Samedi, 7 novembre 2020

  • Vayéra
Editorial

 Et zoom alors !

Confinement et couvre-feu obligent, le mot « zoom » est devenu non seulement une expression courante mais même un élément structurant de nos activités, presque de notre vie, dans l’étrange période que nous traversons. Où se rencontre-t-on, où se voit-on, où échange-t-on ? Sur « Zoom » dit-on. Et, lorsqu’il est question d’étude de la Torah, évidemment indispensable à chacun, c’est encore sur « Zoom » qu’elle est installée ! Le naïf est alors surpris à interroger : où se trouve donc cette agora, ce forum, cette place publique, ce lieu mythique où tout ce qu’on croyait perdu pour cause de Covid se retrouve ? Comment s’y rend-on, est-il donc ouvert à tous, cet endroit où le concept de « vie sociale » fait toujours sens ? Nous le savons, c’est un lieu qui n’existe pas, un emplacement de notre temps, virtuel et numérique. Il possède pourtant quelque chose de grand.

Il suffit de regarder au dehors. Les conditions générales évoluent dans un sens qui conduit à toujours plus de limitations. Certes, il s’agit de santé publique et les mesures prises, aussi désagréables soient-elles, répondent à une menace précise. Cependant, malgré leur légitimité, elles ne peuvent que soulever une nostalgie croissante : comme le monde d’avant l’épidémie était convivial et plus heureux ! Il est vrai que le recul est pour beaucoup dans une telle appréciation et qu’on en ressentait moins la pertinence quand nous y étions. Cela n’y change rien fondamentalement : la nostalgie est bien là avec, inéluctablement, une envie de révolte qui émerge peu à peu. Alors « Zoom » arrive. Recréer ce que l’épidémie a fait disparaître. Pouvoir parler et partager. Pouvoir discuter face à face et à distance à la fois, et voir les expressions du visage. Presque un miracle.

De fait, il y a un peu de prodige ici. Alors que la période est à la coupure, à l’enfermement en soi-même, la recherche de lien et d’unité reste la plus forte. Il faut être bien profondément sensible à cette dernière idée pour parvenir à lui donner vie réelle, même ainsi. Les outils technologiques n’ont ni valeur ni morale propre. Ils sont ce que nous en faisons. Restaurer l’union entre les hommes, renouer les liens distendus, faire que l’étude collective ne soit pas seulement un regret ou un espoir, préserver la volonté d’avancer ensemble, c’est à ce rendez-vous multiple que nous sommes conviés. Donnons donc de la chair à nos rêves. L’unité, cela se vit. Ce qui est virtuel aujourd’hui sera concret demain.

Etincelles de Machiah

 La lumière et le réceptacle

Décrivant le temps de Machia’h, le prophète Isaïe (11 : 9) enseigne : « Et la terre sera pleine de la connaissance de D.ieu comme l’eau couvre la mer ».

Les ‘Hassidim ont expliqué ainsi ce verset : les eaux de la mer recouvrent tout ce qui s’y trouve de façon parfaitement égale mais, à l’endroit où existe un trou, il y a plus d’eau.

De même pour les dévoilements qui se produiront dans les temps messianiques : tout se révèlera en tout de façon égale mais il y aura des degrés à l’infini dans la façon dont on recevra ces révélations. Et ces degrés dépendent de l’effort spirituel d’aujourd’hui, pendant le temps de l’exil.

(D’après les Maamarim Haketsarim de l’Admour Hazakène p. 141)

Vivre avec la Paracha

 Vayéra

Délaissant la Présence divine venue lui rendre visite, trois jours après sa circoncision, Avraham se précipite pour accueillir trois invités. Ils ne sont autres que trois anges à l’apparence humaine. L’un annonce que, dans un an, Sarah, encore stérile, mettra au monde un enfant. Sarah en rit.

Avraham plaide pour la survie de la ville impie de Sodome dont un autre ange lui a annoncé la destruction.

Deux des trois anges se rendent à Sodome pour sauver Loth, le neveu d’Avraham, et sa famille. La femme de Loth est transformée en pilier de sel pour avoir enfreint l’interdiction de regarder en arrière la ville en feu.

