Question de principes !
C’est sans doute une de ces expressions que les temps ont rendues peu valorisantes. Dire de quelqu’un qu’il est une personne de principes est sous-entendre qu’il s’agit là d’un homme austère, peu enclin à la joie ou au partage, largement enfermé en lui-même. Une telle évolution d’un mot est bien plus révélatrice de celle d’une société que de celle d’un vocable. Car, finalement, qu’est-ce que des principes ? Si l’on voulait avancer une définition, ne devrait-on pas simplement dire qu’il s’agit des idées essentielles sur lesquelles une vision du monde est fondée, d’un ensemble de normes communément admises qui permettent à une société de préserver son harmonie intérieure et, par conséquent, sa capacité de développement serein ?
On s’interroge souvent sur le secret de la survie du peuple juif au travers des pires drames de l’histoire. Il est vrai que tant d’autres peuples, y compris ceux qui constituèrent un jour des nations puissantes, virent le jour et s’éteignirent sans laisser d’autre souvenir que des pierres qui ont perdu tout sens pour qui les observe, hormis celui de « patrimoine historique ». A l’inverse, le peuple juif vit toujours ; sa vision et son espoir ont franchi toutes les barrières suscitées par l’histoire ou édifiées par la barbarie. Ce ne sont certes pas les grands monuments qui l’ont ainsi maintenu, il en a peu fait et ceux qu’il a bâtis n’existent aujourd’hui que dans les livres. Mais c’est un peuple qui a su établir sa vie sur des principes éternels, reçus de D.ieu au mont Sinaï.
Conduire ainsi son existence demande conscience et constance mais une société qui ne se reconnaît pas ses propres valeurs finit toujours, a contrario, par disparaître. Il est vrai que les temps sont davantage à des formes diverses du relativisme qu’à l’assurance des choix pérennes. Mais justement, n’est-ce pas là aussi le rôle du peuple juif que de témoigner par ses actes de tous les jours qu’il existe une autre façon de vivre, que le lendemain est modelé peu à peu et qu’oublier d’où l’on vient c’est bien souvent ne pas savoir où l’on va.
Nous sommes entrés dans le second mois de l’année juive, celui de ‘Hechvan, mois sans fête. Peut-être précisément pour nous souvenir que nous avançons sur notre chemin, construisant notre histoire minute après minute, fidèles à ce que nous sommes… nos principes.
Il est temps d’être joyeux!
Dans l’un des psaumes qui traitent du retour final des exilés en Israël, il est écrit (126: 2-3): « Alors ils diront parmi les nations: ‘D.ieu a fait de grandes choses pour ceux-ci’. D.ieu a fait de grandes choses pour nous ; nous étions joyeux ».
Un des Maîtres polonais a commenté ces mots de la façon suivante :
« Alors ils diront parmi les nations » : quand Machia’h viendra, les nations du monde diront,
« D. ieu a fait de grandes choses pour ceux-ci » : D.ieu a fait des merveilles pour le peuple juif.
Nous répondrons à ces propos :
« D.ieu a certes fait de grandes choses pour nous ».
Quelle en est la raison ? « Nous étions joyeux ! »
(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch)
Vayéra
Délaissant la Présence Divine venue lui rendre visite, trois jours après sa circoncision, Avraham se précipite pour accueillir trois invités. Ils ne sont autres que trois anges à l’apparence humaine. L’un annonce que dans un an, Sarah, encore stérile, mettra au monde un enfant. Sarah en rit. Avraham plaide pour la survie de la ville impie de Sodome dont un autre ange lui a annoncé la destruction.
Deux des trois anges se rendent à Sodome pour sauver Loth, le neveu d’Avraham, et sa famille. La femme de Loth est transformée en statue de sel pour avoir enfreint l’interdiction de regarder en arrière la ville en feu.
Les deux filles de Loth (pensant qu’elles et leur père sont les seuls survivants dans le monde entier) l’enivrent et l’une d’entre elle sera enceinte. Les deux fils qui naîtront de cet épisode seront les ancêtres des nations de Moav et d’Amon.
Sarah est prise en otage par Avimélé’h mais il la libère après les avertissements divins qui lui sont apparus en rêve.
Its’hak (« il rira ») naît et est circoncis à huit jours. Avraham a cent ans et Sarah quatre-vingt-dix ans.
Hagar et Ichmaël sont bannis de chez Avraham et errent dans le désert. D.ieu entend le cri du jeune garçon mourant et lui sauve la vie en montrant un puits à sa mère.
D.ieu teste le dévouement d’Avraham en lui commandant de sacrifier son fils sur le Mont Moriah (le Mont du temple), à Jérusalem. Its’hak est lié et placé sur l’autel et Avraham lève son couteau. Une voix se fait alors entendre du Ciel et lui ordonne d’arrêter. Un bélier, retenu par ses cornes dans des buissons, est offert à la place.
