Samedi, 25 janvier 2025

  • Vaéra
Editorial

 De l’air pur

Nous le constatons tous : le monde dans lequel nous vivons présente des aspects très contrastés. D’un côté, qui ne se réjouirait pas de constater tous les progrès techniques dont nous jouissons, cette forme d’abondance, même toute relative, qui s’étend de façon globale aux parties de la planète où nous vivons ? Il est clair que, si nous pouvions raconter ce qui fait le commun de nos jours à nos ancêtres un peu éloignés, ils seraient bien incapables de nous croire tant tout cela leur paraîtrait un rêve inaccessible. Mais, en même temps, notre époque suscite quelques interrogations : des valeurs morales, pour ne pas même parler des spirituelles, qui avaient été l’acquis de siècles de civilisation sont remises en cause. Des définitions, encore hier claires pour chacun, semblent devenues moins évidentes comme si la vision sociale avait pris un certain flou. L’atmosphère dans laquelle il nous est ainsi donné de vivre s’est mise à porter des éléments que nous n’avions pas l’habitude d’y trouver. Et on connaît les conséquences, parfois irréversibles, d’une atmosphère viciée.

Lorsque le Peuple juif regarde en conscience de telles évolutions, celles-ci ne peuvent pas le laisser indifférent, d’abord parce que, présent au cœur du monde, il les vit dans sa chair et aussi du fait que sa foi comme son histoire l’invitent sans cesse à agir pour le bien. Dans le contexte décrit, reste la question éternelle : que faire ? Les évolutions sociales sont des phénomènes profonds et de grande ampleur et ceux-ci dépassent largement les actes individuels.

Pourtant, les paroles de nos Sages ne peuvent que résonner de manière très actuelle dans notre tête. La vie de l’homme, disent-ils, dépend de l’air qu’il respire, également au sens moral et spirituel. Sa qualité est donc essentielle. Pour cette raison, il nous appartient de la rétablir, si nécessaire, et, en tous cas, de la maintenir. Comment y parvenir ? Par l’étude de la Torah. Car cette étude n’est pas comme toutes les autres. Il ne s’agit pas, par elle, d’une simple démarche intellectuelle. Les mots de la Torah sont parole Divine. Dire de telles lettres, c’est changer l’atmosphère qui nous entoure, la rendre meilleure ou, en d’autres termes, plus raffinée, plus pure.

Vouloir vivre dans un monde meilleur est un désir profondément humain depuis toujours. Voici quelque chose de nouveau : ce projet est à notre mesure, celle de l’étude.

Etincelles de Machiah

 Une nouvelle Torah ?

Il nous est enseigné (Vayikra Rabba 13 : 3 paraphrasant Isaïe 51 : 4) qu’au temps de Machia’h « une nouvelle Torah sortira de Moi ». Il est pourtant clair que la Torah, Sagesse de D.ieu, ne changera jamais. Du reste, les textes soulignent : « Cette Torah-là ne sera jamais changée ». Dès lors, que signifie cette « nouvelle Torah » ?

Aujourd’hui, la Torah nous apparaît sous la forme de récits comme ceux de Lavan ou de Bilaam. Lorsque le Machia’h viendra, les secrets cachés dans ces récits se dévoileront. Il se révèlera alors comment ce qui semble être de simples histoires parle profondément de D.ieu. C’est ce que signifie les mots « sortira de Moi » : il apparaîtra comment toute la Torah est une manière de dire la Divinité.

(d’après Kéter Chem Tov, sec. 84, 242)

Vivre avec la Paracha

 VAÉRA

D.ieu Se révèle à Moché et lui promet de sortir les Enfants d’Israël d’Égypte, de les délivrer de leur esclavage, de les sauver et d’en faire Son peuple élu au Mont Sinaï. Il les conduira ensuite vers la terre qu’Il a promise aux Patriarches en héritage éternel.

Moché et Aharon se présentent à de multiples reprises pour demander au Pharaon, au nom de D.ieu : « Laisse partir Mon peuple pour qu’ils Me servent dans le désert ». Pharaon refuse. Le bâton d’Aharon se transforme en serpent, redevient bâton et avale les bâtons magiques des sorciers égyptiens. D.ieu envoie alors une série de plaies contre les Égyptiens.

