Le monde comme il va
L’époque contemporaine a inventé l’idée de vacances, associée à des sentiments de bonheur, de liberté. Le concept en a même reçu une sorte d’onction sacrée que nul ne saurait remettre en cause. C’est ainsi que les temps sociaux déroulent leur rythme propre, conduisant le temps des hommes là où ils souhaitent le voir aller. Nous sortons de cette période de ralentissement général où, bon gré mal gré, chacun s’est mis dans un état de semi hibernation par rapport au collectif. Cela implique-t-il donc un réveil puissant, un souci retrouvé de l’autre et, plus globalement, du sort commun ? Qui pourrait le dire avec quelque assurance ? C’est que ce temps de «vacances», même écoulé, garde une certaine présence, ne serait-ce que sous la forme de regrets. La préoccupation de soi limitée à elle-même, la recherche conséquente de joies de commande ne peuvent s’effacer du jour au lendemain sans laisser de traces parfois profondes.
Voici donc qu’il nous faut ranimer l’enthousiasme de vivre. Il nous faut retrouver, ou mieux reconstruire, le désir d’agir, ce sentiment d’urgence qui mobilise tout homme devant l’immense tâche à accomplir. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : après l’endormissement, le réveil, après la pause obligée, l’action recherchée. Si tout cela sonne comme une haute et désirable valeur, le domaine d’intervention est si vaste qu’il est nécessaire de définir où mettre l’accent dans l’immédiat. En d’autres termes, que faire ici et maintenant ?
Certes, chacun est libre de ses choix et il ne fait guère de doute que chacun se déterminera d’abord en fonction de ses propres centres d’intérêt. Pourtant, quelques indications peuvent être applicables à tous. En ces temps d’individualisme roi, dans un contexte général où la division paraît souvent être le seul marqueur commun à tous les cœurs, l’idée d’unité est essentielle. En une époque où l’immédiateté est la règle incontournable, où donner du temps semble être devenu une incongruité, prendre celui de l’étude, de la connaissance et de la réflexion est primordial. Dans une société où l’acte rituel est méprisé parce que le sens du sacré a largement disparu, s’attacher aux commandements de D.ieu est le premier acte de résistance.
Unité, étude et réflexion, respect du commandement divin : bien plus qu’un bon début, tout un programme.
L’œuvre de Machia’h
Quand D.ieu voulut que Moïse aille libérer le peuple juif d’Egypte, celui-ci lui répondit : «De grâce envoie qui Tu enverras !» Nos sages commentent ainsi cette phrase : Moïse demanda que l’envoyé chargé de délivrer le peuple juif soit le Machiah.
Il est vrai que D.ieu décida malgré tout d’envoyer Moïse. Cependant, il est dit que «le premier libérateur (d’Egypte) est le dernier libérateur (Machia’h).» Cela signifie qu’il n’y a pas de distinction totale entre Machia’h et Moïse et que celui-ci est également l’envoyé de D.ieu pour la Délivrance.
C’est un enseignement pour chacun. De même que «le visage de Moïse était comparable au soleil» et éclairait le monde, chacun doit également assumer cette œuvre de lumière. Ainsi l’obscurité de l’exil sera définitivement chassée.
Extrait d’une Si’ha de Chabbat Parachat Chemot 5752
Vaéra
Résumé de la Paracha :
D.ieu se révèle à Moché et lui promet de sortir les Enfants d’Israël d’Egypte, de les délivrer de leur esclavage, de les sauver et d’en faire Son peuple au mont Sinaï. Il les conduira ensuite vers la terre qu’Il a promise aux Patriarches en héritage éternel.
Moché et Aharon se présentent à de multiples reprises pour demander au Pharaon, au nom de D.ieu : «Laisse partir Mon peuple pour qu’ils Me servent dans le désert». Pharaon refuse et D.ieu envoie une série de plaies contre les Egyptiens.
Les eaux du Nil se transforment en sang, des armées de grenouilles envahissent la terre, la vermine infecte tous les hommes et les animaux. Des hordes de bêtes sauvages déferlent sur les villes, la peste tue les animaux domestiques, des ulcères douloureux affectent les Egyptiens. Pour la septième plaie, D.ieu combine le feu et la glace qui descendent sur terre en une grêle dévastatrice. Et pourtant «le cœur de Pharaon s’endurcit» et il ne libère pas les Enfants d’Israël.
Les prisons de l’esprit
Quand la Torah attribue un nom à un lieu, il ne s’agit pas seulement d’un emplacement géographique mais également d’un état d’esprit, d’un ensemble de circonstances spirituelles. C’est dans ce contexte que Mitsraïm, le nom hébreu pour l’ «Egypte », nous enseigne ce qu’était l’exil et nous montre l’essence de ce défi spirituel que notre peuple a dû affronter tout au long de l’histoire.
