Vers la victoire
Pourim est comme une grande lumière qui embrase l’horizon. Alors que le ciel peut parfois sembler d’une grisaille désespérante, brutalement les plus belles des couleurs l’illuminent : Pourim est là et la joie qu’il incarne grandit, unique et sans pareille.
Cette joie si essentielle dépasse toutes les limites, brise toutes les barrières. C’est là sa nature car elle exprime un au-delà de toutes les contingences. C’est pourquoi elle est justement liée à Pourim, ce jour qui porte une marque d’infini. En effet, lorsque l’histoire de Pourim se déroula, les Juifs durent affronter de dures épreuves. Exilés en Babylonie, ils furent, pendant toute l’année que durèrent ces évènements, soumis à la menace de l’extermination conçue par Haman, approuvée par l’empereur Assuérus. La volonté d’Haman était parfaitement claire :faire disparaître ce “peuple unique”, différent de tous le autres, qui refusait de se soumettre à sa volonté de puissance sans frein. Les Juifs avaient, nous est-il rapporté, une solution simple pour échapper à la menace. Puisque Haman ne souhaitait que la disparition des Juifs en tant que tels, il leur aurait suffi de renoncer à cette qualité, en se convertissant par exemple, pour échapper au sort promis. Pourtant, aucun ne céda à la tentation. C’est au plus profond de leur âme que les Juifs trouvèrent les forces de la résistance et de la fidélité indomptable.
Il n’est, dès lors, guère surprenant que ce dépassement de soi, une fois la victoire miraculeusement obtenue, aboutisse à une joie que rien ne limite. Car cette allégresse est celle de l’éternité, de la vie maintenue envers et contre tous, de l’espoir en un monde et un temps meilleurs.
Alors que nous vivons une période où les ombres semblent trop souvent monter, où l’obscurité redouble d’effort pour empêcher l’apparition de la lumière, Pourim nous rappelle cette vérité ultime : jamais la nuit ne l’emporte sur le jour, jamais le désespoir ne peut vaincre ceux qui avancent sur leur chemin et savent, avec une absolue certitude, que le soleil se lève au bout de la route.
L’éternité de Pourim
A propos du temps de Machia’h, nos Sages ont enseigné (Midrach Michlé 9,2) : “Toutes les fêtes disparaîtront dans l’avenir, à l’exception de Pourim”. Il est clair que cette phrase ne signifie en aucune façon que l’on cessera de respecter des fêtes comme, par exemple, Yom Kippour ou Pessa’h. Cependant, lorsque le Machia’h sera venu, la révélation divine sera si intense que celle qui a normalement lieu pendant les jours de fête semblera aussi insignifiante que la lumière d’une bougie en plein midi.
Pourtant Pourim fait exception. Car le miracle que célèbre ce jour fut suscité par le sacrifice de soi de l’ensemble du peuple juif pendant toute une année. En effet, les Juifs auraient pu, alors que la menace du décret d’Haman planait, se convertir à une autre religion. Ils auraient ainsi échappé au danger. Ils refusèrent ce renoncement et préférèrent la voie du sacrifice. Cette attitude révéla en retour, une lumière divine si intense que, même lorsque le Machia’h viendra, elle ne disparaîtra pas!
(d’après Séfer Hamaamarim 5626, p.34)
Tétsavéh : Aharon
Moché est vrai et sa Torah est vérité ( Talmud Bava Batra 74a)
Sois parmi les disciples d'Aharon : celui qui aime la paix, poursuit la paix, aime les créatures de D.ieu et les rapproche de la Torah ( Maximes de nos Pères 1 : 12).
L'histoire de la génération formatrice du peuple juif trace le portrait de Moché comme l'incarnation parfaite du chef d'Israël. C'est lui qui sort les Enfants d'Israël d'Egypte. C'est lui qui reçoit la Torah de D.ieu et l'enseigne au peuple, etc.
Mais une lecture plus attentive du récit de la Torah révèle que la conduite d'Israël devait être le résultat d'un double effort : toujours présent aux côtés de Moché est son frère aîné, Aharon.
Quand Moché affronte le Pharaon, c'est avec Aharon, qui joue un rôle majeur dans l'accomplissement des miracles et des plaies qui le forceront à libérer les Juifs.
Quand D.ieu ordonne Sa première Mitsvah au Peuple Juif, elle est adressée à "Moché et Aharon. Quand le peuple se plaint, c'est à Moché et Aharon qu'ils adressent leurs réclamations; quand Kora'h défie Moché, c'est également une rébellion (et en fait essentiellement) contre la place .