Avraham apprend la naissance d’une fille, Rivka, chez son neveu Bethouël.
La fin de la Paracha Vayéra relate l’un des épisodes les plus intrigants de l’histoire juive : le sacrifice d’Its’hak par son père Avraham. On y voit Avraham s’empresser de suivre les instructions de D.ieu d’abattre et de sacrifier son fils unique, Its’hak. Il en est empêché à la toute dernière minute, son couteau étant déjà levé, par D.ieu qui s’écrie : « Maintenant Je sais que tu crains D.ieu ».
L’expression semble quelque peu étonnante. Après tout, c’était la dixième épreuve qu’Avraham subissait et surmontait. La première avait été sa mise au feu, à Our Kasdim, pour avoir refusé de se prosterner devant les idoles. Il avait également surmonté les suivantes. Et c’est seulement maintenant que D.ieu lui dit : « Maintenant Je sais que tu crains D.ieu.» Mais n’en avait-il pas déjà donné les preuves, après toutes les épreuves qui l’avaient affecté, après tout le service divin qu’il avait accompli dans sa vie ?
Il faut examiner le texte plus attentivement. Il n’est pas dit « maintenant Je sais que tu es un homme saint ou un homme dévoué » mais « un homme qui craint D.ieu. » Cela nous indique qu’à ce point, Avraham a atteint le niveau très particulier de la crainte de D.ieu.
Chacun d’entre nous naît avec des caractéristiques particulières innées. Certaines bonnes, d’autres moins bonnes. Cependant, quand bien même ces qualités sont particulièrement remarquables, la personne n’est pas complètement considérée comme un serviteur de D.ieu tant qu’elle n’a pas été au-delà de ses tendances naturelles.
Cela peut s’illustrer par un récit du Talmud. Rabbi Yossef ben Kisma parlait avec Rabbi ‘Hanina ben Téradione. Rabbi ‘Hanina ben Téradione lui demanda : « Crois-tu que je mérite une part dans le Monde Futur ? »
Cette question paraît quelque peu étonnante. Rabbi ‘Hanina était réputé pour son extraordinaire abnégation pour l’étude de la Torah, étudiant et enseignant aux autres, au péril de sa vie, les occupants étrangers en ayant absolument proscrit la pratique. Et de fait, le Talmud indique que, finalement, il fut brûlé vif, pour avoir défié le décret et enseigné la Torah. Et pourtant, il interrogea Rabbi Yossef pour savoir s’il avait une part dans le Monde Futur.
La réponse de Rabbi Yossef est encore plus surprenante : « Y a-t-il un acte que tu as accompli qui pourrait prouver que tu mérites une part dans le monde futur ? »
Et Rabbi ‘Hanina de répondre : « Oui ! En fait, un jour j’ai mélangé l’argent que j’avais mis de côté pour acheter des aliments pour Pourim avec l’argent de la charité. Et au lieu de récupérer la part d’argent qui me revenait dans la somme destinée à la charité, j’ai tout donné aux pauvres. »
Et Rabbi Yossef répondit : « Il est donc sûr que tu mérites une part dans le Monde Futur ! »
Cette histoire nous laisse également perplexes. Quand Rabbi ‘Hanina risque sa vie pour enseigner la Torah, il n’est pas sûr qu’il ait une part dans le Monde Futur. Mais une fois qu’il a donné si généreusement de la charité aux pauvres, on est assuré qu’il l’aura !?
L’explication est la suivante : peut-être qu’auparavant, Rabbi ‘Hanina se demandait si son sacrifice de lui-même pour l’étude de la Torah, même au prix de sa propre vie, jaillissait de sa propre nature. Peut-être était-il né avec un désir naturel d’étudier, d’approfondir ses connaissances et de les partager ? Peut-être ne pouvait-il se concentrer que sur l’idée d’acquérir du savoir, de le transmettre mais pas sur la pratique concrète de bonnes actions ? Et c’est précisément ce que Rabbi Yossef lui demande : « Y a-t-il quelque chose dans ta vie qui montre que tu es allé au-delà de ta nature ? »
La réponse que lui donne Rabbi ‘Hanina conforte Rabbi Yossef dans l’idée que son disciple mérite une telle récompense. Il ne sert pas D.ieu exclusivement par la nature innée qu’Il lui a donnée. Il va au-delà. Il conquiert sa nature, la transforme et sert D.ieu de toutes les manières possibles, pas seulement dans le domaine de l’étude mais également dans celui de la charité.
