Destin
Décider de son sort, prendre en mains son destin : voici de ces expressions nobles et volontaires qui désignent immanquablement à l’admiration publique celui qui les prononce. Ne s’agit-il pas d’une affirmation de volonté louable qui, enfin, ne laisse pas l’homme abandonné aux vents divers mais en fait l’acteur de sa vie ? Pourtant, dire ces mots soulève bien souvent une gêne diffuse. Ce pouvoir revendiqué est-il bien réel ? Est-ce autre chose qu’un vœu pieux ? Avons-nous cette capacité alors que nous vivons dans un monde qui, animé par sa propre dynamique, tend à nous l’imposer subtilement comme si elle était nôtre par nature ? Disons-le en d’autres termes : notre liberté d’agir au quotidien, notre capacité à forger l’avenir existent-elles vraiment ? La question – comme la réponse – présente ici une dimension existentielle. Selon ce que nous en faisons, ainsi nous posons les bases de notre vie. Car c’est à nous d’établir l’espace où se déroule notre action. C’est à nous de fixer les lignes qui déterminent nos évolutions, choisies et pensées.
Il est vrai que l’uniformisation constatable des modes de vie n’incite guère au développement du libre choix. Tout se passe comme si nous étions invités à nous conformer à une identité conçue en dehors de nous mais présentée comme indépassable. «Tous pareils, tous les mêmes !» proclame-t-on haut et fort, écartant le concept de diversité en ignorant délibérément comme c’est là un véritable totalitarisme qui se met en place. Car, sans culture transmise, sans souvenir porteur de vision, en un mot sans passé, quel avenir peut encore faire sens ? Cela revient à transformer chacun en un atome anonyme, perdu sur le flux du temps. Or l’homme ne peut grandir ainsi car il ne peut pas alors assumer pleinement sa qualité de créature pensante. La société de consommation aurait peu à peu conduit à une société de consumation.
Le peuple juif a, depuis longtemps, trouvé des réponses à ces interrogations. Construit largement sur la notion de liberté, il ne peut envisager que l’homme y renonce car il la porte comme chevillée à l’âme. Elle est à la fois son moteur et sa conquête. Il en vit et la fait vivre. C’est dans ce contexte que retentissent les mots éternels : «Il n’est d’homme libre que celui qui se consacre à la Torah.» La Torah, son étude libèrent. A nous de créer les jours qui viennent.
Le sens de la vérité
Dans le cas où le propriétaire d’un objet ne peut pas être déterminé avec certitude, le Talmud tranche (Baba Metsia 1:8) : «L’objet restera en dépôt jusqu’à ce que vienne Eliahou», le prophète Elie, annonciateur de la Délivrance, qui fera savoir la vérité.
Un jour, un ‘hassid enseignait à ces élèves ce passage. L’un d’entre eux demanda : «Comment peut-on donner l’objet sur la simple parole d’Eliahou ? Il n’est qu’un témoin unique. Or, nous avons appris que, pour être valable, tout témoignage doit être apporté par au moins deux personnes !»
Le professeur répondit alors : «Quand Elyahou viendra, la vérité illuminera dans le monde. Celui qui avance aujourd’hui des arguments mensongers criera alors que la vérité est du côté de la partie adverse.»
(D’après les notes du ‘hassid Rav Yo’hanan Gordon) H.N.
Tetsavé
L’amour et la discipline
Qu’est-ce qu’une ceinture?
Chaque matin, les Juifs remercient D.ieu de «ceindre Israël avec force». Selon le Talmud, cette bénédiction est prononcée au moment où l’on met notre ceinture. Elle est associée à la force. Ainsi dans les Psaumes, le Roi David décrit D.ieu comme «ceint avec force». En tant que guerrier, il envisageait très certainement le ceinturon comme un accessoire qui renforce la colonne vertébrale et porte l’arme du soldat.
Mais la tradition juive donne à cette ceinture une dimension autre, plus spirituelle. Elle entoure le corps entre le cœur et le torse, séparant symboliquement les parties inférieures et plus basses de l’homme de son cœur et de son esprit. En fait, de nombreux Juifs, et tout particulièrement les ‘hassidim, portent une ceinture particulière (que l’on appelle gartel) durant la prière, pour se rappeler de bannir les pensées inappropriées.
