Semaine 9

  • Tetsavé
Editorial
A l’heure du choix

Pourim n’est plus, à présent, simplement à notre porte. Il emplit déjà tout notre horizon spirituel. C’est une fête grande et belle et la joie qu’elle apporte comme un élément de son essence est décidément incomparable. Certains aspects de son histoire, racontée dans le livre d’Esther, nous laissent cependant un peu interrogateurs. De fait, la menace d’Haman, l’ennemi du peuple juif, est extrêmement précise. Voyant que Mordé’haï refuse de se prosterner devant lui malgré ses ordres, il s’enquière de sa personnalité, de son peuple. Qui est donc cet homme qui ne plie pas ? Apprenant ainsi qu’il s’agit d’un Juif, Haman voit dans cette attitude bien plus que «l’insolence» d’un individu, il y voit l’affirmation d’une identité, d’une pensée, finalement d’un mode de vie. Il décide donc de faire disparaître ce qu’il considère comme une menace contre l’affirmation de son propre pouvoir, contre son orgueil démesuré : il entreprend d’anéantir tous les Juifs. On connaît la suite et son échec qui le conduira à la mort tandis que les Juifs connaîtront l’allégresse sans limites.
Ce bref rappel souligne cependant que la vindicte d’Haman n’est pas motivé par une sorte de «racisme» avant la lettre. L’empire perse est alors une mosaïque de peuples. Il inclut cent-vingt sept provinces, s’étend de l’Inde à l’Ethiopie. Un peuple parmi tant d’autres ne devrait pas lui poser grand problème… Ce qui dérange Haman, ce sont les idées que ce peuple étonnant incarne, ce que l’on appellera plus tard le judaïsme. Voici donc des gens qui, bien qu’en exil, ayant perdu leur indépendance avec leur terre, refusent de se prosterner devant un homme, ce qui semble pourtant un acte bien simple pour tous les autres. La réaction des Juifs devant la menace d’extermination ne fait, du reste, que confirmer ses soupçons. Puisqu’il s’agit d’un combat d’idées, il suffirait que les Juifs affirment qu’ils cessent d’adhérer aux principes de leur foi, qu’ils se rallient à l’opinion commune, à la majorité, et, oublieux d’eux-mêmes, se prosternent et s’agenouillent devant le puissant comme devant une divinité. Haman aurait été rassuré et l’histoire de Pourim n’aurait jamais fait partie de notre conscience collective. C’était là, sans doute, un choix logique mais ils ne le firent pas. Ils choisirent le chemin de l’éternité plutôt que celui de la facilité… et ils vainquirent.
Ne nous méprenons pas : c’est là l’héritage que ces hommes, ces femmes et ces enfants nous léguèrent. C’est un héritage de conviction, de fidélité, de force d’âme et, finalement, d’héroïsme de chaque jour. C’est toujours aujourd’hui notre choix. Il nous conduit à la plus grande Lumière.
Etincelles de Machiah
Se plonger dans la ‘Hassidout

Nous voulons l’accomplissement de la prophétie relative au temps de Machia’h «comme les eaux couvrent la mer». La règle de l’immersion est que le corps entier doit être totalement immergé dans l’eau, y compris la tête.
Il s’ensuit que chacun doit se plonger dans l’étude de la ‘Hassidout au point que celle-ci pénètre son existence jusque par dessus la tête… C’est là la préparation pour «le monde sera empli de la connaissance de D.ieu comme les eaux couvrent la mer».
(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch – 12 Chevat 5714) H.N.
Vivre avec la Paracha
Tetsavé