Ce qui est frappant à propos du duo Moché/Aharon est qu’Aharon n'entre pas dans le moule habituel du "bras droit" ou du "second". Il n'existe pas non plus une claire distinction des tâches réparties entre les deux frères. S'il est vrai que Moché paraît la figure dominante du récit, Aharon est un partenaire à part entière des événements et des entreprises qui transforment un clan d'esclaves libérés en Peuple de D.ieu. Tout se passe comme si Moché ne pouvait rien accomplir sans Aharon et Aharon, quant à lui, paraît dépendant de Moché dans l'accomplissement de son rôle.
La construction et le service dans le Tabernacle nous en offrent un exemple. Dans la Parachah Tétsavéh nous lisons la façon dont D.ieu assigne à Aharon et à ses fils la responsabilité de conduire le service dans le Tabernacle :ils doivent représenter le Peuple dans les tentatives pour s'approcher de D.ieu en Lui offrant des sacrifices et en accomplissant les autres services du Sanctuaire. Il semblerait que cela désigne le Sanctuaire comme étant le domaine d'Aharon. Et pourtant, comme cela a été mentionné plus haut, c'est Moché qui doit construire le Tabernacle. Et c'est Moché qui doit initier Aharon à la prêtrise. Pendant sept jours, Moché doit servir de Cohen (assumant en effet le rôle d'Aharon), offrant les sacrifices apportés par Aharon et ses fils. Le Tabernacle sera de fait le domaine d'Aharon, après les sept jours d'initiation, seuls lui et ses fils pourront y accomplir le service mais c'est un domaine qu'ils ne peuvent atteindre qu'en conjonction avec Moché.
Le baiser
Les versets qui ouvrent Tétsavéh offrent un exemple frappant de l'interchangeabilité des rôles de Moché et d'Aharon.
“Et toi (dit D.ieu à Moché) tu commanderas aux enfants d'Israël qu'ils t'apportent de l'huile d'olive pure écrasée pour que la lumière s'élève de la lampe qui brûlera toujours”.
“Dans la Tente d'Assignation, en dehors du Paro'het qui se trouve devant le Témoignage, Aharon et ses fils l'ordonneront du soir au matin devant D.ieu”.
La tâche d'allumer la Menorah revenait à Aharon et à ses fils; et pourtant l'huile pour l'allumer devait être apportée à Moché.
En fait c'est dans ces deux versets que réside la clé pour comprendre le partenariat de Moché et d'Aharon dans la direction d'Israël.
Dans Chemot 4 :27, la Torah décrit une rencontre émouvante des deux frères au pied du Mont Sinaï. Soixante ans plus tôt, jeune homme de vingt ans, Moché avait fui l'Egypte ; maintenant, le berger de 80 ans était sur le chemin de retour de l'Egypte, missionné par D.ieu pour libérer son peuple de l'esclavage .
Et D.ieu dit à Aharon : "va dans le désert à la rencontre de Moché". Et il y alla et le rencontra au pied de la montagne de D.ieu et il l'embrassa.
Le Midrach décrit de façon plus profonde le baiser des frères:
C'est à cela que se réfère le verset ( Psaumes 85 :11) quand il dit "la bienveillance et la vérité se sont rencontrées, la droiture et la paix se sont embrassées ". La bienveillance, c'est Aharon, la vérité, c'est Moché. La droiture, c'est Moché, la paix, c'est Aharon.
Moché et Aharon avaient la tâche de créer un peuple qui allait servir comme "lumière de D.ieu pour les nations", qui allait disséminer la sagesse et la volonté de D.ieu ? Sa création. C'est une tâche qui est, par définition, impossible: D.ieu est infini, parfait et absolu; le monde qu'Il a créé est fini, toujours insatisfait et terriblement instable. Et pourtant le Juif doit et peut dépasser ce paradoxe, il fait de sa vie un ensemble d'absolus divins basés sur un monde temporel.
Les deux aspects de ce paradoxe s'expriment dans les versets cités ci-dessus du commencement de Tétsavéh : le peuple d'Israël est appelé pour "élever une lampe qui brûle sans fin", une lampe éternelle et immuable ; et pourtant cette lampe doit brûler et jeter sa lumière " du soir au matin ", au sein même des conditions toujours changeantes du monde temporel dans lequel alternent, se mélangent et se supplantent la lumière et l'obscurité.
C'est ici que se trouvent délimitées les fonctions respectives de Moché et d'Aharon : Moché est la source de "l'huile pure" qui nourrit "la lampe éternelle", Aharon est celui qui introduit la lumière dans la réalité "du soir jusqu'au matin".
