses hommes se laissaient manipuler par un jeune garçon ! Ecumant de rage, il brandit son épée et s’élança vers eux. Il allait tuer ses propres partisans pour les punir de se laisser berner par ces Juifs. En s’approchant, il comprit qu’Hershel était la cause de ce revirement soudain. Booyar saisit le garçon par les cheveux et souleva son épée pour le décapiter. Mais son bras fut soudain arrêté par la main fragile d’une vieille femme. Il se retourna, furieux : c’était sa propre mère. « Ne tue pas ces gens, mon fils. Ils sont sous ma protection. Ce garçon chantera pour moi jusqu’à ce que nous arrivions à Constantinople. Là tu pourras les vendre, lui et les siens, pour un bon prix ! » Hésitant, Booyar finit par se rendre aux arguments de sa mère.
C’est ainsi que Rav Meyer et son groupe furent sauvés d’une mort certaine. Mais ils furent traînés de force sur les chemins des Balkans jusqu’à ce qu’ils atteignent la Turquie, bien des mois plus tard. De nombreux Juifs d’Espagne et du Portugal avaient fui l’Inquisition et s’étaient installés dans le pays du Sultan Soleiman II dont le conseiller principal n’était autre que leur coreligionnaire, Don Joseph de Naxos. Ils avaient construit une magnifique synagogue à Constantinople et avaient créé toutes les structures nécessaires à une communauté juive.
C’est à Roch Hachana que Booyar mit sur le marché ces Juifs qu’il désirait vendre comme esclaves. Les Turcs regardaient avec curiosité ces loques humaines qu’on leur proposait comme esclaves : ceux-ci n’étaient certainement pas capables de fournir un travail efficace. On préférait acquérir des hommes robustes et en bonne santé.
A la suite de ces tribulations, Rav Meyer et ses compagnons avaient perdu la notion du temps. Ils ignoraient même que ce jour était Roch Hachana.
Tandis qu’ils se tenaient sur l’estrade du marché, tandis que la populace les regardait en se moquant et en les insultant, ils entendirent soudain le son du Choffar dans la synagogue tout près de là. Instinctivement, ils se mirent à pleurer les dernières larmes de leur corps et Hershel se mit à entonner la prière de Rabbi Ammon : « Ounetané Tokef », « Et Tu donnes la puissance à ce jour…
Et comme un berger compte ses moutons.
Ainsi Tu fais passer tous les vivants.
Tu comptes les âmes des vivants…
En ce jour, il est écrit.
Qui vivra et qui mourra… »
Les yeux fermés, Hershel chantait de plus en plus fort et sa voix s’élevait au-dessus des bruits du marché pour atteindre encore plus haut, jusqu’aux Portes de la Miséricorde divine.
Assemblés dans la synagogue, les Juifs avaient eux aussi entendu la mélodie bouleversante de Hershel. Ils se précipitèrent au marché et comprirent la situation. Sur ordre de leur rabbin, ils se précipitèrent chez eux, saisirent leurs bijoux et leurs pièces d’or (malgré l’interdiction de profaner le jour de fête) : c’était là une question de vie ou de… pour toute une communauté juive. Ils parvinrent à racheter leurs frères pour une très forte somme.
Sauvés d’un destin terrible, Rav Meyer et ses compagnons rejoignirent leurs libérateurs dans la synagogue. Tous ensemble, ils chantèrent avec Hershel en remerciant D.ieu qui leur était venu en aide d’une façon aussi miraculeuse.

Gershon Kranzler
traduit par Feiga Lubecki

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