«Regardez le Tabernacle pour y prendre le modèle d’une vie spirituelle » disent les Kabbalistes. « En étudiant sa structure et son aménagement vous pouvez découvrir beaucoup de connaissances sur la structure et l’ «aménagement» de votre propre vie.»
Observons la Menorah, le candélabre à sept branches qui illuminait le Tabernacle. Le Talmud dit que l’éclat de la Menorah rayonnait même à l’extérieur du Sanctuaire. En fait, il avait pour but d’éclairer le monde entier. Dans le Tabernacle humain, la Menorah représente la lumière intérieure de chaque personne, la lumière de l’âme qui, lorsqu’elle apparaît, irradie le monde. Cultiver notre lumière intérieure est le but d’une vie et le processus en est décrit dans les instructions données par D.ieu pour allumer la Menorah.
L’une des clés pour découvrir les secrets de la Torah est d’être sensible à certaines tournures grammaticales inhabituelles ou qui paraissent illogiques dans son langage. Chaque fois que la Torah se détourne de sa structure linguistique usuelle, cela nous encourage à observer le verset plus profondément. Plus l’expression en est étrange plus il nous livre de secrets.
Quand D.ieu commence à donner Ses instructions pour la Menorah, Il dit à Moché : «Et tu ordonneras aux Enfants d’Israël et ils t’apporteront de l’huile d’olive pure, broyée pour le luminaire, pour allumer les lampes…» (Chemot 27 : 20)
Cela semble assez clair. Mais, analysés de plus près, ces simples mots parlent beaucoup plus qu’il n’y paraît.
Tout d’abord quand D.ieu donne des instructions à Moché, on se serait attendu à «Parle (ou commande) aux Enfants d’Israël…». Or ici, D.ieu dit : «Et tu ordonneras aux Enfants d’Israël». Ce léger changement de la norme ne constitue pas seulement un changement technique mais aussi un changement philosophique. D.ieu veut-Il que Moché transmette le message de D.ieu ou D.ieu désire-t-Il que Moché prenne une part plus active et plus ostensible en relayant Ses instructions ? Quel type d’intermédiaire D.ieu attend-il qu’il soit ?
D’autre part, que veulent impliquer les mots «broyée pour le luminaire ?» D.ieu n’aurait-Il pas dû dire : «broyée pour illuminer ?». Après tout, l’olive était utilisée pour illuminer le Tabernacle et pas seulement pour être posée en haut de la Menorah, le luminaire.
Ces deux expressions inattendues sont comme des drapeaux rouges agités dans notre direction pour nous pousser à approfondir les mots.

«Broyée pour le luminaire»
Le luminaire représente les profondeurs de l’âme, l’essence de sa source de lumière d’où émanent toutes ses forces et ses talents. Semblable à l’adrénaline, cette source de lumière puissante et essentielle est réservée pour des moments de grande nécessité. Habituellement nous n’y avons pas accès. Mais «broyée pour le luminaire», quand nous sommes dans l’urgence ou le défi, l’essence de l’âme jaillit et nous gagnons alors une force extraordinaire.
C’est ainsi que tout au long de l’histoire, les Juifs purent rester engagés à la Torah malgré les terribles dangers que suscitait cet engagement. Par exemple, malgré la menace d’Haman d’annihiler la nation juive toute entière, les Juifs ne renoncèrent pas à leur identité juive, ils ne tentèrent pas même de la cacher. Ils se réunirent publiquement dans la prière et l’étude de la Torah.
D.ieu demanda de l’olive qui était «broyée pour le luminaire». Il lance des défis immenses parce qu’il existe des occasions de manifester l’endurance et la grandeur, la lumière qui illumine l’environnement.
Mais un autre ingrédient est nécessaire pour pouvoir supporter la douleur d’être broyé et la transformer en énergie productrice.