Les deux filles de Loth (pensant qu’elles et leur père sont les seuls survivants dans le monde entier) l’enivrent et tombent toutes les deux enceintes. Elles donneront chacune naissance à un garçon. Ces deux enfants deviendront les ancêtres des nations de Moav et d’Amon.

Sarah est prise en otage par Avimélè’h mais il la libère après les avertissements divins qui lui sont apparus en rêve.

Its’hak (« il rira ») naît et est circoncis à huit jours. Avraham a cent ans et Sarah quatre-vingt-dix ans.

Hagar et son fils Ichmaël sont bannis de chez Avraham et errent dans le désert. D.ieu entend le cri du jeune garçon mourant et lui sauve la vie en montrant un puits à sa mère.

D.ieu teste le dévouement d’Avraham en lui commandant de sacrifier son fils sur le Mont Moriah (le Mont du temple), à Jérusalem. Its’hak est lié et placé sur l’autel et Avraham lève son couteau. Une voix se fait alors entendre du Ciel et lui ordonne d’arrêter. Un bouc, emprisonné par ses cornes dans des buissons, est offert à la place.

Avraham apprend la naissance d’une fille, Rivkah, chez son neveu Bethouël.

Le rire de Sarah

L’un des mystères de notre Paracha réside dans la manière dont Sarah reçut la nouvelle qu’elle allait être mère, à l’âge de quatre-vingt-dix ans. Il est écrit dans la Torah : « Et Sarah rit en elle-même, disant : ‘ Après avoir flétri, aurai-je encore une peau claire ? Et mon mari est vieux ! » (Béréchit XVIII,12)

La Torah poursuit par les mots avec lesquels D.ieu s’adressa à Avraham : « Pourquoi Sarah rit-elle en disant : ‘Est-il vrai que j’enfanterai alors que je suis vieille ?’ Au temps fixé, Je reviendrai vers toi, au même moment, l’année prochaine, il y aura de la vie, et Sarah aura un fils. »

Un examen attentif du texte semble impliquer que Sarah exprimait des doutes, ironisant presque sur son aptitude à avoir un enfant.

Comment une femme aussi juste que Sarah pouvait-elle exprimer de telles incertitudes ?

Et cette question se renforce encore à la lecture de Rachi qui nous informe que Sarah était encore plus grande qu’Avraham, dans le domaine de la prophétie. Un prophète a la tête dans les cieux et ses pieds sont fermement implantés dans la terre. En d’autres termes, un prophète reçoit le message divin et le transmet sur terre. Comment donc Sarah pouvait-elle émettre des doutes sur le message de D.ieu ou l’ignorer ?

Justification et réfutation

Pour donner une explication simple de son rire, on pourrait avancer le fait qu’elle entendit cette nouvelle de « païens » qui ressemblaient à des voyageurs, et non par prophétie, directement de D.ieu. Dans ce cas, en quoi aurait-elle fauté en doutant d’une bénédiction prononcée par un idolâtre ?

Cependant cet argument ne semble pas venir excuser Sarah. Son intuition supérieure (une autre forme de prophétie) aurait dû lui souffler qu’il ne s’agissait pas là d’un simple message. Le fait même que ces invités étranges et imprévus se présentent chez eux, dans une chaleur si torride qu’aucun être humain ne pouvait s’aventurer à l’extérieur, aurait dû l’avertir de ne pas prendre leurs paroles à la légère, qu’ils étaient des messagers divins.

De plus, comme le souligne Rachi, cela se produisit trois jours seulement après la circoncision d’Avraham et son entrée dans l’Alliance éternelle. N’aurait-elle pas pu être consciente du fait que D.ieu utilisait ces voyageurs pour transmettre un message particulier ? Sarah plus que toute autre aurait dû voir à travers le voile et reconnaître qu’en réalité, leur bénédiction émanait de D.ieu.

Nous sommes donc de retour à notre question initiale. En prenant en compte sa perception spirituelle particulièrement élevée, il est impossible d’imaginer qu’elle n’ait pu voir la vérité. Pourquoi donc rit-elle et exprima-t-elle des doutes ?

Quand on évoque les personnages qui sont des Justes véritables, il nous faut être extrêmement précautionneux à ne pas leur imputer nos propres faiblesses et nos défauts. Leurs « erreurs » se situent à un tout autre plan. Et cela est particulièrement vrai de nos Patriarches et a fortiori de nos Matriarches qui sont en totale adéquation avec D.ieu.