C’est ainsi que dans nos prières du matin, nous remercions D.ieu de nous ceindre avec la force de caractère qui nous donne la possibilité de nous attacher exclusivement à tout ce qui est saint et divin.
En fait, l’un des premiers commentateurs de la liturgie juive, l’Aboudahram, lie cette bénédiction au verset de Yirmiyahou (Jérémie) : «Ainsi qu’une ceinture entourant le torse humain, ai-Je attaché toute la Maison d’Israël à Moi». Cette ceinture était habituellement portée sur des habits trop larges et était le seul accessoire qui serrait étroitement le corps. Lorsque nous nous ceignons ainsi, nous prions pour que D.ieu nous attache à Lui. Et par là-même, nous nous rappelons que ce lien demande à la fois la pureté de l’esprit et la force de caractère.
Aussi, quand D.ieu dit à Job : «Ceins ton torse comme un guerrier», nous comprenons cette phrase à deux niveaux. Le sens littéral implique que D.ieu conseillait à Job : «prépare-toi à résister à tes afflictions». Mais dans une acception plus profonde, D.ieu lui disait également de renforcer ses relations avec Lui, se référant ainsi à ses forces physiques et spirituelles. Comme l’explique un commentateur, chez un Juif, la force spirituelle se traduit en force physique car D.ieu protège Ses enfants quand ils suivent Sa voie.
Cela nous ramène à la ceinture portée par les Cohanim (les Prêtres) dans le Temple qui nous est décrite dans Tetsavé. Ils la portaient sous le cœur, ce qui amène le Talmud à commenter que cette ceinture avait pour fonction d’écarter les pensées impures du cœur.
Nous avons ici l’amalgame parfait des deux dimensions de cette ceinture : ceindre fortement le buste du Cohen purifie également le cœur, l’attachant à des pensées plus élevées, saintes et reliées à son service divin.
Attacher la ceinture sacerdotale
Un débat talmudique fascinant discute de l’ordre dans lequel Moché attacha les ceintures sur le Grand Prêtre, Aharon, et sur ses fils, le jour inaugural du service.
La Torah présente le récit de ce jour à deux reprises, la première, lors des instructions qu’adressa D.ieu à Moché et à nouveau lorsqu’elle relate ce qui se passa concrètement en ce jour. Cependant une différence apparaît entre les deux récits. Dans le livre de Chemot (l’Exode), D.ieu instruit d’abord Moché d’habiller Aharon, le Grand Prêtre, de ses habits sacerdotaux puis d’habiller ses enfants. En tout dernier lieu, Il lui commande d’attacher les ceintures autour du torse de chacun. Dans le livre de Vayikra (le Lévitique), nous lisons, dans la description des cérémonies inaugurales, que Moché revêtit Aharon de ses vêtements et de la ceinture puis il en fit de même pour ses fils.
Le Talmud assume que Moché ne s’écarta pas des instructions de D.ieu. La question est simplement de savoir pourquoi la Torah rapporte de façon différente la manière dont Moché s’en exécuta.
Comme à l’habitude, dans le Talmud, se soulèvent deux opinions. L’une veut que Moché attachât toutes les ceintures en même temps. La Torah indique qu’elles furent ceintes séparément pour nous enseigner que la ceinture du prêtre était fabriquée à partir d’un tissu particulier et ne pouvait être mélangée avec les ceintures des simples prêtres. Bien qu’attachées en même temps, elles n’étaient pas semblables.
La seconde opinion indique que Moché attacha les ceintures séparément. La Torah implique qu’elles devaient être attachées ensemble pour nous enseigner qu’elles étaient fabriquées à partir du même tissu et donc étaient interchangeables.
La discipline parentale
En quoi ces événements vieux de plus de 3300 ans nous concernent-ils ?
Nous avons vu que la ceinture représente à la fois la force physique et la pureté du cœur. Quand nous élevons nos enfants, nous devons parfois faire montre de comportements sévères et de stricte discipline. Mais nous devons également conserver notre amour et la pureté du cœur. Nous devons nous rappeler que le but de nos efforts n’est pas d’exercer le contrôle sur notre foyer et certainement pas d’avoir le dessus sur nos enfants. Il s’agit de les élever pour qu’ils deviennent des membres de la société équilibrés et productifs.