Forger une nation qui dépassera ce paradoxe requiert "des représentants" des diverses forces divines en jeu : d'un côté, les attributs divins de "vérité" et de "justice" d'où émergent la perfection et l'immuabilité de la Torah de D.ieu; de l'autre, les attributs divins de " paix " et de "bienveillance" d'où jaillissent la diversité et la subjectivité de la création de D.ieu.
Moché, Maître de la Torah et rapporteur de la sagesse et de la volonté divines est la représentation absolue de la perfection et de la vérité. Aharon qui figure l'effort humain pour servir D.ieu en élevant jusqu'à Lui les matériaux de Sa création est le véhicule de la bienveillance et de la paix. Ensemble, ils font et conduisent Israël, le pont entre le Créateur et Sa création.
Que fait-on à Pourim ?
Cette année, Pourim tombe le dimanche 7 mars 2004.
Jeudi 4 mars 2004, on jeûne du matin au soir. Avant l'office de « Min'ha », l'après-midi, on donne trois pièces de cinquante centimes d’euro à la « Tsédaka » (charité) en souvenir de l'offrande des trois demi-sicles pour la construction et l'entretien du Temple. Dans la « Amida », on rajoute la prière « Anénou ».
Samedi 6 mars, après la prière du soir, on écoute attentivement chaque mot de la Méguila, le rouleau d’Esther.
Pourim, les enfants se déguisent, si possible dans l'esprit de la fête en évitant de se déguiser en « méchant ».
Dimanche matin 7 mars, ou éventuellement plus tard dans la journée :
(1) on écoute à nouveau chaque mot de la lecture de la « Méguila ».
(2) ce n’est qu’après avoir écouté la « Méguila » qu’on peut procéder aux autres Mitsvot de Pourim : on offre au moins deux mets comestibles à un ami, en passant par un intermédiaire : un homme à un homme, et une femme à une femme : ce sont les « Michloa'h Manot » ;
(3) on donne au moins une pièce à deux pauvres pour leur permettre de célébrer la fête, c'est : « Matanot Laévyonim ».
(4) dimanche après-midi, on se réunit pour prendre part au festin de Pourim dans la joie.
F. L.
POURIM A DACHAU
Ils étaient arrivés d’Auschwitz par petits groupes d’environ vingt personnes chacun. De fait, ils ne ressemblaient plus à des hommes ; c’était plutôt des squelettes ambulants. Leurs visages étaient devenus triangulaires avec des mentons pointant en avant et des joues creuses. Même leurs lèvres n’étaient plus que des lignes bleuies. Par contre, leurs yeux semblaient immenses, avec un éclat étrange presque lumineux. Dans l’argot du camp de concentration, on les appelait « les Musulmans », nul n’a jamais su pourquoi on désignait ainsi les mourants.
Leur façon de parler yiddish était étrange pour nous, natifs de Lituanie. Eux, ils étaient originaires du ghetto de Lodz puis avaient été déportés à Auschwitz avant d’être envoyés dans notre camp. Ce camp était situé au cœur d’une petite forêt entourée de verts pâturages : un paysage d’une beauté à couper le souffle. Quand j’avais moi-même été transféré là-bas, j’avais pensé : « Rien de mal ne peut arriver dans un environnement aussi idyllique… »
Mais j’avais vite compris que la beauté n’était que dans le paysage. Les Allemands qui nous dominaient n’étaient que des sadiques et des assassins. Les habitants de Lodz étaient tombés dans le même piège. Ils trouvaient qu’en comparaison avec Auschwitz, ce camp était un paradis. Mais nombre d’entre eux périrent après leur arrivée : de coups, de faim et par les terribles travaux forcés.
Mais ils préféraient mourir ici plutôt que dans les chambres à gaz. C’est par eux que nous avons appris cette réalité hallucinante : l’existence de chambres à gaz et de fours crématoires érigés pour assassiner des milliers d’innocents par jour.
Certains des nouveaux arrivants nous racontèrent qu’eux-mêmes s’étaient tenus, sans vêtements, à l’entrée des chambres à gaz quand les Nazis leur avaient soudain ordonné de se rhabiller et de se rendre vers notre camp : ils avaient sans doute un tel besoin désespéré de travailleurs qu’ils faisaient transiter ces squelettes ambulants à travers la Pologne jusqu’à Dachau en Allemagne.
En mars 1945, peu d’entre eux avaient survécu. L’un d’entre eux était connu comme ‘Haïm le rabbin. Nous n’avons jamais réussi à savoir s’il avait vraiment été rabbin mais il tenait à se laver les mains avant de manger, récitait les bénédictions, connaissait les dates du calendrier juif et savait prier par cœur. Parfois, quand les Allemands avaient le dos tourné, ‘Haïm le rabbin organisait la prière du soir.
