Souviens-toi
L’histoire, en particulier pour notre peuple, est rarement le simple et régulier déroulé de jours semblables. Sans même évoquer ces séquences de drame où, tout à coup, l’horizon des hommes s’obscurcit à la mesure de leur conscience, les temps se succèdent mêlant l’espoir et son contraire, l’ouverture à la vie et le repli sur soi, la ferveur et l’endormissement, le souvenir et l’oubli. De fait, notre époque invite largement à une forme d’unanimisme planétaire. Avec une culture mondialisée et des modes de vie de plus en plus semblables, la conscience maintenue de ce que l’on est, de sa propre histoire – comme la fidélité à son patrimoine spirituel, moral et culturel – devient un phénomène qui attire l’attention. Pourtant, comment les hommes pourraient-ils se comprendre vraiment s’ils devenaient tous identiques ? Peut-on véritablement échanger avec sa propre image renvoyée dans le miroir universel ? Nos textes ont, pour cela, un mot qui fonde une existence : « Souviens-toi. » Nous souvenir, cela signifie savoir ne pas perdre son chemin, rester pénétré de valeurs fondatrices, en d’autres termes poursuivre sereinement le voyage.
Et il y a un autre «souviens-toi», celui qui s’adresse aux ennemis éternels de tout ce qui fait la société des hommes : la paix, le bonheur, la pensée libre, le respect de l’autre. Il est vrai que le peuple juif a connu bien des vicissitudes au cours de son histoire, qu’il a traversé plus souvent les torrents de la haine que les fleuves tranquilles de la fraternité. Il reste cependant toujours présent, avec sa conscience têtue et son témoignage millénaire ; il est porteur d’un message reçu au Sinaï il y a 3500 ans et il sait qu’il lui appartient de l’incarner jour après jour. Disons-le encore, il se souvient. Rien ne peut le détourner de sa route, même si elle semble longue et parfois semée d’obstacles. Il reste décidément lui-même en des temps où l’oubli paraît à certains si tentant. Il entend l’appel qui traverse les âges : «Souviens-toi.»
Se souvenir, c’est ainsi, à la fois, comme une réponse à tous les porteurs de malheur et une manière de vivre. Mais ce souvenir-là, parce qu’il est fort et réel, sait construire une mémoire ouverte, une richesse pour tous les hommes, aux antipodes de ceux qui veulent détruire ce qui ne leur ressemble pas. «Souviens-toi» résonne ainsi comme un appel à la vie. Et celle-ci est belle de toutes les voix humaines qui en constituent ensemble la grande musique. Ce n’est pas en vain que le peuple juif est aussi celui du souvenir. Pour la vie.
Etre au talon
Le principal est notre génération, celle des «talons de Machia’h». Les talons soutiennent et maintiennent le corps. Notre génération maintient toutes celles qui l’ont précédée.
Cependant les saletés s’accumulent autour du talon. Ainsi nous observons aujourd’hui un renforcement du mal. Il faut multiplier la lumière et, de façon automatique, le mal sera repoussé.
(D’après Séfer Hasi’hot 5689 p.50)
Tetsavé
Ce Chabbat est appelé Chabbat Za’hor puisque, outre la Paracha Tetsavé, on y lit une partie de la Torah, Za’hor, extraite du Livre de Devarim (25 :17-19). D’autres sujets sont également associés à ce Chabbat. Si la Providence Divine réunit ces divers éléments, cela indique qu’ils doivent présenter un thème commun. Et l’ensemble doit nous donner une leçon pour notre service divin.
Za’hor («Rappelle-toi») présente un lien avec la fête de Pourim et avec le 7 Adar. Le Talmud déclare que cette seconde des quatre Parachiot particulières doit être lue le Chabbat qui précède Pourim, comme l’explique Rachi, «de telle sorte que l’on rapproche l’éradication d’Amalek de l’éradication d’Haman» (Rachi, Meguila, 29a). Le 7 Adar (anniversaire de la naissance et de la mort de Moché) tombe toujours la semaine qui précède le Chabbat Za’hor qui inclut donc également le thème de ce jour.
Quel est donc le lien entre Pourim et le 7 Adar ? Le Talmud enseigne : «Ils ont tiré un pour, c’est-à-dire un tirage au sort. Un Sage enseigna : quand le sort tomba sur le mois d’Adar, il (Haman) se réjouit intensément, disant que «le sort est tombé pour moi, sur le mois où Moché est mort». Il ignorait, cependant, que Moché était également né le même jour».
