Temps social et temps du cœur
Depuis toujours, le peuple juif vit dans une ardente attente. Quels que soient l’époque et le cadre géographique de son existence, il n’a jamais cessé de regarder plus loin, bien souvent au-delà de l’horizon des jours. C’est sans doute pourquoi il a su s’intégrer dans la société qui l’accueillait sans rien perdre de sa spécificité. En d’autres termes, il sait participer de la culture de son lieu de vie sans renoncer à la mémoire éternelle de la sienne propre. Cela ne saurait mieux se traduire que par le double calendrier qui accompagne les Juifs : celui du pays où ils se trouvent et celui qui scande leurs semaines et leurs fêtes. Un véritable double calendrier – temps sociaux et temps du cœur – comme pour vivre à la fois sur deux rythmes.
C’est que le mode de décompte du temps est loin d’être neutre, comme un outil simple et commode pour mesurer l’incessant déroulement des jours. Sa structure est la pure expression de la société qui l’a produit et qui l’utilise. Il donne à entendre ses pulsations, ses impatiences et aussi ses désirs et ses priorités. C’est dire ainsi que, selon le calendrier que l’on suivra, sa perception personnelle du temps et de son usage prendra une couleur différente. Et cela est bien compréhensible : le temps qui passe n’est rien d’autre que le tissu de notre vie sur lequel nous sommes appelés à inscrire nos propres motifs. Alors, quand reviennent des périodes particulières, plus sensiblement chargées de signification, savoir quel calendrier on regarde prioritairement, sur lequel on construira ses actions quotidiennes, devient de première importance.
Il est clair que les temps sociaux s’imposent de par leur propre existence. Ils constituent comme des pivots autour desquels la collectivité s’organisent, met en place réjouissance et festivités. Mais les temps du cœur, ceux qui correspondent à ce que nous gardons en nous de plus profond, ont une toute autre portée. Dans la dernière période, ils nous ont apporté la lumière de ‘Hanoucca et, à présent, ils nous préparent aux éclats fruitiers de Tou biChevat. Ce sont des temps que nous portons chevillés au cœur. Alors quand se produit une sorte de superposition de ces deux rythmes, il nous faut nous souvenir que connaître l’un n’est pas y adhérer et que suivre l’autre, loin de valoir rejet du monde, signifie acceptation pleine de la richesse des humains. Ne renonçons jamais à ce que nous sommes. D’une certaine façon, c’est notre vie qui en dépend.
Yaacov se réjouira
Quand la Délivrance viendra, Yaacov se réjouira plus que tous les autres Patriarches, comme il est dit : « Yaacov exultera, Israël se réjouira ».
Pourquoi Yaacov se réjouira-t-il plus que les autres Patriarches ? Rav dit : « Quand quelqu’un marie sa fille, qui se réjouit plus que le père de la mariée ? » En d’autres termes, quand la Délivrance arrivera au monde, à Israël, Yaacov se réjouira plus que les autres Patriarches. Il est donc écrit : « Yaacov exultera, Israël se réjouira ».
(D’après le Midrach Tehillim)
Vaéra
D.ieu se révèle à Moché et lui promet de sortir les Enfants d’Israël d’Égypte, de les délivrer de leur esclavage, de les sauver et d’en faire Son peuple élu au Mont Sinaï. Il les conduira ensuite vers la terre qu’Il a promise aux Patriarches en héritage éternel.
Moché et Aharon se présentent à de multiples reprises pour demander au Pharaon, au nom de D.ieu : « Laisse partir Mon peuple pour qu’ils Me servent dans le désert ». Pharaon refuse. Le bâton d’Aharon se transforme en serpent, redevient bâton et avale les bâtons magiques des sorciers égyptiens. D.ieu envoie alors une série de plaies contre les Égyptiens.
Les eaux du Nil se transforment en sang, des armées de grenouilles envahissent la terre, la vermine infecte tous les hommes et les animaux. Des hordes de bêtes sauvages déferlent sur les villes, la peste tue les animaux domestiques, des ulcères douloureux affectent les Égyptiens. Pour la septième plaie, D.ieu combine le feu et la glace qui descendent sur terre en une grêle dévastatrice. Et pourtant « le cœur de Pharaon s’endurcit et il ne libère pas les Enfants d’Israël.