Aharon portait sa ceinture, son symbole de force, à côté de ses enfants parce ce que sa propre force les inspirait pour être, eux-mêmes, forts. De la même façon, nous disciplinons nos enfants, non pour les briser mais pour les renforcer. En être conscient assure que notre discipline sera efficace et emprunte d’amour.
Les deux opinions talmudiques tombent d’accord sur le fait que nous devons combiner force et amour. Leur différence réside dans le fait de savoir si nous devons révéler notre amour au moment de la discipline.
Selon la première opinion, il y avait un moment où Aharon se tenait devant ses enfants dans ses vêtements flottant librement, ce qui représente l’amour librement exprimé, sans mention de discipline, et puis, il attachait sa ceinture devant eux. Ainsi, même alors, ils savaient qu’ils étaient aimés. Cela nous enseigne que les parents doivent exprimer leur amour à leurs enfants même lorsqu’ils les disciplinent.
La seconde opinion ne va pas dans le même sens et exprime qu’il y a un temps pour tout : un temps pour l’amour et un temps pour la discipline. Quand il est nécessaire d’exprimer l’amour, il est désastreux de vouloir montrer à l’enfant la stricte discipline. Et inversement, quand on fait preuve de discipline avec une douceur emprunte d’amour, le message est dilué et l’enfant en est confus.
Il ne faut en aucun cas faire preuve de sévérité sous l’emprise de la colère et en oublier notre amour. Un mot dur ou une action suscitée par la colère ne peuvent jamais être retirés et, pire encore, peuvent affecter l’enfant à vie. La discipline ne doit s’exercer qu’avec amour. Cet amour peut trouver son expression au premier plan, comme le veut la première opinion, où à l’arrière-plan, ce qui va dans le sens de la seconde opinion, mais il doit toujours être présent.
Vaut-il mieux donner à la Tsedaka une grosse somme en une fois ou en plusieurs fois ?
De fait, cette question en comprend deux :
1) Vaut-il mieux donner toute la somme que l’on destine à la Tsedaka à une seule cause ou à plusieurs ?
2) Si l’on donne tout pour une seule cause, faut-il tout donner en une seule fois ou en plusieurs fois ?
D’un côté, la Mitsva de Tsedaka consiste à donner au nécessiteux «ce qui lui manque» (Devarim – Deutéronome 15 : 8). D’un autre côté, il faut donner le dixième ou – mieux – le cinquième de ses revenus. Les Sages comparent la Tsedaka à une armure en se basant sur le verset : «Il s’est habillé de Tsedaka comme une armure» (Isaïe 59 : 17). «De même que l’armure est constituée de fines particules qui, ajoutées les unes aux autres, constituent une grande armure, de même chaque pièce donnée à la Tsedaka finit par constituer une grosse somme».
Par ailleurs, il est écrit dans les Pirké Avot : «Tout est fonction de la multiplication des actions». Rambam (Maïmonide) explique : «Plus l’homme multiplie les actions de bienfaisance et agit constamment en faveur du bien, plus il acquiert cette qualité : celui qui donne cent pièces d’or en cent fois ne ressemble pas à celui qui donne cent pièces d’or en une seule fois !».
Même le Choul’hane Arou’h (Yoré Déa 257 : 9) tranche en prenant en considération le point de vue des nécessiteux : «Il ne faut pas donner tout son argent à un seul pauvre afin de ne pas amener la famine dans le monde».
Il est préférable de distribuer l’argent dans plusieurs boîtes de Tsedaka (en plus des pièces qu’on donne chaque jour avant la prière du matin et de l’après-midi, avant l’allumage des bougies de Chabbat…).
Si on doit s’occuper d’une personne nécessiteuse en particulier, on doit lui procurer «ce dont il a besoin» tout en se réservant le droit de distribuer aussi des pièces à d’autres causes charitables.
F.L. (d’après Rav Yossef Ginsburgh – Pinat Hahala’ha)
“J’ai pleinement confiance en ce saint homme !”
L’invité d’honneur du “Chabbat Machia’h” cette année (Chevat 5774), à Jérusalem,
était le Rav Zouché Zilberstein, émissaire du Rabbi à Montréal – Canada. Donnons-lui la parole :
Dans le cadre de mon activité, je rends visite aux détenus juifs dans les prisons. Il y a quelques années, un Israélien fut condamné à 18 ans de prison, pour trafic de drogues.