Jamais de doutes

En gardant ce qui précède à l’esprit, nous pouvons suggérer que Sarah ne douta jamais de la possibilité de D.ieu de lui donner un enfant à quatre-vingt-dix ans.

Bien au contraire, Sarah chercha à embellir encore le miracle et faire de sa nature extraordinaire et unique un outil plus efficace contre la tendance à se blaser devant les miracles divins.

Expliquons-nous :

L’une des tactiques de la force insidieuse d’Amalek (la nation qui attaqua les Juifs à leur sortie d’Égypte et le symbole de la force intérieure malfaisante qui se donne comme but d’éteindre toute la chaleur que nous pouvons ressentir dans les sujets de la sainteté) est de diminuer notre excitation quand nous sommes les témoins d’un miracle. Aux âmes les plus sophistiquées, la réaction d’Amalek est de s’exclamer devant un miracle : « Ne vous excitez pas devant ce miracle ! Après tout, D.ieu peut tout faire. Qu’y a-t-il d’extraordinaire ! »

Sarah savait qu’il était fort probable que devant ce miracle, toutes sortes de cyniques tenteraient d’amoindrir l’ardeur et l’enthousiasme qu’il susciterait. Elle chercha donc à mettre l’accent sur l’impossibilité claire et nette qu’elle puisse devenir mère. Elle en avait dépassé de loin l’âge et, d’après nos Sages, elle ne possédait pas même d’utérus. En outre, Avraham lui-même était trop âgé, bien au-delà de l’âge naturel pour avoir un enfant.

Plus elle allait exprimer sa réflexion sur l’impossibilité pour elle d’enfanter, plus le miracle serait impressionnant, pour les cyniques comme pour elle-même. En insistant sur l’impossibilité de ce miracle, elle cherchait à accroître son propre enthousiasme et sa stupéfaction absolue devant le miracle de la naissance.

L’incrédulité de Sarah ne constituait pas un doute, à D.ieu ne plaise. Bien au contraire, c’était sa manière d’intensifier l’étendue de ce miracle, insistant sur le fait qu’il n’avait aucune base naturelle.

Il s’agissait donc d’une attitude admirable.

Le Coin de la Halacha

 Comment l’invité est-il supposé se conduire ?

« Jamais un invité ne devrait changer d’hébergement » (Pessa’him 6 b). Nous apprenons ceci d’Avraham, notre patriarche : à son retour d’Égypte, il s’arrêta dans les mêmes auberges dans lesquelles il avait séjourné à l’aller. En effet, s’il avait changé, on aurait pu déduire qu’il n’avait pas été bien accueilli la première fois ou que lui-même n’était pas un visiteur correct.

Cependant, s’il y a une raison valable pour que l’invité ou l’hôte ne soient plus en relation, on peut changer d’auberge, par exemple si l’hôte n’est plus en mesure d’accueillir des invités ou pour toute autre raison : on demandera alors à un Rav si on peut dévoiler la raison de ce changement.

L’invité peut aider son hôte - même s’il estime que ce n’est pas vraiment à la hauteur de son honneur (mais on ne peut pas l’obliger à effectuer des actions dégradantes).

Si l’invité ressent que sa présence est indésirable, il partira de lui-même sans attendre qu’on le lui fasse comprendre de façon explicite.

Si l’invité se montre plus strict pour la cacherout que son hôte, il a le droit de refuser de manger ce qu’on lui propose. Il peut aussi refuser de manger s’il constate que ses hôtes n’ont pas assez à manger pour eux-mêmes - même s’il les soupçonne d’être avares - et il prétendra agir ainsi pour raisons de santé par exemple.

(d’après Rav Yossef Ginsburgh – Si’hat Hachavoua N° 1453)

Le Recit de la Semaine

 Ces dollars qui ont attendu vingt ans…

Depuis que j’étais toute petite, raconte Esther Lipshitz de Nahariya en Israël, c’est un peu mon oncle Yossef qui m’avait élevée. Il me considérait vraiment comme sa fille, m’avait inscrite aux colonies de vacances Gan Israël du mouvement Loubavitch et c’est grâce à cela que je suis devenue pratiquante. Avec mon mari, nous avons fondé une famille ‘hassidique à part entière qui nous donne toute satisfaction.