Les eaux du Nil se transforment en sang, des armées de grenouilles envahissent la terre, la vermine infecte tous les hommes et les animaux. Des hordes de bêtes sauvages déferlent sur les villes, la peste tue les animaux domestiques, des ulcères douloureux affectent les Égyptiens. Pour la septième plaie, D.ieu combine le feu et la glace qui descendent sur terre en une grêle dévastatrice. Et pourtant « le cœur de Pharaon s’endurcit et il ne libère pas les Enfants d’Israël.

Des bâtons en serpents

Lorsque D.ieu envoya Moché auprès de Pharaon, le premier signe qu'Il choisit utiliser pour démontrer la Puissance divine fut de lancer, devant Pharaon, le bâton d'Aharon qui se transforma alors en serpent. Les sorciers égyptiens parvinrent ensuite à reproduire cet exploit. Par la suite, le bâton d'Aaron redevient bâton et engloutit les bâtons des sorciers.

Si l'intention divine était simplement d'impressionner Pharaon en lui démontrant que Moché possédait des pouvoirs surnaturels, il aurait pu accomplir de nombreux autres miracles. Pourquoi donc avoir opté pour la transformation d'un bâton en serpent, suivie de l'engloutissement des bâtons égyptiens ? Et pourquoi cela précède-t-il les Dix Plaies qui suivirent ?

Un processus éducatif

En réalité, l'ensemble des Dix Plaies ne se limitait pas à des instruments de punition, mais représentait un moyen d'anéantir le mal en Égypte. En effet, la perspective juive de la punition est généralement perçue comme un moyen au service d’un objectif final. Cet objectif est la réhabilitation. Ainsi, les Dix Plaies constituaient essentiellement un processus éducatif qui se déclinait en dix étapes, ou dix leçons spécifiques. Par conséquent, le miracle de la transformation du bâton en serpent a servi d'introduction générale à l'ensemble du processus éducatif destiné aux Égyptiens.

L'intériorisation de l'exode

Étant donné que nous sommes appelés à intégrer le processus de l'Exode chaque jour, il en découle que nous devons appliquer les Dix Plaies à notre propre « Égypte » intérieure. De plus, avant d’engager la « thérapie des Dix Plaies », il est impératif d’introduire au préalable la leçon du miracle du bâton transformé en serpent. Ainsi, pour expérimenter une véritable liberté et provoquer littéralement la rédemption finale, il est essentiel de commencer par appliquer la leçon du bâton devenu serpent.

L’éducation

Pour que l'éducation soit véritablement significative, il est impératif que l'enseignant, le mentor, le parent et les autres acteurs impliqués fassent preuve d'un amour, par moments, exigeant. Cependant, la manière dont nous administrons cet amour peut faire la différence entre le succès et l'échec. Cela peut déterminer si l'élève aura un avenir ou si son potentiel restera à jamais inexploité en raison d'une mauvaise expérience avec un « éducateur ».

Commencer par une énergie positive

Lorsque nous entrons en contact avec une personne qui a besoin que nous la guidions, la loi juive stipule que nous privilégions d’abord une démarche positive. Par le biais de paroles apaisantes et empreintes d’affection, nous pouvons réaliser bien davantage qu'avec des paroles dures et réprobatrices.

Cette méthode est connue comme l'approche d'Aharon qui « aimait la paix, poursuivait la paix, aimait chaque créature et les rapprochait de la Torah ». (Pirké Avot - Maximes de nos Pères).

Malheureusement, il arrive qu’une approche sous forme d’« amour sévère » soit parfois inévitable. Certaines personnes sont enveloppées dans une « armure d'acier » si épaisse qu'elles deviennent impénétrables. Elles restent insensibles à toute influence positive et font preuve d’une résistance face à notre approche constructive.

Percer leur armure avec le bâton d'Aharon

Il n'existe qu'une seule manière de les atteindre. Cela consiste à briser leur carapace et à percer leur armure. En terme hébreu, ce processus est désigné par le terme « beli’a », littéralement : « avaler » l'ego résistant des autres. 

C'est ainsi que se comprend la signification du bâton d'Aharon avalant les bâtons des Égyptiens. Lorsqu'une personne est contrainte d'utiliser la méthode de « l'amour sévère » pour briser l'ego démesuré de celui qui a besoin de thérapie, cela doit être réalisé avec « le bâton d'Aharon », un bâton dont la seule motivation est l'amour et une préoccupation absolue pour le bien-être de la personne qu'elle admoneste.