J’avais coutume de lui rendre visite, de lui mettre les Tefilines et de converser avec lui. Les effets ne se firent pas attendre. Après trois ans de détention, il présenta une requête de grâce, qui fut repoussée. Ainsi s’écoulèrent encore trois ans, pendant lesquels il se renforça dans la pratique de la Torah et des Mitsvot.
À l’issue de la sixième année, il présenta une nouvelle requête de grâce et je fus moi aussi invité à l’audience, qui se déroula devant deux juges.
Qu’avez-vous donc à dire, lui demanda le juge. La déclaration du prisonnier se présenta comme fort bizarre : “tout d’abord, je désire clarifier le fait que je suis déjà libre !”, dit-il.
Au juge qui lui demanda d’éclaircir cette surprenante affirmation, il répondit : “Jusqu’à mon entrée en prison, j’étais captif, prisonnier et asservi à l’argent et c’est pourquoi j’ai fait ce que j’ai fait. Depuis quelques années, je me suis renforcé dans mon Judaïsme et dans l’observance de la Torah et des Mitsvot et je me suis libéré de l’asservissement à mes passions ; de sorte que maintenant, je suis libre !…”
Le juge suivit attentivement ses paroles, puis il m’invita à parler. Je lui dis que j’assistais le détenu depuis ces dernières années et que j’étais à même de témoigner qu’un changement significatif s’était opéré en lui.
– Mais, si nous le libérons, objecta le juge, il devra quitter le Canada et retourner en Israël et là-bas, sans subvention, il retombera dans le cercle vicieux du délit...
Je fis alors part au juge qu’il avait déjà été convenu avec le recteur d’une Yechiva en Israël de lui offrir un asile et de l’intégrer dans son établissement, jusqu’à sa réinsertion. Le juge s’informa alors de quelle Yechiva il était question et je lui répondis qu’il s’agissait de la Yechiva Loubavitch de ‘Haïfa.
À ce stade, le juge annonça que nous devions sortir de la salle, jusqu’à ce qu’ils prennent leur décision. Nous y fûmes réintroduits une dizaine de minutes plus tard.
“Nous avons été très impressionnés par vos paroles, dit le juge au détenu. Nous avons été heureux de les entendre, mais je dois avouer que, malgré tout, je ne vous crois pas !...
[Il est impossible de décrire le désappointement et l’anéantissement que nous ressentîmes en ce moment pénible!...]
…Tandis que oui, continua le juge, je crois le Rav qui a dit avoir préparer votre intégration dans une Yechiva Loubavitch et c’est pourquoi, vous êtes libre !”
Nous étions en état de choc.
C’est seulement à l’extérieur de la prison que nous avons commencé à véritablement réaliser qu’il était libéré. Nous nous étreignîmes sous l’effet d’une joie débordante. Tout à coup, je remarquai que le juge sortait. Je me suis alors dirigé vers lui et lui ai demandé de m’expliquer la raison de sa décision.
Le juge nous raconta qu’un soir, quelques années auparavant, alors qu’il “feuilletait” les chaînes de télévision, apparut tout à coup sur l’écran l’image d’un rabbin, orné d’une barbe et au regard frappant, qui parlait à un public nombreux, des juifs comme lui portant barbe et chapeau (c’était le Rabbi de Loubavitch).
Le juge continua et raconta qu’il assista ainsi à cet événement qui dura plusieurs heures, bien qu’il n’en n’ait pas compris un mot. Il est vrai qu’il y avait une traduction simultanée, mais les concepts étaient tout nouveaux pour lui. Le numéro de téléphone qui apparaissait au bas de l’écran lui permit de s’enquérir quand aurait lieu la prochaine séance (le Farbrenguen), et ainsi, des années durant, il ne renonça en aucun cas, à aucune de ces retransmisions. De là, il apprit la grandeur de cet homme.
“Lorsque vous avez dit qu’il s’agissait d’une Yechiva Loubavitch, j’ai estimé que c’est une Yechiva des disciples de ce saint homme et, en lui, j’ai pleinement confiance !”, dit le juge non-Juif…
Récit paru dans “La Si’ha de la Semaine”
éditée en Israël par le rav David Lesselbaum