C’est pourquoi le plan d’Haman, tout comme le tour ultime que prirent les événements et la chute finale d’Haman, sont tous liés au 7 Adar.
Nous observons l’importance de la signification du tirage au sort d’Haman par le fait que la fête est appelée Pourim. Ainsi Pourim et le 7 Adar sont liés. Mais qu’en est-il de la Parachat Za’hor ?
Les concepts de Za’hor («Souvenir») et du tirage au sort sont opposés. Le souvenir concerne quelque chose qui s’est produit dans le passé. Nous devons nous en souvenir car il désigne un but. Par contre, le tirage au sort évoque le hasard, l’incertitude, quelque chose qui n’est ni organisé ni prévu.
Ce phénomène trouve une intéressante illustration en relation avec le partage de l’héritage de la Terre d’Israël.
La Torah statue que le partage des différentes parties d’Erets Israël se fit par un tirage au sort. : «Néanmoins, la terre sera partagée par le tirage au sort», mais en même temps par Inspiration Divine. Rachi explique tout le processus dans son commentaire (Bamidbar 26 :54) : «...On assigna des parts en fonction du nombre de membres de la tribu, toutefois on ne suivit pas que le tirage au sort mais le sort était guidé par l’Inspiration Divine, comme cela est expliqué dans Bava Batra (122a) : «Eléazar le Cohen était revêtu des Ourim et Tourim (le pectoral sur l’habit du Cohen par lequel D.ieu «parlait») et disait par Inspiration Divine : ‘si telle tribu sort de l’urne, tel territoire sort avec elle’. Les noms des tribus étaient inscrits sur 12 tablettes et ceux des territoires sur 12 tablettes. On les mélangeait dans une urne (en tout deux urnes) et le chef de la tribu y insérait la main (dans chacune des urnes) et tirait deux tablettes. Ainsi se trouvaient, dans sa main, la tablette portant le nom de sa tribu et celle portant le nom du territoire, tels qu’ils avaient été déclarés par les Ourim et les Tourim.... » N’est-ce pas étonnant ? Si les Ourim et les Tourim avaient déclaré quel territoire était attribué à quelle tribu, quelle était la raison qui dictait de faire un tirage au sort ?
Malgré ces éléments, nous pouvons observer que dans ce cas, il existe un lien entre le tirage au sort et quelque chose qui est statué et établi.
La même relation peut s’appliquer au service divin de chaque Juif. Chacun possède dans sa personnalité des aspects irrationnels : les forces transcendantes de l’âme. Normalement, ces forces ne sont pas systématiquement ordonnées et ne peuvent être sollicitées quand on le veut, de façon organisée. Ce sont des forces puissantes mais incontrôlées. Elles comprennent l’intuition, le messirout néfèch (capacité à se sacrifier par altruisme), la créativité et la foi. Ces forces latentes peuvent et doivent être maîtrisées par la raison. Par ailleurs, les forces cognitives ordinaires et les fonctions systématiques de l’esprit et de l’âme, prédictibles et limitées, doivent s’imprégner de la force et de la spontanéité du supra rationnel.
Cela nous renvoie à l’idée du tirage au sort.
Un autre aspect important à relever est la date du mois juif de cette Paracha : le 9 Adar.
C’est en ce jour, en 5700 (1940) que le Rabbi Yossef Its’hak, précédent Rabbi de Loubavitch, arriva aux Etats-Unis. Et en ce même jour, il s’attela à la tâche de «disséminer les sources à l’extérieur». On connaît les célèbres mots du Baal Chem Tov qui affirma que le Machia’h lui promit sa venue «quand les sources jailliraient à l’extérieur» et bien que ce travail eût déjà commencé grâce à Rabbi Chnéor Zalman, il ne toucha le monde occidental que le jour où le Rabbi précédent s’y installa définitivement, le 9 Adar.
Tout cela nous conduit à trouver un thème général dans Chabbat Za’hor qui nous ouvre à ces réflexions. Tout d’abord, Za’hor indique la force et la vie. Quand le sujet reste continuellement devant nos yeux, il reste fort et vivant. Nous apprenons donc que nous devons accomplir ces mitsvot avec constance et force. Par ailleurs, Za’hor nous rappelle que le souvenir implique l’intellect et la raison. Quand on agit avec sagesse, cela est visible pour les autres.