Rabbi Chnéor Zalman de Lyadi déclara à ses ‘Hassidim « Nous devons c » et expliqua plus tard que cette déclaration signifiait que nous devons adapter notre vie aux événements de la Paracha de la semaine. Si cette semaine le texte nous enseigne un bon nombre de leçons, il en est une, essentielle, qui est liée au nom-même de la Paracha : Vaéra.
Vaéra signifie : « Je Me suis révélé » et c’est ce principe de révélation qui imprègne la Paracha tout entière. Il y est question des miracles et des merveilles qu’accomplit D.ieu en Égypte où Il Se révéla au point que les Égyptiens eux-mêmes purent clairement le voir, quand Moché prononça les paroles : « le D.ieu des Hébreux m’a envoyé ; renvoie Mon peuple pour qu’ils puissent Me servir. » En effet, Moché avait déjà adressé ces mêmes paroles au Pharaon, mais sans résultat. Ce n’est qu’après les miracles révélés, décrits notamment dans Vaéra, que les Égyptiens furent réellement impressionnés. Alors « avec une main puissante, ils les renvoyèrent du pays. » Le Pharaon avait une main puissante et ici, nous observons qu’il l’utilisa pour renvoyer les Juifs d’Égypte.
Tout un chacun peut tirer un enseignement de cet épisode. Nous possédons chacun notre propre Égypte. (En hébreu, le mot pour « Égypte », « Mitsraïm », signifie également « limites, frontières »). Puisque chaque Juif est riche d’une nature divine infinie et illimitée, il arrive qu’il rencontre sur son chemin des frontières ou des limites qui le font dévier de son cheminement naturel. C’est tout particulièrement vrai quand il s’agit de restreindre ou de limiter son service de la Torah et des Mitsvot. Cela inclut également les forces antagonistes qui sont dans l’âme même du Juif et que l’on appelle le Yétsèr Hara (l’inclination vers le mal) et qui s’opposent à sa nature essentielle.
Mais en réalité, ces limites n’existent que pour permettre au Juif de révéler sa véritable nature divine et ainsi transformer ces frontières en transformant l’obscurité en lumière et l’amertume en douceur.
Le même enseignement s’applique à une échelle cosmique. Le monde dans lequel nous vivons est appelé Olam, en hébreu. Olam est relié au mot Hélèm qui signifie « caché », « couvert ». La nature divine du monde est cachée et demande à être révélée par le service du Juif.
Face à un tel défi, chaque Juif doit prendre conscience que sa tâche n’est ni impossible ni au-delà de ses capacités. Bien au contraire, au commencement, le monde fut créé « dans un état de perfection ». Bien plus, avant même la création du monde, « il était complètement un avec la Divinité. » C’est la raison pour laquelle le service qui nous est demandé n’est ni difficile ni inaccessible.
Même lorsque nous nous trouvons en « Égypte » où la Torah nous dit : « la loi du pays est la loi », et qu’il faut donc « prier pour le bien-être de sa ville », nous devons être conscients que cette déclaration ne s’applique que lorsque la loi de la ville ne contredit pas la loi de la Torah. Et en réalité, si l’on se trouve dans ce pays, notre but doit être de le transformer, ainsi que tout ce qui le compose, en force positive, comme ce à quoi l’on assista lors de la rédemption d’Égypte où la force de ce pays fut utilisée pour précipiter l’Exode des Juifs.
Il nous revient de réaliser que si nous sommes en Égypte, c’est pour accomplir une mission divine. D.ieu ne nous y pas envoyés pour nous causer des souffrances. Bien au contraire, la nature du bien est de faire le bien. De D.ieu, le D.ieu Ultime, seul le Bien peut résulter. C’est pourquoi, nous devons comprendre que D.ieu nous a envoyés ici avec un projet à réaliser.
Nous devons nous rappeler que la Torah est éternelle et immuable et qu’elle s’applique à nous dans son intégralité. De la même façon, nous devons être sensibles au fait que nous avons un leader, un Moché, en l’occurrence, le Rabbi précédent [ndt : le Rabbi prononça ce discours à l’approche du 10 Chevat, date de la Hiloula du Rabbi précédent]. En suivant son chemin, nous pourrons révéler les miracles de D.ieu au point où, même en exil, les merveilles de D.ieu sembleront appartenir au cours naturel des événements, comme à l’époque de l’Exode où les plaies durèrent pendant une demi année. Par notre service, nous pourrons supporter les difficultés de l’exil et le faire passer de l’obscurité à la lumière.