«Et tu ordonneras aux Enfants d’Israël»
Le mot Tetsavé, «ordonneras» possède un autre sens : lier. Ainsi le verset peut se lire : «et toi (Moché), tu lieras les Enfants d’Israël (à D.ieu) et ils t’apporteront de l’huile d’olive…». Le rôle de Moché consiste à rapprocher le peuple de D.ieu.
Moché, explique la Kabbale, est un expert pour cultiver et nourrir la foi en D.ieu. Cela ne signifie pas que sans lui, il n’y aurait pas de foi en D.ieu ! La foi est un constituant de notre âme. Mais elle a tendance à rester abstraite et ne pas avoir d’impact sur notre vie quotidienne. Le «travail» de Moché consiste à faire actualiser la foi, la rendre consciente et active
Et c’est tout particulièrement quand Il parle de l’huile pour la Menorah que D.ieu pointe le doigt vers Moché et dit : «tu lieras» : ton rôle est vital pour attacher la conscience du peuple à son Créateur. Parce que plus notre foi en D.ieu est tangible, mieux nous arrivons à transformer les défis que nous rencontrons en opportunités pour nous réaliser personnellement.
Ou pour le dire en d’autres termes, la tâche de Moché, alimenter la foi de son peuple, s’exprime le mieux quand nous sommes «broyés». Car c’est alors, quand la foi essentielle est stimulée, qu’elle prend une vitesse extraordinaire et s’active en des engagements lumineux pour D.ieu.
Et chaque génération possède son propre Moché. Quand les Juifs apprirent le plan démoniaque d’Haman, ce fut Morde’haï, le Moché de cette génération, qui les inspira pour avoir la foi et se lier à D.ieu bien plus intensément que précédemment. Sous sa direction, ils relevèrent ce défi et purent se régénérer à une source de forces qui ne leur était pas accessible dans des conditions normales.
Si nous relisons les instructions de D.ieu à Moché à travers le prisme de l’interprétation de la Kabbale, c’est ainsi que nous pouvons les comprendre : le dirigeant juif joue un rôle actif pour nourrir la foi de ses disciples. Et quand ils sont broyés et confrontés à un défi, ils exploitent leur luminaire et accèdent en eux à une lumière et une force dont ils ignoraient l’existence.
Parfois, un leader juif, comme Moché, a la chance de vivre dans une ère de liberté et de prospérité, personne n’étant «broyé». Comment alors pouvoir permettre ce type d’essor qui vient des épreuves, l’huile qui vient de l’olive broyée ?
C’est alors que Moché se trouve devant une opportunité incroyable. Il doit inspirer ses disciples à lancer eux-mêmes un défi.
Il se peut qu’aucune force extérieure ne vous fasse ressentir d’inconfort, ni les Perses, ni les Grecs etc. Mais êtes-vous à l’aise ? Etes-vous satisfaits de vous-mêmes, du statu quo, de la vie en exil ?
Ce Moché nous inspire alors avec la vision d’une vie meilleure, une vie plus orientée vers D.ieu, au point que nous nous sentions mal, voire complètement broyés, par notre situation présente.
Et c’est alors que l’huile commence à couler. L’huile est plus précieuse, plus puissante que tout !
Le Coin de la Halacha
Qu’est-ce que Chabbat Za’hor ?

Le Chabbat précédant la fête de Pourim, on lit une Paracha (section hebdomadaire de la Torah lue en public à la synagogue Chabbat matin) supplémentaire – après la lecture de la Paracha «normale». Elle commence par les mots «Za’hor Eth Achère Assa Le’ha Amalek», «Souviens-toi de ce que t’a fait Amalek» (une peuplade qui attaqua le peuple juif qui venait de sortir d’Egypte alors qu’il se dirigeait vers le mont Sinaï).
A Pourim le peuple juif a été sauvé des griffes d’Haman, un descendant d’Amalek.
Amalek représente d’une part l’impudence de celui qui reconnait les miracles de D.ieu (dix plaies, sortie d’Egypte, passage de la Mer Rouge…) mais qui décide néanmoins de s’opposer à Lui et, d’autre part, la froideur et la doute qui tempèrent l’enthousiasme que le Juif éprouve de façon naturelle pour la Torah et les Mitsvot.
C’est une Mitsva édictée par la Torah d’écouter attentivement la lecture de la Paracha Za’hor. Par ailleurs, c’est un des six «souvenirs» auquel chaque Juif est astreint à chaque instant (les cinq autres sont :
- Le jour de la sortie d’Egypte
- Le jour du don de la Torah sur le mont Sinaï
- Le fait que les enfants d’Israël ont mis D.ieu en colère dans le désert
- Ce qui est arrivé à Myriam (qui avait parlé contre son frère Moïse et qui a été punie de la lèpre)
- Le jour du Chabbat qui doit être sanctifié).