Mais peut-être s’impliquer publiquement peut-il conduire à l’orgueil et il serait donc préférable d’agir discrètement. Et bien, on a la possibilité d’agir de façon à neutraliser son orgueil, comme l’évoque le Talmud au sujet du Sage qui s’adressait à lui-même des remontrances pour éviter de s’enorgueillir.
D’un côté, la Torah demande que nous ayons un rôle public et actif et de l’autre, elle exige également l’humilité. Il est sûr qu’il existe un moyen terme qui nous permet d’accomplir les deux exigences. Il suffit de chercher pour le trouver.
On ne peut se permettre de repousser son prochain sous prétexte que l’on n’a pas encore atteint son but personnel de parvenir à l’humilité. Il nous faut accomplir notre devoir puis travailler à affiner notre personnalité.
Ainsi nous ferons en sorte la véritable et complète Rédemption survienne même avant Pourim pour que nous puissions célébrer la fête avec le Machia’h, comme l’affirme le Rambam dans les Lois de la Meguila : «Aux temps messianiques… les jours de Pourim ne cesseront pas d’être observés…».
D’après une si’ha du Rabbi : Chabbat, Parachat Tetsavé, Parachat Za’hor,
9 Adar, 5745 (1985)
Que fait-on à Pourim ?
Cette année, Pourim tombe le jeudi 5 mars 2015.
Mercredi 4 mars 2015, on jeûne de 5h54 à 19h17 (horaire de Paris), c’est le jeûne d’Esther. Le matin, on récite les Seli’hot et la prière «Avinou Malkenou». Avant l'office de Min'ha, l'après-midi, on donne trois pièces de cinquante centimes à la Tsedaka (charité) en souvenir de l'offrande du demi-sicle pour la construction et l'entretien du Temple. Dans la Amida, on rajoute la prière « Anénou ».
Mercredi 4 mars, après la prière du soir, on écoute attentivement chaque mot de la Méguila, le rouleau d’Esther.
Pourim, les enfants se déguisent, si possible dans l'esprit de la fête en évitant de se déguiser en « méchant ».
Jeudi matin 5 mars, ou éventuellement plus tard dans la journée :
1) on écoute à nouveau chaque mot de la lecture de la Méguila.
2) ce n’est qu’après avoir écouté la Méguila qu’on peut procéder aux autres Mitsvot de Pourim : on offre au moins deux mets comestibles à un ami, en passant par un intermédiaire : un homme à un homme, et une femme à une femme : ce sont les « Michloa'h Manot ».
3) on donne au moins une pièce à deux pauvres pour leur permettre de célébrer la fête, c'est : « Matanot Laévyonim ».
4) jeudi après-midi, on se réunit pour prendre part au festin de Pourim dans la joie.
Vendredi 6 mars, c’est Chouchane Pourim, le Pourim des «villes fortifiées» dont Jérusalem. On ne récite pas les prières de supplication, «Ta’hanoune», et on partage la joie du peuple juif où qu’il se trouve.
Des anges et des signes
Quand ? Deux jours avant Pourim 2006.
Où ? Milan, Italie.
Comme d’habitude, on était en retard. Pourim arrivait, Pourim arriva et c’est alors qu’on se rendit compte qu’on avait oublié l’essentiel ! Nous, les étudiants de la Yechiva Loubavitch de Milan, nous avions oublié d’apporter des Michloa’h Manot (des cadeaux de nourriture traditionnels de Pourim) aux enfants qui avaient fréquenté notre centre aéré l’année précédente. Trop tard pour la Mitsva de Pourim mais néanmoins une occasion de renouer le contact avec ces enfants qui avaient déjà eu un premier lien avec nos activités destinées à promouvoir le judaïsme.
Nous avons alors étalé un plan de la ville et prévu où nous rendre ce soir-là. En tout, nous devions visiter une quarantaine de maisons situées dans un rayon d’un kilomètre carré. Le Rav, Chalia’h (émissaire du Rabbi) infatigable et optimiste, remarqua que cela ne devrait pas nous prendre plus qu’une heure et demi pour remplir cette mission.
- Au fait, j’ai oublié de vous signaler une famille Cohen qui habite à environ quinze minutes de là. Il y a peu de chances que vous passiez par là mais si jamais… Je vous l’indique au feutre sur le plan, on ne sait jamais…
Mon ami Israël et moi-même, nous nous sommes portés volontaires pour cette distribution. Nous sommes partis de la Yechiva à 20h avec de gros sacs remplis de Michlo’ah Manot et avons prévu d’être de retour vers 21h30.