Mitsraïm se réfère au mot hébreu metsarim, signifiant «frontières» ou «limites». L’existence matérielle confine et limite l’expression de la Divinité dans le monde en général et l’expression de l’étincelle divine dans notre âme. C’est cela l’exil, un état qui n’est pas naturel. Car la réalité, qui veut que le monde ait été créé pour être une résidence pour D.ieu et que l’âme de chaque personne soit une véritable partie de D.ieu, est cachée.
Dans un tel contexte, la personne se plonge dans la routine quotidienne de sa vie. Les valeurs spirituelles, si elle les prend en considération, sont interprétées selon sa vision personnelle du monde.
(Dans ce contexte, le concept de Mitsraïm, «l’Egypte», devient personnel. Chacun a son «Egypte» qui le limite et dont il doit se libérer. Pour l’un, les forces, empêchant sa profonde nature divine de s’exprimer, peuvent être ses pulsions physiques non maîtrisées et pour un autre, elles peuvent être les réserves émises par son intellect. Il existe même une «Egypte de sainteté» qui retient une personne dévouée à l’étude de la Torah et à la pratique des mitsvot mais qui n’arrive pas à s’engager sans retenue. La nature de nos «Egypte» personnelles peut différer mais l’obligation de nous battre pour transcender ces limites est universelle. Tel est le sens de l’injonction de se rappeler chaque jour la sortie d’Egypte.)
Cela va encore plus loin : l’exil se perpétue naturellement. Nos Sages relatent qu’aucun esclave ne pouvait s’échapper d’Egypte. De la même façon, tout environnement, dans lequel vit la personne, crée une inertie qui résiste au changement. Pour emprunter une expression à nos Sages, «une personne entravée ne peut se libérer». Puisqu’aujourd’hui, le processus intellectuel de la personne est totalement modelé par l’environnement de l’exil, de nombreuses personnes trouvent difficile de se projeter au-delà.
La fin de l’exil
Et pourtant, bien que l’homme ne puisse être capable de se libérer, D.ieu refuse de permettre à l’exil de continuer indéfiniment. Le premier pas de la rédemption est une révélation directe de la Divinité. Puisque la caractéristique fondamentale de l’exil est le fait que la présence de D.ieu est cachée, l’annulation de l’exil implique une plus grande révélation de la Divinité. Cela secouera les gens de leur égocentrisme et les ouvrira à une conscience spirituelle.
Tel est le message de la Paracha Vaéra. Le mot Vaéra signifie «Et Je Me suis révélé». La racine du mot Vaéra est le mot Réiyah, signifiant «la vue». Vaéra se réfère à quelque chose qui peut être vu directement. Ce thème court tout au long de la Paracha qui décrit sept des dix plaies visibles qui avaient deux buts, comme le dit la Torah (Chemot : 7: 4-5) : «Je montrerai Ma force… Je ferai sortir Mes légions d’Egypte… Et l’Egypte saura que Je suis D.ieu».
Ces plaies firent prendre conscience au monde de la présence de D.ieu. Même les Egyptiens, dont le dirigeant avait fanfaronné «je ne connais pas D.ieu», prirent conscience de Sa présence et proclamèrent : «C’est le doigt de D.ieu».
Parce que les miracles étaient ouvertement visibles, ils transformèrent également la manière de penser des gens. Quand une idée se transmet par la voie intellectuelle, pour qu’elle soit assimilée au point de transformer la conduite, cela prend du temps. Mais, par contre, quand la personne voit de ses propres yeux, elle change immédiatement sa manière de penser. Une fois qu’elle a personnellement assisté à l’événement, rien ne peut la convaincre que cela ne s’est pas effectivement produit.
Un riche héritage
Il est cependant naturel que l’on demande aujourd’hui: «Quand ai-je vu la Divinité ? Peut-être, par le passé, des miracles se sont-ils produits mais quel en est l’intérêt de nos jours ?».
La réponse se trouve dans le commentaire que fait Rachi sur le verset qui donne son nom à la Paracha (Chemot 6 :4) : «Et Je me suis révélé à Avraham, à Its’hak et à Yaacov». Rachi commente : «aux Patriarches».
Cette observation semble superflue. Nous savons tous que Avraham, Its’hak et Yaacov étaient les Patriarches du Peuple Juif. Après les avoir mentionnés chacun par leur nom, il semble inutile de mentionner leur titre. Mais si Rachi met l’accent sur les révélations qui leur furent faites, c’est pour nous indiquer que la raison n’en fut pas leurs mérites personnels mais le fait qu’ils étaient les «Patriarches» et que leurs accomplissements spirituels seraient transmis en héritage à leurs descendants. En Se révélant à nos ancêtres, D.ieu fit de la conscience de Son existence un élément fondamental de la nature de leurs descendants, pour tous les temps.