Et c’est précisément de cela qu’Avraham apporta la preuve lors du sacrifice. Auparavant, Avraham était connu pour son immense amour de D.ieu et de Ses créatures. Son hospitalité et ses actes de bienveillance étaient légendaires. Mais tout cela faisait appel à la qualité d’amour qui était sienne, de façon innée. Il travaillait en accord avec sa nature, né « homme de bonté », rempli d’amour et agissant dans cet esprit.
Vint le moment où, pour servir D.ieu, il lui fut demandé de réaliser un acte cruel : tuer un être humain et pire encore, son fils unique. Mais il fut prêt à l’accomplir pour obéir au commandement de D.ieu.
Et cela prouve qu’il servait D.ieu dans toutes Ses voies, transcendant sa nature propre.
Tel est le sens de la déclaration « maintenant Je sais que tu crains D.ieu. »
Auparavant, Avraham avait fait la preuve qu’il était capable de servir D.ieu par amour.
Le sacrifice d’Its’hak permit de prouver qu’il pouvait également Le servir par crainte.
En quoi consiste l’essentiel de l’étude de la Torah pour le débutant ?
Celui qui découvre le monde de l’étude de la Torah – le Baal Techouva – apprendra d’abord comment se conduit un Juif depuis son lever jusqu’à son coucher. Il étudiera la structure des prières et des bénédictions usuelles et les principales traditions. On l’initiera aux lois principales du Chabbat et des fêtes, de la cacherout ainsi qu’aux lois morales telles que l’interdiction du vol, du mensonge, de la médisance, de l’orgueil, du gaspillage (de temps, d’argent, d’objets…) etc.
Une fois que le débutant aura maitrisé la lecture de l’hébreu – ou même avant – il étudiera les textes sacrés : ‘Houmach (Bible), Michna, Choul’han Arou’h (lois), Guemara etc. Dès que possible, il récitera chaque jour des Tehilim – Psaumes, éventuellement en phonétique au départ mais le plus rapidement possible dans le texte hébraïque.
Tout Juif a l’obligation d’étudier la Torah, qu’il soit riche ou pauvre, qu’il soit en bonne santé ou non, qu’il soit jeune ou âgé et même s’il est occupé toute la journée pour nourrir sa famille.
Dès que l’enfant sait parler, son père lui enseigne le verset « Torah Tsiva Lanou Moché Moracha Kehilat Yaakov » (La Torah que Moïse nous a enseignée est un héritage pour la communauté de Jacob).
Les femmes et jeunes filles ont l’obligation d’étudier la Torah, les lois qui les concernent ainsi que la ‘Hassidout qui permet d’apprendre à connaître, aimer et respecter D.ieu.
(d’après Hamitsvaïm Kehil’hatam)
Oui, nous le pouvons !
En 1992, une dame élégante de 85 ans entra dans le bureau de Rav Yaakov Biderman, l’émissaire principal du Rabbi de Loubavitch en Autriche.
- Je m’appelle Margareta Chayos ; j’étais chanteuse d’Opéra et je vous annonce que j’étais la première émissaire du Rabbi ici, bien avant vous, quoi que vous en pensiez !
Descendante des Rabbis de Viznitz, elle avait abandonné « l’ancien mode de vie » pour se jeter avec frénésie dans « la vraie vie » et s’était établie à Vienne où elle était devenue chanteuse d’Opéra.
Quand la guerre éclata, elle parvint à s’enfuir grâce à l’aide d’amis non-juifs et arriva aux Etats-Unis où elle épousa un descendant du célèbre commentateur talmudique, le Maharatz Chayos. Là, elle donna naissance à leur fille qui épousa un médecin juif, de fait une sommité du monde médical et, par ailleurs, grand donateur du mouvement Loubavitch. Ce fut à l’occasion d’un gala de collecte de fonds que ce médecin fut gratifié d’une entrevue avec le Rabbi et sa belle-mère eut l’honneur d’y participer également.
- Quand je suis entrée dans le bureau du Rabbi, je ne sais pas pourquoi, j’ai ressenti que, pour la première fois depuis la Shoah, je pouvais pleurer – pour tous les membres de ma famille que j’avais perdus. Je racontai au Rabbi toute ma vie et il m’écouta intensément. J’annonçai au Rabbi que je désirais retourner à Vienne. Le Rabbi me demanda alors de remplir deux missions pour lui, là-bas : transmettre ses amitiés au Grand-Rabbin de Vienne, Rav Aquiba Eisenberg et, d’autre part, rendre visite à un certain professeur juif de l’Université de Vienne, M. Frankel. Je devais lui transmettre ses amitiés et lui dire au nom du Rabbi qu’il ne devait pas abandonner. Il devait rester ferme dans ses idées et continuer à travailler avec vigueur et enthousiasme. S’il restait fort dans ses opinions, il parviendrait à vaincre tous les obstacles ! Et le Rabbi développa assez longtemps ce thème.