Le bâton engloutit le bâton

Le récit du bâton d'Aharon qui engloutit les bâtons égyptiens illustre une leçon significative. Comme le soulignent nos Sages, c'est le bâton d'Aharon qui a avalé les bâtons égyptiens et non son serpent. Ce n'est qu'après que son serpent, était à l'origine un bâton, est redevenu un bâton qu'il a pu engloutir les bâtons des Égyptiens.

La leçon ici réside dans le fait que lorsque l'on est contraint de discipliner autrui, il ne suffit pas que la motivation soit uniquement fondée sur l'amour. La manière même de dispenser la discipline - bien qu'elle ne soit pas explicitement empreinte d'amour - doit être dépourvue d'émotions telles que la colère ou l'hostilité. Il est, au contraire, impératif d’agir comme un « bâton », sans émotion ni conscience de son propre ego. Pour briser l'ego surdimensionné d'autrui, il est crucial que cela se fasse sans sentiment de supériorité ou désir de domination. Ainsi introduite, la « thérapie des Dix Plaies » peut alors être administrée, facilitant ainsi notre capacité à surmonter les obstacles à notre liberté spirituelle et à réaliser la Rédemption ultime par le Machia’h.

Les premières plaies

Les premières plaies - la transformation du Nil en sang et l’invasion des grenouilles - visaient à illustrer la souveraineté de D.ieu sur la nature et la civilisation. Frapper le Nil, source de vie et objet de culte en Égypte, révélait que même les forces fondamentales sont subordonnées à D.ieu.

Les grenouilles, en perturbant l’intimité des Égyptiens, montraient que rien n’échappe à cette souveraineté. Ces plaies ne visaient pas seulement à punir, mais à briser l’illusion d’autosuffisance humaine, rappelant que la nature elle-même sert à révéler l’infini. Elles offrent une leçon personnelle : reconnaître que toute source apparente de pouvoir dépend du Divin.

Le Coin de la Halacha

 Est-il raisonnable d’afficher son judaïsme à l’extérieur ?

Un des principes de base de la ‘Hassidout est que le judaïsme ne se limite pas à la synagogue mais doit imprégner tous les éléments de la vie.

Un Juif n’a pas à ressentir de la honte de son judaïsme, de sa façon de s’habiller ou de se conduire.

Bien entendu, il est préférable de prier dans une synagogue plutôt qu’ailleurs ; il arrive pourtant qu’on ne se trouve pas dans la synagogue mais dans la rue ou dans les transports en commun (train, avion…) quand arrive l’heure de la prière. On s’arrangera alors de ne pas déranger les autres passagers ou passants pour, éventuellement, se rassembler et prier calmement.

Il est reconnu que les gens respectent ceux qui sont fidèles à leurs principes religieux et il arrive souvent que des Juifs plus « tièdes » se joignent à un Minyane spontané dans un aéroport et sont heureux de manifester ainsi leur appartenance au judaïsme. Même les non-Juifs observent ceci avec respect et s’intéressent : c’est alors l’occasion de discuter des sept Lois des Enfants de Noé, cette morale universelle qui concerne tous les êtres humains.

 (d’après Rav Schneor Zalman Gorelik – Si’hat Hachavoua N° 1853)

Le Recit de la Semaine

 La chaise inoccupée

Ma famille réussit à quitter l’Union Soviétique en 1946 et, après bien des péripéties, arriva à Paris où nous sommes restés durant sept ans - comme de nombreux réfugiés d’Europe de l’Est après la Shoah. La mère du Rabbi, la Rabbanit ‘Hanna Schneerson parvint elle aussi à quitter la Russie peu après.

Nous habitions dans un appartement au 3ème étage, rue D.ieu, près de la Place de la République. La maison appartenait à notre oncle, Reb Zalman Schneerson qui avait sauvé beaucoup de Juifs en France et avait fondé de nombreuses organisations caritatives et éducatives. Il était le frère de ma mère, Yehoudit Butman et ils étaient cousins du Rabbi. Nous disposions d’une salle à manger et de deux chambres à coucher : l’une d’elle devint la chambre de la Rabbanit ‘Hanna et, tant que nous avons vécu dans cet appartement, nous avons continué à l’appeler : « La chambre de la Rabbanit ‘Hanna ».

