Samedi, 25 janvier 2020

  • Vaéra
Editorial

 La langue et l’univers

Le calendrier ne cesse de faire se dérouler sous nos yeux l’avancée du temps. Celle-ci est toujours impressionnante, notamment par la diversité des expériences auxquelles elle nous invite. A proximité du 1er Chevat, dans moins d’une semaine à présent, un verset entêtant nous entraîne : « Le onzième mois, en son premier jour, Moïse commença à expliquer la Torah ». Et les commentaires de préciser : « il la traduisit dans les soixante-dix langues. » La vision est ici quelque peu vertigineuse. Le peuple juif est donc ainsi assemblé et le texte donné par D.ieu, expression et puissance de Sa révélation, éternel s’il en est, est prononcé et traduit, et qui plus est par Moïse, dans « toutes les langues du monde ». Avec beaucoup d’audace et d’irrespect, on pourrait y voir le premier acte humain parfaitement gratuit ! De fait, à quoi pouvait servir cet effort, tant de Moïse le traducteur que des Hébreux les auditeurs ? Il est clair que seuls ces derniers sont présents et qu’aucune autre langue n’est donc nécessaire.

Moïse penserait-il déjà aux vicissitudes de l’histoire qui conduira son peuple sur tous les chemins du monde ? Mais cet avenir-là n’est alors même pas envisageable. Il faut ici ressentir l’humilité et la grandeur de l’œuvre accomplie jour après jour, en notre temps, par celui qui étudie les textes du judaïsme – Torah, Talmud, ‘Hassidout etc. – dans la langue qu’il possède le mieux, qui n’est pas la langue sainte donnée par D.ieu mais celle du pays où il vit. La question monte d’elle-même : son étude, coupée ainsi de sa racine historique, fait-elle toujours sens ? Les mots ne sont pas qu’un moyen d’échanger avec l’autre. La structure d’une langue définit un univers. Dans lequel l’étudiant se trouve-t-il ? Dans celui du mot ou dans celui du texte original ?

Cette question taraude toute l’existence juive. Et Moïse y répond en ce 1er Chevat du début des choses. Il traduit la Torah dans toutes les langues des peuples afin qu’elle y pénètre et, d’une certaine manière, y obtienne droit de cité. Partout et toujours, la Torah nous accompagne. Plus encore, elle conduit nos pas au fil des temps. Et qu’elle s’élève dans un langage ou un autre, Moïse y investit la même sainteté. Une sagesse sainte pour un peuple saint, pour un monde de sainteté.

Etincelles de Machiah

 Quand la ‘Hassidout fut révélée

Avant la construction du premier Temple, le Michkane, le Sanctuaire, fut édifié dans le désert puis, une fois les Hébreux sur la Terre d’Israël, à Chilo, Nov et enfin à Guivone.

Avant la venue du Machia’h et la construction du troisième Temple, la ‘Hassidout a été révélée. Elle est comme un avant-goût de la révélation du Temple.

(D’après Séfer HaSi’hot 5705 p.111) H.N.

Vivre avec la Paracha

 Vaéra

D.ieu se révèle à Moché et lui promet de sortir les Enfants d’Israël d’Egypte, de les délivrer de leur esclavage, de les sauver et d’en faire Son peuple au Mont Sinaï. Il les conduira ensuite vers la terre qu’Il a promise aux Patriarches en héritage éternel.

Moché et Aharon se présentent à de multiples reprises pour demander au Pharaon, au nom de D.ieu : « Laisse partir Mon peuple pour qu’ils Me servent dans le désert ». Pharaon refuse. Le bâton d’Aharon se transforme en serpent, redevient bâton et avale les bâtons magiques des sorciers égyptiens. D.ieu envoie alors une série de plaies contre les Égyptiens.

Les eaux du Nil se transforment en sang, des armées de grenouilles envahissent la terre, la vermine infecte tous les hommes et les animaux. Des hordes de bêtes sauvages déferlent sur les villes, la peste tue les animaux domestiques, des ulcères douloureux affectent les Égyptiens. Pour la septième plaie, D.ieu combine le feu et la glace qui descendent sur terre en une grêle dévastatrice. Et pourtant « le cœur de Pharaon s’endurcit » et il ne libère pas les Enfants d’Israël.