Le commandant juif du camp, Burgin, l’avait remarqué et il tentait de l’affecter aux travaux les moins difficiles. La plupart des prisonniers mouraient quand ils devaient porter des sacs de 50 kg de ciment. ‘Haïm, le rabbin, n’aurait pas survécu à ce genre de travaux.
Il m’avait dit un jour que, s’il sortait vivant de cette guerre, il se marierait et aurait au moins une douzaine d’enfants.
A la mi-mars, on nous accorda un dimanche, un jour de liberté totalement inattendu. Le camp était couvert de neige, mais ici et là, on sentait que le printemps arrivait. Nous avions entendu des rumeurs sur l’occupation de l’Allemagne par l’armée américaine et l’espoir renaissait dans nos cœurs.
Après le « petit déjeuner » (une tranche de pain moisi, un noix de margarine et de l’eau brunâtre appelée « ersatz de café »), nous pûmes retourner dans nos baraques et nous recoucher un peu.
Soudain nous remarquâmes ‘Haïm le rabbin, debout sur la neige et criant à tue-tête : « Haman sur la potence ! Haman sur la potence ! »
Il portait sur la tête une « couronne » de papier découpée dans le carton d’un sac de ciment, il s’était enveloppé dans une couverture sur laquelle il avait attaché des étoiles découpées dans le même sac de ciment.
Nous étions pétrifiés par cette apparition étrange, incapables de croire nos yeux et nos oreilles tandis qu’il dansait, oui il dansait dans la neige : « Je suis A’hachvéroch, le roi de Perse ! »
Puis il s’arrêta, se redressa, le menton pointé vers le ciel, le bras droit étendu dans un geste impérial et il s’écria : « Haman sur la potence ! Et quand je dis Haman, nous savons tous qui est le Haman d’aujourd’hui ! »
Nous étions persuadés qu’il avait, lui aussi, comme tant d’autres, perdu la raison. Nous étions une cinquantaine de détenus à l’observer, incrédules puis il dit : « Frères juifs ! Que vous arrive-t-il ? C’est Pourim aujourd’hui ! Jouons une pièce de Pourim ! »
Tout-à-coup nous nous sommes souvenus : sans doute sur une autre planète, sans doute il y a des millions d’années, il y avait une fête appelée Pourim, des enfants qui se déguisaient, des gâteaux en forme de triangles qu’on appelle « Hamantaschen » (des oreilles d’Haman)… ‘Haïm le rabbin vivait Pourim, lui il connaissait la date hébraïque alors que nous n’avions plus aucune idée du calendrier. Il décida alors de distribuer les rôles pour la pièce de Pourim : certains se retrouvèrent nommés reine Esther, Morde’haï, reine Vachti… J’eus l’honneur de jouer le rôle de Morde’haï. A la fin, nous avons tous dansé dans la neige. Même à Dachau nous avons ainsi perpétué la tradition de la « Pièce de Pourim ».
Mais ce n’était pas tout. Notre « rabbin » (était-il prophète ?) nous a promis des « Michloa’h Manot », ces cadeaux traditionnels de nourriture. Hallucination ?
Non ! Miracle des miracles ! Dans l’après-midi, une délégation de la Croix Rouge Internationale arriva dans le camp. C’était la première fois qu’elle s’intéressait à notre sort. Mais nous reçumes ses membres en libérateurs parce qu’ils nous avaient apporté les « Michloa’h Manot » promises par ‘Haïm : chacun d’entre nous reçut un paquet contenant une boîte de lait condensé, une petite barre de chocolat, quelques morceaux de sucre et un paquet de cigarettes. Comment décrire notre joie ? Nous mourions de faim et soudain, à Pourim, nous recevions ces cadeaux du ciel, ce festin royal ! Depuis lors, plus personne ne douta de l’esprit prophétique de ‘Haïm, le rabbin.
Sa prédiction s’était révélée exacte. Deux mois plus tard, Haman-Hitler « marcha vers la potence » et se suicida à Berlin tandis que ceux d’entre nous qui avions survécu étions délivrés par l’Armée américaine le 2 mai 1945.
J’ai perdu la trace de ‘Haïm le rabbin lors de « la marche de la mort » entre Dachau et le Tyrol mais j’espère qu’il a survécu et qu’il a pu fonder une nombreuse famille comme il l’avait souhaité. Je me souviens toujours de lui, quand approche la fête de Pourim, pour l’inoubliable « Pièce de Pourim » qu’il nous fit jouer à Dachau.
Solly Ganor
traduit par Feiga Lubecki