A Vienne, je n’eus aucun mal à trouver Rav Eisenberg mais à l’Université, on n’avait pas vu M. Frankel depuis deux semaines et on refusait de me donner son adresse. Je dus me débrouiller autrement et finis par la trouver.
Quand j’arrivai devant sa maison, je sonnai à la porte. Une femme ouvrit et je pus distinguer derrière elle de nombreux crucifix.
Quelques instants plus tard, le professeur apparut. Il avait l’air désabusé, semblait très nerveux et je me sentis mal à l’aise : « J’ai pour vous un message d’amitié de Rabbi Schneerson, de Brooklyn ! » annonçai-je.
- Qui est-ce ? demanda-t-il, les yeux dans le vague.
- Le Rabbi m’a demandé de vous transmettre de ne pas désespérer, de rester ferme dans vos convictions et de continuer vos travaux avec détermination. Si vous avancez avec confiance en vous et en vos idées, vous connaitrez le succès !
Son visage changea complètement.
- Je ne peux pas le croire ! affirma-t-il. Il s’essuya le visage et continua : « Ce Rabbi de Brooklyn a su exactement quand vous envoyer ! C’est un vrai miracle ! Vous m’avez sauvé ! » Il pleurait à nouveau et n’arrêtait pas de me remercier.
Après le départ de Margareta, le rav Biderman procéda à une petite enquête. Le professeur Victor Frankel était encore vivant, il avait 87 ans et était devenu célèbre. De plus, il était un contributeur régulier de son Beth ‘Habad à Vienne ! Rav Biderman raconte :
« Je lui téléphonai, me présentai et lui demandai de me recevoir :
- Je ne me souviens plus du nom de la dame mais je me souviens très bien de sa visite ! Jamais je ne l’oublierai ! Ma gratitude envers Rabbi Schneerson est éternelle ! proclama Dr Frankel.
Il raconta qu’étudiant, il avait excellé dans les domaines de la neurologie et de la psychiatrie : il avait fait partie du cercle intime de Freud, le père de la psychanalyse.
Déjà avant la guerre – et encore plus durant ses trois terribles années passées à survivre dans les camps – il avait développé des idées contraires aux théories de Freud. Celui-ci soutenait que l’homme avait la capacité de s’élever spirituellement, de se libérer des contingences et d’être capable de donner un sens à la vie. Il avait vu dans les camps des êtres dénués de tout mais capables de donner leur dernier morceau de pain à d’autres détenus. Tout peut être pris à un homme sauf sa liberté de choisir le bien !
Mais dans les milieux universitaires d’après-guerre, les idées de Freud étaient les seules admises tandis que celles de Frankel étaient dédaignées, considérées comme fanatiques et non-scientifiques.
- Rav Biderman ! s’exclama Dr Frankel. J’ai survécu à la déportation mais je ne pouvais pas supporter la dérision de mes collègues. Je n’avais plus d’amis, plus d’étudiants ; j’envisageai la démission ou même pire, quand cette femme entra et me transmit le message du Rabbi ! Espoir ! Inspiration ! Quelqu’un à Brooklyn - qui plus est un Rabbi ‘hassidique - avait entendu parler de moi, appréciait mes théories et connaissait mon état d’esprit ! Je n’étais plus seul !
Et je me suis battu. Peu de temps après, on m’a offert une chaire à l’Université. Mon livre a été traduit en anglais (« Man’s search for meaning ») et je suis devenu célèbre.
Quand ‘Habad s’est installé à Vienne, je suis devenu un de ses premiers donateurs ».
Le livre de Victor Frankl a marqué un tournant dans la pensée moderne et a donné à la psychiatrie un ton positif. Il devint un orateur recherché de par le monde, obtint 29 titres de Docteur Honoris Causa. Son premier livre fut vendu à plus de dix millions d’exemplaires et fut cité par la bibliothèque du Congrès américain comme l’un des livres ayant eu le plus d’influence au XXème siècle !
Tout ceci ne serait pas arrivé sans l’intervention discrète mais prophétique et aimante du Rabbi.
En 2003, Shimon Cown, un australien ‘Hassid de Loubavitch – par ailleurs expert de l’œuvre de Frankel – rendit visite à sa veuve non juive. Ils parlèrent pendant des heures puis elle apporta une paire de Téfiline et un Talit :
- Mon défunt mari les portait chaque jour ! Quand on lui demandait s’il croyait en D.ieu, il répondait par une pirouette.
Apparemment le Rabbi influença Victor Frankel bien davantage qu’on ne l’imagine !
Rav Tuvia Bolton - www.ohrtmimim.org/torah