Le Nil rouge

« Moché et Aaron firent comme D.ieu le leur avait commandé. [Aaron] leva le bâton et frappa l’eau qui était dans le Nil, devant les yeux du Pharaon et devant les yeux de ses serviteurs ; et toute l’eau qui était dans le Nil devint rouge. » (Chemot 7 :20)

Au niveau le plus élémentaire, les Dix Plaies qui accablèrent les Égyptiens avaient pour but de les punir de leur cruauté et de forcer le Pharaon à libérer les Enfants d’Israël. Mais elles avaient également une fonction plus significative.

L’Exode n’avait pas pour seul but de faire sortir les Hébreux d’Égypte, mais également, et de façon plus importante, de faire sortir l’Égypte des Juifs. Quatre générations de servitude à la culture païenne de l’Égypte avaient asservi les Juifs dans leur âme tout comme dans leur corps. Pour qu’Israël puisse devenir un peuple libre, au véritable sens du terme, les Hébreux devaient se débarrasser de leur soumission spirituelle aux idoles et aux mœurs dépravées de leurs tyrans égyptiens.

Les plaies furent donc dirigées tout autant vers les Enfants d’Israël que vers les Égyptiens. Elles ne se produisirent pas uniquement pour punir et menacer le Pharaon et ses hommes de main mais aussi pour écraser les icônes de la culture égyptienne, mettre en lumière les idées fausses de l’âme elle-même de l’Égypte, aux yeux et à l’esprit de ses esclaves hébreux.

Durant la saison des crues, le Nil débordait sur ses rives, remplissant tout un réseau de canaux, irriguant les champs et les vergers de l’Égypte. Il constituait la source de toute subsistance sur cette terre aride.

Le fermier qui attend la pluie pour arroser ses plantations connaît bien sa dépendance à des forces qu’il ne contrôle pas et lève toujours ses yeux vers le ciel dans une prière pleine d’espoir.

Mais le Nil soutenait la société égyptienne qui croyait en un dieu-rivière dont les eaux montaient selon un mécanisme saisonnier, une société dans laquelle le « moi » régnait en dieu suprême, une société qui rejetait avec arrogance la notion même d’Autorité Suprême, les règles de moralité ou un but supérieur dans la vie.

La liberté comme servitude, la servitude comme liberté

Une telle société, soi-disant libérée de toutes contraintes et de toute responsabilité, est une société asservie aux éléments les plus primaires et les plus animaux de la nature humaine. La sortie d’Egypte vint libérer le Peuple d’Israël de cette mentalité païenne, le libérer de cette servitude au temporel et au matériel.

Cela avait pour but de conduire le Peuple juif au Mont Sinaï, où l’esclavage, sous le déguisement de la liberté de l’Égypte, fut remplacé par un engagement à être les serviteurs de D.ieu, une servitude qui est, en réalité, l’ultime émancipation spirituelle. Une vie qui est fidèle au but divin dans la création permet à l’âme de sortir des restrictions de la matérialité et de réaliser son potentiel supérieur, plus précieux. L’accomplissement de la Volonté divine, comme elle s’exprime dans les lois de la Torah, est le moyen, et le seul moyen, qui donne la possibilité à un être humain de dépasser les limites inhérentes à sa propre existence et de le lier à sa Source et son Créateur infini et omniprésent.

Ainsi, quand vint le moment pour Israël d’être libéré, le premier geste de D.ieu fut-il de détruire le Nil devant leurs yeux.

Ses eaux ininterrompues se transformèrent en sang, faisant voler en éclats l’illusion de la croyance égyptienne dans son autosuffisance et mettant à jour le mensonge de cette pseudo liberté de la vie matérielle.

La chaleur de la vie

Le fait que le discrédit tomba sur le Nil par la transformation de ses eaux en sang prend également une signification bien particulière. Cela représente un autre aspect de la transformation par laquelle devait passer le Peuple d’Israël dans son exode spirituel d’Égypte.