A cette époque, le Rabbi était simplement connu comme « le gendre du Rabbi » (précédent, Rabbi Yossef Yits’hak) et il vivait à New York depuis qu’il avait quitté l’Europe en guerre. Il revint en 1947 en France pour retrouver sa mère (qu’il n’avait pas vue depuis 1928) et l’aider à immigrer aux États-Unis. Durant les trois mois de son séjour à Paris, il vint deux fois chaque jour - matin et soir - chez nous pour voir sa mère. Ma mère leur servait du thé et parfois des gâteaux.

A part notre relation familiale, nous avions un autre lien avec le Rabbi : durant la guerre, mes parents avaient habité au Kirghizistan, en Asie Centrale, où d’ailleurs je suis né. Dans la ville voisine d’Alma Ata (Kazakhstan), vivait le père du Rabbi, Rav Lévi Yits’hak Schneerson qui avait été libéré de prison (où on l’avait détenu à cause de ses activités rabbiniques) mais était maintenu en exil dans cette région inhospitalière. Très affaibli par les conditions effroyables de sa détention, Rav Lévi Yits’hak avait été rejoint par son épouse la Rabbanit ‘Hanna qui s’efforça d’adoucir ses derniers mois sur terre ; il décéda quelques mois après son arrivée à Alma Ata, en août 1944. Durant cette brève période, mon père Reb Zalman Butman avait assisté les parents du Rabbi qui étaient démunis de tout et avait payé leurs dépenses chaque semaine. Quand le Rabbi arriva à Paris en 1947, il en parla à mon père :

- Reb Zalman, je sais que vous avez financé le séjour de mes parents à Alma Ata et que vous avez pourvu à leurs besoins : dites-moi combien cela vous a coûté, je veux vous dédommager pour cela.

- Rav Schneerson, protesta mon père, je voudrais que vous cessiez de me parler de cela. C’était une Mitsva et je ne la céderai pas.

Mon père racontait par la suite qu’il « mérita » que le Rabbi n’évoque plus ce sujet et l’affaire en resta là.

Avant de partir, le Rabbi offrit un cadeau à chaque membre de notre famille : à mon père, il remit une nouvelle édition du livre de prières Torah Ohr qu’il venait de faire publier aux États-Unis, avec, à la fin, le texte du Ma’hzor pour les fêtes. C’était la même édition que le Rabbi lui-même utilisait.

A ma mère et ma tante Sarah (l’épouse de Reb Zalman), le Rabbi acheta un service de table onéreux pour douze personnes (jusque-là nous ne disposions pas d’un service correct) et le Rabbi l’avait sûrement remarqué.

- Les enfants ! nous rappelait souvent notre mère, le Rabbi est allé lui-même choisir et acheter ces assiettes, il les a trempées au Mikvé (le bain rituel, comme l’exige la Torah) et il les a portées jusqu’au troisième étage, tout ceci pour s’assurer que nous disposions de belles assiettes !

Bien entendu, certaines se sont cassées au fil des années mais nous en conservons encore quelques-unes jusqu’à ce jour.

Mon frère Chalom Ber reçut un livre de Maamarim (discours ‘hassidiques) et ma grande sœur Léah (qui épousa par la suite Reb Yoel Kahn, un extraordinaire érudit) reçut un album de timbres : d’ailleurs, durant son séjour à Paris, le Rabbi lui remettait les timbres de toutes les lettres qu’il recevait de l’étranger. Quant à moi, le Rabbi m’offrit un tricycle avec des freins, quelque chose de fantastique pour nous, réfugiés habitués à vivre dans la plus grande simplicité. Tous mes amis venaient chez moi pour s’amuser avec ce tricycle…

Quand nous sommes arrivés en février 1954 à New York, ma mère téléphona à la Rabbanit ‘Hanna qui nous demanda de venir immédiatement chez elle au 1418 President Street. Nous avons aussi mérité d’avoir une audience privée avec le Rabbi la même nuit. Quand nous sommes entrés dans le bureau, le Rabbi arborait un large sourire : « Mes enfants ! Je ne sais pas si vous vous souvenez de moi mais moi, je me souviens de vous ! ».

Quand ma mère décéda en 1960, la Rabbanit ‘Hanna nous rendit une visite de condoléances ainsi que le Rabbi puis son épouse, la Rabbanit ‘Haya Mouchka.

Nous disposons encore de la chaise sur laquelle le Rabbi s’était assis, nous l’avons conservée en haut dans notre maison mais nous ne laissons personne l’utiliser.

Rav Shmuel Butman zal - JEM

Traduit par Feiga Lubecki

(Le 28 Tevet est l’anniversaire de la Rabbanit ‘Hanna)