« L’année dernière, j’ai vécu un épisode éprouvant. Mon père, Sim’ha est un homme d’affaires prospère qui vit au Brésil. Un jour, il a été kidnappé par des malfaiteurs qui exigeaient une énorme rançon pour sa libération - comme cela est hélas courant dans ce pays. Je me trouvais en Israël à ce moment-là mais mon frère se trouvait à Crown Heights, Brooklyn, New York. Il a immédiatement envoyé son fils prier au Ohel, au cimetière Montefiore où est enterré le Rabbi. Il était deux heures du matin et au même moment, les brigands ont laissé repartir mon père. C’était un miracle incroyable car, d’habitude, les kidnappeurs ne se gênent pas pour torturer leur victime ou même la tuer si leurs exigences ne sont pas remplies.

Quand j’ai pu parler avec mon père, il était évidemment encore très éprouvé mais m’a raconté qu’il s’était senti rassuré quand il avait réalisé que, dans son porte-monnaie, se trouvaient deux billets d’un dollar du Rabbi (il en avait reçu un troisième qu’il m’avait remis quand je m’étais installée en Israël). Cette pensée l’avait presque soulagé : certainement le Rabbi le protégerait.

Mais bien évidemment, ses ravisseurs lui avaient volé son porte-monnaie et ne le lui avaient pas rendu : il devait s’estimer heureux de ne pas avoir été torturé et d’avoir été libéré ! Cependant, il se sentait malheureux d’avoir perdu ces deux billets du Rabbi.

Cela me rappela que, moi aussi, j’avais perdu toute une liasse de dollars du Rabbi. Dans ma jeunesse, j’avais reçu plusieurs fois de sa main des billets d’un dollar (à remettre à la Tsedaka - ou leur contrepartie) ainsi que des fascicules de Torah. C’était un petit paquet que j’emportais toujours dans mes bagages. A une époque, j’avais aidé des Chlou’him (émissaires du Rabbi) en Caroline du Nord pendant plusieurs années, j’avais enseigné à leurs enfants et aux enfants du Talmud Torah. J’avais aidé à la préparation des grandes soirées féminines, j’avais donné des cours de Torah à des dames de la communauté… En 1990, j’étais repartie au Brésil en laissant mon petit paquet en Caroline car je pensais y revenir. Puis j’avais réalisé qu’en fait, je n’y retournerai pas de sitôt et j’avais envoyé un fax à ces Chlou’him pour qu’ils me renvoient mes affaires et, en particulier, ce paquet auquel je tenais beaucoup. Ils l’avaient cherché partout mais ne l’avaient pas retrouvé et s’en excusaient. J’en avais ressenti une grande peine mais je ne pouvais rien y faire. Les années passèrent, je me suis installée en Israël, je me suis mariée, j’ai fondé une famille et j’avais presqu’oublié cet épisode.

Quand mon père m’a raconté qu’on lui avait volé ses dollars, mes souvenirs sont remontés à la surface : j’aurais tant voulu retrouver mes propres billets pour pouvoir lui en donner deux, pour remplacer ceux qu’il avait perdus !

Le même mois, mon neveu Moché qui habite à Crown Heights est venu comme tous les jours prier au 770, la synagogue du Rabbi. Alors qu’il pliait son Talit et ses Téfilines, un jeune étudiant de Yechiva s’est approché de lui et lui dit : « Je vois que sur votre sac de Téfilines, il est brodé que vous vous appelez Savouya… Vous êtes peut-être en famille avec Esther Savouya ? Oui ! Alors téléphonez-moi à tel numéro… Bien sûr, mon neveu m’a aussitôt transmis l’information et mon fils a téléphoné au numéro indiqué : il s’agissait du fils de ces Chlou’him de Caroline du Nord, un de ceux à qui j’avais enseigné la Paracha de la semaine des années auparavant quand il n’était qu’un petit garçon… Dernièrement, il avait rangé un peu de désordre qui s’était accumulé dans la demeure de ses parents et, vous l’avez deviné, il avait retrouvé mon paquet de dollars et les fascicules du Rabbi.

Au bout de vingt ans, j’ai enfin pu récupérer mon bien le plus précieux !

Esther Lipshitz – Kfar Chabad N° 1879

Traduite par Feiga Lubecki