Rabbi Chalom DovBer de Loubavitch dit un jour :

« Entre le froid et l’hérésie se tient un mur extrêmement ténu. La Torah statue que : « L’Éternel ton D.ieu est un feu qui consume. » La Divinité est une flamme ardente. Tout ce qui est Divin et saint est chaud, vibrant et intensément vivant. »

L’eau constitue l’antithèse de la vitalité de la spiritualité : la froideur, l’humidité et l’immobilité. Les eaux du Nil caractérisaient la froideur et l’apathie du culte égocentré et de l'abjuration de l’Égypte. Le sang représente la chaleur et la vibration de la vie.

Ainsi, avec la première plaie, les eaux du Nil furent transformées en sang. C’était là le premier pas dans la délivrance d’Israël, le premier pas dans le processus pour les extirper de la froideur spirituelle de l’Égypte et les faire brûler de la ferveur de la vie, vie qui se définit par ce verset : « Toi qui t’attaches à D.ieu es vivant !» (Devarim 4 :4)

La grenouille dans le four

« La rivière sera envahie de grenouilles. Elles monteront et entreront dans ta maison, dans ta chambre à coucher… et dans tes fours et dans tes récipients à pétrir. » (Chemot : 7 :28)

Le livre biblique de Daniel relate l’histoire de ‘Hanania, Mishael et Azariah, trois officiers juifs à la cour de l’empereur babylonien, Nabuchodonosor, qui durent choisir entre se prosterner devant une image idolâtre ou être jetés dans une fournaise ardente. Tous trois choisirent d’affronter le feu plutôt que de renoncer à leur foi. Le Talmud relate que leur décision fut inspirée par les grenouilles qui avaient envahi l’Égypte à l’époque de Moché. « Si les grenouilles étaient entrées dans les fours égyptien pour accomplir la Volonté divine, raisonnèrent-ils, il est sûr que nous pouvons nous sacrifier pour notre Créateur. »

« Le sacrifice de soi » est plus que la volonté de mourir pour ses croyances. C’est la manière dont on vit pour elles. C’est la volonté de renoncer à son propre moi pour l’amour de D.ieu. En fait, le terme hébreu pour « sacrifice de soi » : Messirout Néfèch, signifie à la fois « le don de la vie » et « le don de la volonté ».

Il est donc significatif que la leçon du sacrifice de soi s’apprenne d’une grenouille, créature au sang froid, qui pénètre dans un four ardent. L’ultime épreuve de la foi va au-delà du problème de la vie et de la mort. C’est la volonté d’aller à l’encontre de sa propre nature, au nom d’une vérité supérieure.

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que la ‘Halla ?

La ‘Halla était une partie (au moins 30 grammes) de la pâte qu’on donnait au Cohen (prêtre, descendant d’Aharon) avant de la cuire pour en faire du pain. Ainsi, on contribuait à l’entretien de la tribu sacerdotale qui se dévouait pour le service dans le Temple de Jérusalem.

Actuellement, les Cohanim n’ont plus le niveau de pureté exigé pour manger la ‘Halla et celle-ci doit donc être brûlée, seule dans le four afin qu’on ne profite pas de sa combustion.

On ne prélève la ‘Halla que d’une pâte contenant au moins 1230 grammes de farine de blé, d’orge, d’avoine, d’épeautre ou de seigle. Si on pétrit une pâte de plus de 1666 grammes de farine, on prononcera (avant de prélever) la bénédiction :

Barou’h Ata Ado-Naï Élo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidechanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehafrich ‘Halla.

(Béni sois-Tu Éternel notre D.ieu qui nous as sanctifiés par Ses commandements et nous as ordonné de prélever la ‘Halla).

Si la pâte ne contient pas du tout d’eau (mais d’autres liquides tels que lait, jus de fruits pur, œufs, miel, huile etc.), on ne prononcera pas la bénédiction.

On prélève la ‘Halla une fois que la pâte a été bien mélangée et pétrie, avant de former les pains. Après le prélèvement, on prononce la formule Haré Zé ‘Halla (c’est la ‘Halla) – même si on n’avait pas suffisamment de pâte pour prononcer la bénédiction.

Si la pâte est trop liquide avant la cuisson (ou si on a oublié de prélever la ‘Halla), on la prélèvera après la cuisson.