F. L. (d’après Hil’hot Ha’hag Be’hag)
De Recit de la Semaine
Le déguisement

Chaque année, dans le Beth ‘Habad de l’Université de Californie, sur le campus de Berkeley, nous organisons une énorme fête de Pourim : c’est un événement à ne pas manquer. Chacun ressent profondément l’ambiance festive, aidé en cela par l’abondance de friandises cachères distribuées dans les emballages les plus recherchés.
Le moment le plus frénétique est atteint quand le comité des fêtes annonce le vainqueur du concours de déguisements.
C’est Rav Yehouda Ferris, directeur du Beth ‘Habad et lui-même déguisé avec un curieux chapeau multicolore, qui prend le micro pour déclarer en fanfare le nom du héros du jour. Certains déguisements sont très élaborés et ingénieux, d’autres sont plus classiques. Remarquez, rien n’est vraiment classique à Berkeley, nous sommes en Californie n’est-ce pas !
Je n’oublierai jamais la fête de Pourim d’il y a quelques années quand il fut proclamé que c’était «Steve le bohémien» qui avait gagné le concours. Chacun éclata de rire quand on découvrit que Steve le bohémien ne s’était pas du tout déguisé. Il s’était habillé ce jour-là «normalement» pour lui, c’est-à-dire à la façon négligée des hippies de l’époque.
Comment Steve le bohémien avait-il atterri dans cette fête de Pourim ? Telle était la question de tous les étudiants et de leurs proches.
Tout avait commencé par Léa, une jeune fille qui fréquentait de temps en temps le Beth ‘Habad. Comme de nombreux jeunes de son âge, elle aimait flâner dans le quartier animé de Telegraph Avenue – là où traînaient ceux qui se proclamaient en révolte contre la société de consommation, qui prônaient la non-violence, la paix et l’amour avec une confusion touchante. Léa avait rencontré Steve sur Telegraph Avenue et, dès qu’elle avait compris qu’il était juif, elle avait insisté pour qu’il assiste à la fête de Pourim ce jour-là.
Steve avait sans doute bien intégré l’esprit de Pourim car il ne se formalisait pas du tout d’avoir gagné le concours. De fait, loin d’être vexé par cet honneur inattendu, Steve se souvint avec affection de son déguisement et cette fête fut la première de nombreuses visites au Beth ‘Habad ; ce fut pour lui le point de départ d’une nouvelle étape dans sa vie. Après cette première rencontre, il continua de fréquenter le Beth ‘Habad du campus de Berkeley. Il s’intéressa à tout ce qu’on lui proposait : Téfilines, étude, prière, repas chabbatiques, musique ‘hassidique. Il absorbait comme une éponge les cours de Tanya (le livre de base de la philosophie ‘hassidique) et buvait avec avidité les enseignements mystiques et pratiques qu’en tirait Rav Ferris. Ses doutes et ses questions disparaissaient au fur et à mesure que son habillement évoluait vers plus de classicisme.
Steve est maintenant un Juif pratiquant (comme l’est d’ailleurs devenue Léa qui élève une belle famille en Israël).
Il téléphone chaque veille de Pourim aux Ferris, quel que soit l’endroit où il se trouve, pour leur raconter son évolution et leur souhaiter avec émotion une joyeuse fête de Pourim.
Chaque année, à l’approche de Pourim, quand je commence à réfléchir aux déguisements de mes enfants, je repense à Steve le bohémien, comment Pourim a eu la capacité de lui ôter le déguisement qui recouvrait en lui l’étincelle qui couve dans chaque âme juive.

Chaya Gray (L’Chaim n°176)
traduite par Feiga Lubecki