Au rythme du temps qui passe
Le calendrier juif continue de nous entraîner à son rythme propre et, quelle que soit la saison, nul n’y échappe. Temps estival ou non, il nous dit aujourd’hui que la période ne peut pas être seulement à l’insouciance – en existe-t-il d’ailleurs une qui le puisse ? De fait, nous sommes passés sur le deuxième versant du mois de Av et c’est déjà la présence du suivant qui apparaît, comme subrepticement, à l’horizon de notre conscience. C’est du mois d’Elloul qu’il s’agit et ce seul mot suffit sans doute à changer fondamentalement la donne.
Les choses sont ainsi faites : cette année, le mois d’Elloul va se dérouler, pour sa plus grande partie, durant le mois d’août et les fêtes interviendront en tout début septembre. Le temps d’Elloul est si précieux qu’il importe de n’en rien perdre. Il est le dernier mois de l’année juive et, à ce titre seul, il mériterait qu’on s’y arrête. Mais il est surtout ce mois irremplaçable de préparation aux grands rendez-vous spirituels qui arrivent à sa suite : Roch Hachana, Yom Kippour, Souccot, Sim’hat Torah. C’est bien tout cela qui est ici en germe, comme un potentiel de vie dont on perçoit d’ores et déjà la puissance sans encore en définir les contours exacts. Pour cette raison, Elloul est ce mois où, enseignent nos Sages, D.ieu est comme plus proche qu’à l’accoutumée, comparable à un Roi qui, venu à la rencontre de ses sujets, attend leurs demandes, prêt à les accueillir avec bienveillance.
C’est dire qu’Elloul est une période d’effort et de tension spirituels intenses. Est-ce bien compatible avec la volonté de délassement général qui paraît, d’année en année, s’emparer de tout le corps social ? Peut-être est-ce justement l’enjeu de la période… Celle-ci nous libère souvent de nombreuses contraintes. Tout à coup, chacun dispose plus largement du cadeau le plus précieux qui se puisse faire à l’homme : du temps à soi. Et voici que ce temps est celui d’Elloul. En une image fameuse, le précédent Rabbi de Loubavitch, déclara qu’à ce moment « même les poissons tremblent dans les rivières ». Comme pour dire que ce temps est d’une solennité qui le rend à la fois personnel et incontournable. Il est à ressentir pour bien le vivre. Laissons le temps venir, nous aurons l’occasion d’en reparler.
La valeur d’un homme simple
Dans la tradition juive, l’étude de la Torah est sans doute la valeur suprême, à telle enseigne que l’érudition est considérée comme une marque évidente d’élévation spirituelle. Cette idée, d’une légitimité incontournable, ne doit toutefois pas faire oublier la valeur de l’homme simple, de celui qui s’attache à D.ieu de tout son cœur avec la plus absolue sincérité.
A ce sujet, le Tséma’h Tsédek, le troisième Rabbi de Loubavitch, dit un jour que le Machia’h se réjouirait dans la compagnie de ces Juifs simples. Alors, précisa-t-il, une pièce leur sera réservée et les plus brillants érudits les envieront. Ainsi apparaîtra la vraie grandeur de ces Juifs qui servent D.ieu à l’infini.
(d’après une lettre du précédent Rabbi de Loubavitch, Iguerot Kodech, vol. IV, p. 148)
Ekev
Dans la Paracha Ekev (« parce que… ») Moché poursuit son dernier discours au Peuple d’Israël, leur promettant que s’ils accomplissent les commandements (Mitsvot) de la Torah, ils prospéreront sur la terre qu’ils sont sur le point de conquérir et où ils vont s’installer, selon la promesse faite à leurs patriarches.
Moché leur adresse également des reproches pour les manquements dans la première génération en tant que nation, rappelant la faute du Veau d’Or, la révolte de Kora’h, l’erreur des Explorateurs, le fait qu’ils aient mis D.ieu en colère à Tavéra, Massa et Kivrot Hataava (« les tombes de la luxure »). « Vous vous êtes rebellés contre D.ieu, leur dit-il, depuis le jour où je vous ai connu ».
Mais il évoque également le pardon accordé par D.ieu à leurs péchés et les secondes Tables de la Loi, écrites par D.ieu et données après leur repentance.
Leurs quarante années dans le désert, dit Moché au peuple, durant lesquelles D.ieu les a nourris avec la manne quotidienne, venue du ciel, avaient pour but de leur enseigner que « l’homme ne vit pas seulement de pain, mais c’est par la parole de D.ieu que l’homme vit ».