On ne procède pas au prélèvement pendant Chabbat.

(d’après Rav Yossef Kolodny - N’shei Chabad Newsletter)

Le Recit de la Semaine

La présence de ma grand-mère

Ce Lag Baomer, après avoir prié au Ohel du Rabbi (à Queens, New York), je suis allée me recueillir sur la tombe de ma grand-mère, Lieba Pinson qui est enterrée tout près de la Rabbanit ‘Haya Mouchka, l’épouse du Rabbi. J’ai toujours ressenti un lien très fort avec ma grand-mère : je porte son prénom.

Ma fille allait se marier dans trois semaines et je priais avec beaucoup d’émotion. Oh, combien j’aurais voulu que ma grand-mère soit présente pour participer à notre joie. Je demandai même un signe comme quoi, bien qu’elle ne puisse évidemment pas être présente physiquement, elle serait là, avec nous, pour réjouir les mariés.

Puis je rejoignis la tente adjacente au Ohel où m’attendait mon mari. Dès qu’il m’aperçut, il me montra un message qu’il venait de recevoir de son frère qui est Chalia’h (émissaire du Rabbi) à Satellite Beach en Floride. C’était la photo d’un bougeoir avec les mots « Kéren Ner Lieba » gravés.

Une femme avait envoyé cette photo à son rabbin (mon beau-frère) en lui demandant s’il connaissait l’histoire de ce chandelier. Lui nous l’avait transférée parce que je m’appelle Lieba et que j’aurais peut-être une explication. Personnellement, je n’avais aucune idée à ce sujet et je transférai la photo à mon père.

Il reconnut le chandelier et m’expliqua que c’était une initiative de mon grand-père, Rav Yehochoua Pinson, après que le Rabbi avait évoqué pour la première fois l’importance des bougies de Chabbat. Il avait demandé que les femmes et, dorénavant même les jeunes filles et petites filles allument les bougies avec la bénédiction le vendredi après-midi et les veilles de fêtes juives.

Quand ma grand-mère Lieba était décédée, Madame Esther Sternberg était venue présenter ses condoléances (comme le veut la coutume) pendant les sept jours de deuil. Elle avait évoqué cette nouvelle campagne du Rabbi dont elle avait été nommée responsable : immédiatement, mon grand-père avait décidé d’honorer le souvenir de ma grand-mère Lieba (d’après laquelle je suis nommée) en sponsorisant ces chandeliers sur lesquels il avait fait graver les mots « Kéren Ner Lieba » (« Fond pour la lumière de Lieba »). Des milliers d’exemplaires avaient été fabriqués en toute hâte pour être distribués dans le monde entier.

En 1975, alors que la campagne ne faisait que commencer, deux jeunes étudiants de la Yechiva Loubavitch avaient encouragé des Juifs à accomplir des Mitsvot : ils avaient rencontré une femme juive avec sa fillette dans la rue et leur avait proposé ces chandeliers pour les encourager à allumer les bougies de Chabbat. Toutes deux avaient accepté avec empressement et, depuis, avaient tenu à allumer leurs bougies chaque vendredi après-midi et veille de fête. Une Mitsva entraîne une autre Mitsva et, petit à petit, toute la famille les avait suivies dans leur observance du Chabbat et d’autres commandements du judaïsme.

Sautons 43 ans. La petite fille avait grandi, s’était mariée et était devenue strictement pratiquante ; ses enfants menaient eux aussi un style de vie pratiquant à 100 % en Floride, dans la ville où habite mon beau-frère.

Quand Becky, une de ses filles eut trois ans, l’âge où les petites filles commencent à allumer leur bougie (sous la surveillance de leur maman bien sûr), sa grand-mère lui offrit le chandelier spécial grâce auquel tout avait commencé pour cette famille. Intriguée, la petite fille avait voulu connaître l’histoire de ce chandelier ; sa mère avait envoyé la photo à son rabbin et voilà comment je reçus un signe de ma grand-mère adorée – alors que je venais de prier près de sa tombe pour qu’elle participe à notre joie.

Lieba Konikov – Fort Lee, New Jersey – N’shei Chabad Newsletter N° 8002

Traduite par Feiga Lubecki