Cela s’applique dans chaque génération, car D.ieu témoigne toujours de Son grand amour pour Son peuple en accomplissant des actes qui transcendent l’ordre naturel. Parfois l’homme qui vit un miracle ne s’en rend pas même compte et parfois les miracles sont visibles, évidents pour tous. Et il est vrai que dans le passé récent, nous avons assisté aux grandes merveilles que D.ieu a accomplies pour nous : la guerre du Golfe, la chute du communisme, l’arrivée massive des Juifs en Erets Israël.
Nos prophètes ont promis : «Comme aux jours de la sortie d’Egypte, Je vous montrerai des merveilles». Tout comme les miracles que D.ieu a déversés sur l’Egypte ont annoncé l’exode, ainsi les miracles dont nous avons été témoins et dont nous serons témoins dans le futur sont les prémisses de la Rédemption ultime. Que cela se produise dans le futur immédiat.
Quelques conseils du Rabbi sur l’éducation
- Celui qui est timide ne peut pas enseigner. En cas de dilemme, le professeur ne doit pas se gêner de demander l’avis d’un collègue plus expérimenté. Ses conseils et directives peuvent l’aider à résoudre le problème car, parfois, l’expérience sur le terrain ne peut être expliquée dans les meilleurs livres.
- Le professeur ne laisse parler ses élèves que dans l’ordre. Les élèves doivent lever le doigt et attendre la permission du professeur avant de prendre la parole ; il ne se laissera pas désarçonner par un élève qui ne respecte pas cette règle. Quand le professeur pose une question, il ne demandera pas «qui peut répondre ?» mais s’adressera à un élève en particulier de façon à ne pas amener le chaos dans la classe.
- Avant de punir un élève, le professeur le prendra en privé une fois, deux fois pour lui signifier qu’il s’est mal conduit, et ceci dans le calme, sans crier. Des phrases dures, prononcées occasionnellement n’ont d’impact que si, d’habitude, le professeur garde son calme.
- L’élève doit réaliser, par la manière de parler et de se conduire du professeur, que c’est D.ieu qui, par l’intermédiaire de la Torah, lui demande de se conduire de telle ou telle manière, pour son bien et pour le bien de la société en général.
- Des règles élémentaires de politesse doivent être respectées entre le professeur et les élèves : se saluer avant et après le cours, remercier, respecter les personnes âgées et les érudits, se lever quand le professeur entre en classe, veiller à la propreté de la classe mais aussi de sa personne et de sa façon de parler…
- L’élève n’interrompra pas son professeur ou un camarade qui répond au professeur mais lèvera le doigt et attendra d’obtenir la permission de parler.
- L’élève essaiera de réviser chaque jour ses cours, si possible avec un camarade sérieux et enthousiaste.
Rabbi Chnéour Zalman écrit dans Hil’hot Talmud Torah : «Un professeur n’agira pas de façon frivole devant ses élèves, ne plaisantera pas devant eux, ne mangera pas en leur présence afin qu’ils le respectent constamment et apprennent de lui facilement».
Rambam explique que la seule sagesse qui a un effet éternel sur l’élève est celle qu’on a acquise avec effort, concentration et respect de son professeur.
Rav Yitzchok Usphol - Perspectives
Juste une nuit
C’est arrivé il y a trente-huit ans. A l’époque, mon épouse et moi-même étions émissaires du Rabbi à Buffalo dans l’état de New York.
Comme la plupart des villes américaines, il n’y a pas de petits commerces à Buffalo. Si vous avez besoin de faire des courses, vous devez aller au centre commercial. C’est ainsi qu’un jour, ma femme et moi-même nous sommes partis en voiture à Wegman’s, un très grand supermarché.
De nombreux voyageurs passent par Buffalo qui se trouve sur la route des Chutes du Niagara et d’autres endroits touristiques du Canada. Souvent, ils téléphonent au Beth ‘Habad pour demander où ils peuvent passer Chabbat. Je me souviens que, quand j’habitais à Londres en Angleterre, c’était exactement la même chose : les gens s’arrêtaient pour une escale en route vers d’autres destinations et avaient besoin d’un endroit où passer une nuit ou deux.
Justement ce matin, des fidèles à la synagogue s’étaient plaints de cette attitude. Ils trouvaient que ce n’était pas normal, que les gens profitaient un peu trop de notre hospitalité et que nous devrions nous contenter de leur indiquer l’adresse de quelques hôtels. Je mentionnai leurs arguments devant ma femme dans la voiture tout en remarquant que je n’étais pas du tout d’accord : après tout, si nous nous étions installés à Buffalo, c’était certainement pour aider les autres, qu’ils soient des touristes ou des habitants locaux. C’était bien pour cela que le Rabbi nous avait envoyés dans cette ville, pour y renforcer le judaïsme et venir en aide à qui en avait besoin, n’est-ce pas ?