Depuis le moment où nous sommes partis, rien ne s’est passé comme prévu. Nous avons sonné à une première porte qu’on nous avait indiquée : personne. Une autre : tout le monde dormait déjà. Une troisième : adresse inexistante. Bref, nous étions plutôt démoralisés.
Il était déjà 21h10 et nous n’avions rencontré pas même un seul enfant. Nous avions mal aux mains à force de porter ces lourds sacs et surtout, cerise sur le gâteau, nous étions complètement perdus !
Nous avons arrêté de marcher ou plutôt de tourner en rond pour étudier sérieusement le plan. Où étions-nous, au fait ?
- Israël ! J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle, me suis-je exclamé. La mauvaise nouvelle, c’est que nous nous sommes complètement éloignés de la zone que nous devions visiter. La bonne nouvelle, c’est que nous sommes tout près de la famille Cohen que nous n’étions pas sûrs de pouvoir rencontrer.
Nous nous sommes donc dirigés vers la maison de la famille Cohen, espérant vérifier la concrétisation de l’adage talmudique : «Celui qui change d’endroit change de destin». Nous étions épuisés et, à vrai dire, un peu découragés et – ne me demandez pas comment – nous sommes parvenus à nous perdre de nouveau. Quand nous sommes finalement arrivés à destination, nous faisions peine à voir !
Nous avons sonné à la porte et… Oui ! Les enfants étaient à la maison ! Et encore réveillés !
Comme nous étions soulagés ! Nous avons couru vers l’ascenseur mais nous avions déjà oublié l’étage et avons donc réussi à nous perdre encore une fois ; bref, nous avons essayé tous les étages et nous y sommes arrivés !
La maman nous a accueillis chaleureusement dans son appartement, très simple ; elle nous a offert des hamantachen (les meilleures «oreilles d’Haman» de la ville !) et des boissons puis nous a demandés de prononcer quelques paroles de Torah. Au bout de dix minutes, nous avions développé plusieurs idées importantes ; elle buvait littéralement nos paroles et nous demandait toujours davantage. A court d’idées (oui, cela m’arrive parfois…), j’ai proposé de raconter un véritable miracle : l’enchaînement des événements qui nous avait conduits ici, comment nous n’avions pas du tout prévu de venir jusqu’ici, comment nous nous étions misérablement perdus (eh oui, pas encore de GPS…) quand, soudain, elle éclata en sanglots et se mit à trembler de tous ses membres !
Avais-je dis quelque chose d’offensant ? L’avais-je vexée ? Que devais-je faire maintenant ?
Après quelques longues minutes, elle se reprit et expliqua, tout en sanglotant et s’essuyant les yeux :
- Juste récemment, toute ma vie a basculé. Mon mari m’a quittée et mes enfants ont du mal à s’adapter à la situation. De plus, je n’ai absolument aucune ressource et tout va mal. Alors ce matin, je me suis tournée vers D.ieu et lui ai demandé un signe comme quoi Il se souvient de moi et s’occupe de moi. Toute la journée s’est écoulée sans aucun changement.
Et soudain, vous deux, vous êtes arrivés. J’étais contente mais ce n’était pas encore le signe que j’attendais.
Puis vous m’avez raconté que vous n’aviez pas prévu de venir chez moi, comment vous vous êtes perdus, comment c’était justement la maison que vous n’aviez pas prévu de visiter, comment personne ne répondait à vos coups de sonnettes, comment vous êtes arrivés chez moi… j’ai immédiatement réalisé que D.ieu avait écouté mes prières et m’envoyait un signe sous forme de deux anges… Maintenant, je reprends courage ! Je sais que D.ieu s’occupe de moi et s’occupera de moi ! Merci oh mon D.ieu de m’avoir envoyé ces deux anges !
Elle se calma, nous avons partagé son émotion, lui avons souhaité bonne chance dans sa nouvelle vie et dans l’éducation de ses enfants. Nous-mêmes, nous étions bouleversés devant cette manifestation de foi et de confiance en D.ieu de cette femme courageuse.
Non, ce n’était pas le hasard qui avait guidé nos pas ce soir-là. C’était la volonté de D.ieu !
Levi Avtzon – Chabad.org
Traduit par Feiga Lubecki