Que tout cela aide à apporter de la véritable Sim’ha (« joie ») dans le service de D.ieu et que cette Sim’ha détruise toutes les frontières et toutes les limites. Et que le Juif puisse servir D.ieu pleinement et complètement.
Puisse D.ieu faire que, dans ces derniers jours du Galout, « il y ait de la lumière pour les Juifs dans leur foyer » et que bientôt se réalise le verset :« le Peuple Juif avance les mains levées » vers la Rédemption messianique, rapidement et de nos jours.
Comment agir avec un objet trouvé ?
La Torah recommande de rendre à son propriétaire tout objet trouvé d’une valeur minimale d’une prouta (très petite somme). Il est d’ailleurs aussi interdit de se détourner d’un tel objet pour ne pas avoir à s’en occuper.
On ne doit pas ramasser l’objet si on estime que le propriétaire l’a peut-être laissé là intentionnellement ou qu’il risque de revenir sur ses pas dès qu’il se sera aperçu qu’il l’a égaré. Ce n’est que si on estime que le propriétaire sera content qu’on l’ait retrouvé et ramassé qu’on devra s’en occuper.
S’il s’agit d’argent, de documents ou d’objets précieux, on les rapportera au commissariat ou au bureau dédié à ce genre de procédures.
S’il s’agit d’autres objets, il conviendra d’en informer la population dans les endroits publics : synagogues, épiceries etc. On donnera une description vague de l’objet sans préciser la valeur, la matière, la quantité exacte etc. afin que seul le propriétaire véritable soit capable de compléter ces détails.
On doit s’efforcer de retrouver le propriétaire mais on n’est pas obligé de dépenser de l’argent pour cela : si on a dû payer une petite annonce par exemple, on pourra demander au propriétaire de rembourser les frais engagés.
Si on ne retrouve pas le propriétaire, on devrait conserver et protéger l’objet en question. S’il s’agit d’un objet que l’on peut facilement acheter dans un commerce de proximité, on en estimera la valeur et on pourra le revendre ou le conserver pour son usage personnel, en remettant l’argent à une caisse de bienfaisance.
(d’après Rav Yossef Ginsburgh – Si’hat Hachavoua N° 1807)
Payer le Chad’hane
La fête de Pessa’h approchait et la maîtresse de maison nettoyait consciencieusement ses placards, à la recherche de la moindre miette de pain qui aurait pu s’y glisser malencontreusement. En rangeant une étagère située tout au-dessus d’une armoire, elle découvrit un sac en tissu dont elle ignorait l’existence.
Elle l’ouvrit et fut stupéfaire de découvrir deux magnifiques chandeliers d’argent : elle ne les avait jamais vus et ne comprenait pas comment ils avaient pu se trouver dans sa maison sans qu’elle s’en aperçoive ! Elle attendit avec impatience le retour de son mari qui gérait un magasin de chapeaux : peut-être saurait-il lui expliquer de quoi il s’agissait.
Quand elle lui montra les chandeliers, il réagit curieusement, elle remarqua qu’il était très gêné - ce qui augmenta sa curiosité et elle insista pour connaître la vérité.
Ils habitaient dans le village de Stoline, en Belarus. C’est là qu’habitait aussi Rabbi Acher Perlov, le fils du célèbre Rabbi Aharon de Karline, connu dans toute la région comme un homme saint dont les conseils étaient précieux et dont les bénédictions se réalisaient.
La femme qui avait découvert les chandeliers était imprégnée d’une croyance sincère dans les capacités du Tsadik et, souvent, elle apportait à son secrétaire des lettres à lui remettre pour différentes questions qui la préoccupaient ; selon la coutume, ces lettres étaient accompagnées de sommes d’argent plus ou moins importantes. Rabbi Acher savait que le mari n’était pas un ‘Hassid ; il désira s’assurer que l’homme était au courant de cela et demanda à son secrétaire de le convoquer.
Étonné, l’homme se présenta dans le bureau du Tsadik qui l’informa et qui proposa de rembourser cet argent puisque l’accord du mari était nécessaire car il s’agissait de dons conséquents.