C’est alors que je remarquais que nous étions au bord de la panne d’essence et je m’arrêtais à la station-service la plus proche.
- Chalom !
Un homme d’une cinquantaine d’années était sorti lui aussi de sa voiture, avait mis la main dans sa poche pour en sortir une Kippa et s’approchait de moi, l’air visiblement soulagé de rencontrer un ami potentiel.
- Savez-vous où je pourrais trouver un hôtel dans les environs ?
A son accent, j’avais reconnu qu’il était israélien.
Incroyable, me dis-je ! D.ieu est-Il en train de me tester ? Je venais de parler avec ma femme de ce genre de rencontre.
- Attendez !
Je retournais à la voiture pour parler avec ma femme :
- Choulamit ! lui demandai-je par la fenêtre de sa portière, cet homme vient de me demander où il pourrait trouver un hôtel ! Pouvons-nous l’inviter à passer la nuit chez nous ?
- Bien sûr ! répondit-elle avec un sourire qui indiquait non seulement son approbation mais sa joie d’accomplir la Mitsva de l’hospitalité.
Je retournais vers l’Israélien :
- Venez chez nous !
- Oh non ! C’est impossible ! protesta-t-il. C’est très gentil de votre part mais nous sommes quatre ! Donnez-moi juste l’adresse d’un hôtel où nous pouvons passer la nuit !
Ma première réaction fut : «Incroyable ! On dirait vraiment que D.ieu me fait passer un examen !». Je retournai auprès de ma femme :
- Ils sont quatre…
- Pas de problème ! rétorqua-t-elle.
Il me fallut beaucoup d’arguments pour qu’ils acceptent finalement de nous suivre jusque chez nous. Nous n’avions que deux chambres à coucher mais il y avait un canapé et deux lits ; un d’eux se proposa pour dormir sur une couverture posée sur le tapis et tout se passa agréablement.
Que puis-je ajouter ? C’était des gens très sympathiques, des musiciens en route pour se produire dans une grande salle de Toronto : le père, deux fils et un gendre. Nous avons bavardé une bonne partie de la nuit : ils nous posèrent une foule de questions sur le Rabbi dont ils avaient beaucoup entendu parler. Je me souviens leur avoir raconté une histoire que j’avais entendue de Rav Nachman Sudak, de mémoire bénie (principal émissaire du Rabbi en Angleterre) : quand Ariel Sharon était une fois sorti d’une Ye’hidout (audience privée) avec le Rabbi, avant la Guerre de Kippour, il avait lancé aux élèves de la Yechiva qui l’attendaient dehors :
- Les garçons ! Vous pensez du bien de votre Rabbi ? Mais vous ne connaissez même pas le centième de sa véritable grandeur !
Le lendemain, nous nous levâmes tôt pour participer à la prière du matin : grâce à mes invités, nous avons eu Minyane (les dix hommes nécessaires pour nombre de prières) et tout le monde était donc très content. Quand nous sommes retournés à la maison pour le petit déjeuner, le père alla acheter un petit vélo pour notre fils de deux ans et tous nous ont couvert de bénédictions, surtout pour mon épouse qui était au septième mois de grossesse. Ce fut vraiment une très belle expérience et nous nous sommes séparés à regret.
Six mois plus tard, je me trouvais à Crown Heights, Brooklyn, pour un grand rassemblement dans la synagogue du Rabbi, 770 Eastern Parkway. Quelqu’un me donna une tape amicale sur l’épaule : c’était le plus jeune frère :
- Vous souvenez-vous de moi ? Oui, j’ai commencé à étudier la Torah ici à la Yechiva. Mon frère s’est installé à Queens et toute la famille s’est rapprochée du judaïsme. Et tout cela grâce à la nuit que nous avons passée chez vous !
A la suite de cela, j’appris qu’ils avaient tous deux évolué de façon très positive, s’étaient mariés et avaient élevé leurs enfants dans le chemin de la Torah. Nous sommes restés de très bons amis jusqu’à aujourd’hui.
Ils sont devenus de très bons musiciens et leur relation avec le mouvement Loubavitch et le Rabbi a joué un grand rôle dans le développement de leur musique. Chaque année, à Souccot, des milliers et des milliers de gens dansent au son de la musique entraînante et dynamique des frères Yossi et Avi Piamenta.
Et tout cela débuta par la Mitsva de l’hospitalité !
Dovid Sholom Pape – Tsivot Hachem
Traduit par Feiga Lubecki