Mais, à cette époque, le Tsadik ne possédait pas cette somme qu’il avait déjà distribuée parmi les nécessiteux de la ville. Il suggéra donc au mari de prendre en gage deux chandeliers en argent qu’il s’engageait à récupérer le plus tôt possible, dès qu’il disposerait de nouveau de la somme en question. L’homme accepta, emporta les chandeliers mais ne voulut pas évoquer le sujet devant sa femme : c’est pourquoi il les cacha soigneusement tout au-dessus d’une armoire, estimant sans doute qu’elle n’irait pas fouiller si haut… Et il oublia toute l’affaire.
- Comment as-tu pu agir ainsi ? s’emporta sa femme. Comment as-tu pu accepter pareille suggestion et manifester aussi peu de confiance dans les paroles du Tsadik au point d’emporter en gage les chandeliers de la Rabbanit ?
Penaud, l’homme baissa la tête.
- Retourne immédiatement chez Rabbi Acher et rapporte-lui les chandeliers afin que sa table du Séder puisse resplendir comme il se doit ! ordonna-t-elle d’un ton qui n’admettait pas de réplique.
L’homme retourna chez le Tsadik et expliqua :
- Pour préserver la paix dans mon foyer, je suis prêt à abandonner toute idée de récupérer cet argent !
- Dans ce cas, répondit le Tsadik, je te propose une autre forme de dédommagement : n’est-ce pas que tu as une fille en âge de se marier ? Je te conseille de lui présenter un bon jeune homme et l’argent que ta femme m’avait remis sera considéré comme un paiement pour mon intervention en tant que Chad’hane (marieur).
Il n’aurait pas pu rêver d’une pareille affaire, surtout quand le Tsadik lui révéla l’identité du jeune homme qu’il destinait à sa fille : le fils du Rav de Vladimirtz, un jeune homme brillant, doué de grande qualités morales et à l’avenir prometteur. Rabbi Acher écrivit une lettre de recommandation que l’homme devrait remettre au Rav de Vladimirtz.
Enchanté, l’homme raconta à son épouse la réaction du Rabbi et elle aussi se réjouit de la tournure des événements.
Après la fête de Pessa’h, le couple se mit en route pour Vladimirtz. Ils arrivèrent un soir et s’arrêtèrent à l’hôtel qui était tenu par un Juif. Celui-ci s’excusa de ne pouvoir rester longtemps avec eux car il devait se dépêcher pour assister au Vort, la petite cérémonie qui scellait la décision du fils du Rav (« un jeune homme extraordinaire ! ») de se marier avec la fille d’un homme d’affaires de la ville. En entendant cela, le mari ne cacha pas sa déception, se plaignit de la confiance aveugle de sa femme dans les paroles du Tsadik et, dans sa rage, jeta par terre la lettre de Rabbi Acher : « Tout cela pour cela ! Belle affaire en effet ! Quel besoin de se déplacer jusqu’ici pour entendre une nouvelle pareille ? ».
La femme ne répondit pas. Elle gardait toute sa confiance dans les paroles du Tsadik malgré la situation qui semblait complètement bloquée. Elle ramassa la lettre et la conserva précieusement car elle était persuadée que tout ceci n’était pas en vain.
Entretemps, Rabbi Acher de Stoline quitta ce monde.
Un jour, un client entra dans le magasin de chapeaux : c’était un Juif pauvre qui souhaitait revendre un magnifique chapeau de fourrure. Le chapelier remarqua tout de suite qu’il s’agissait d’un article de qualité et s’étonna. Le client expliqua qu’auparavant, il avait été très riche et, de plus, sa fille s’était fiancée avec le fils du Rav de Vladimirtz à qui il avait promis une dot confortable. Mais il avait perdu toute sa fortune. Et, de plus, des complications étaient intervenues entre les fiancés au point que toute l’affaire avait été interrompue. Le chapeau en fourrure qu’il avait acheté pour l’offrir au « fiancé » était maintenant devenu inutile.
Le commerçant s’empressa de racheter le fameux chapeau, le pauvre homme se confondit en remerciements, trop heureux d’avoir pu réaliser une dernière bonne affaire qui lui permettrait peut-être de retomber sur ses pieds.
Quant au chapelier, il raconta à sa valeureuse épouse ce qui s’était passé et celle-ci lui montra qu’elle avait conservé la lettre écrite par Rabbi Acher. Tous deux retournèrent à Vladimirtz, montrèrent la lettre au Rav de la ville et, bien vite, l’affaire fut conclue - pour le bonheur des jeunes fiancés et de leurs parents.
Mena’hem Shaikevitz
Si’hat Hachavoua N° 1824
Traduit par Feiga Lubecki