Moché décrit la terre où ils sont sur le point de pénétrer comme celle où « coule le lait et le miel », bénie des « sept espèces » (blé, orge, raisins, figues, grenades, huile d’olive et dattes) et comme un lieu où se concentre, le plus au monde, la Providence Divine. Il leur commande de détruire les idoles des précédents habitants de la terre et de veiller à ne pas devenir orgueilleux et commencer à s’imaginer que « ma force et la puissance de ma main m’ont permis d’obtenir cette richesse ».
Un passage clé de cette Paracha est le second chapitre du Chema qui réitère les Mitsvot essentielles, formulées dans le premier chapitre du Chema, et décrit les récompenses de l’accomplissement des commandements de D.ieu et les conséquences néfastes (famine et exil) de leur non observance. C’est également la source du précepte de la prière et il comprend une référence à la résurrection des morts à l’Ere messianique.
Revenons sur le passage « Vehaya Im Chamoa » (littéralement : « et ce sera quand vous écouterez »), passage tellement fondamental dans notre héritage de la Torah qu’il a été choisi pour être inclus dans les récitations quotidiennes du Chema et inscrit dans les Téfilines et les Mezouzot.
Pourquoi est-il si important ? Tout d’abord, il mentionne l’observance de trois Mitsvot extrêmement importantes : mettre les Téfilines, étudier la Torah et poser des Mezouzot. Ces Mitsvot servent de rappel incessant à la présence de D.ieu. Par leur respect, nous parvenons à conserver vivace notre conscience de D.ieu, non seulement occasionnellement mais continuellement, et à garder Son existence comme facteur quotidien de notre existence.
Cependant, on peut déjà lire ces Mitsvot dans le premier paragraphe du Chema. Ce qui rend « Vehaya Im Chamoa » particulièrement significatif est sa promesse de récompense et de punition. Comme le statue le passage, quand nous observons la Volonté de D.ieu, nous sommes récompensés d’une prospérité infinie et si nous défaillons, nous sommes punis de difficultés et d’exil. L’intention est claire. Nos actes déterminent notre futur.
Nombreux sont ceux qui objecteront, protestant que cela fait des années qu’ils ont fini le Talmud Torah et qu’il s’agit là d’une approche à la spiritualité infantile. Il est possible que, pour éduquer les enfants, il faille procéder par récompenses et punitions mais en tant qu’adultes, ils ressentent que cette approche est bien trop simpliste. D.ieu est transcendant et illimité et Sa sagesse et Sa providence ne connaissent aucune limite ou plan structuré. Il est donc bien au-dessus du geste de nous tendre des prix pour bonne conduite et des punitions pour désobéissance.
Combien tout cela est-il éloigné de la vérité ! La responsabilité de l’homme est l’un des principes fondamentaux de notre foi. En termes simples, si nos actions n’avaient aucun impact sur notre destinée, nous vivrions dans un monde de pur hasard, sans ordre ni organisation. Par ailleurs, D.ieu exercerait un contrôle absolu selon Ses décrets et rien dans notre conduite ne pourrait faire de différence.
En fait, l’homme détermine son destin par son propre comportement. Tout comme la cause et l’effet sont des principes fondamentaux dans la loi de la nature, ce sont également des principes fondamentaux dans la loi spirituelle.
C’est précisément pour cette raison que les gens éprouvent de la difficulté à accepter ce concept. Nous avons du mal à endosser la responsabilité. Il est tellement plus facile de dire qu’il n’y a ni juge ni jugement que de reconnaître que tout ce que nous faisons a des conséquences.
Cela étant dit, il faut également souligner que les normes de justice de D.ieu sont déterminées par Son propre jugement, insondable. Bien souvent, nous voyons des hommes justes souffrir et des hommes mauvais prospérer, car Son système de valeurs n’est pas le nôtre. Il est sûr qu’Il est infini et contrôle le monde comme Lui le juge adéquat et non comme nous, nous le voudrions. Comme le disait Rabbi Lévi Its’hak de Berditchev : « Quand j’étais un jeune homme, je pensais que je pouvais donner à D.ieu beaucoup de conseils sur la manière de gérer l’univers. Mais en vieillissant, j’ai pris conscience que ce qu’Il faisait était bien ». Notre défi personnel consiste à nous conformer à Sa volonté et à vivre en fonction de Ses normes.
Perspectives
L’une des interprétations données au nom Ekev indique qu’il se réfère au Futur ultime, l’Ere messianique. Nous sommes assurés qu’alors, nous recevrons la véritable récompense pour notre observance de la Torah. Aujourd’hui, nous n’en obtenons que « les fruits » mais le principe lui-même nous sera accordé dans le futur.
Au moment présent, le monde n’est pas capable d’absorber la pleine mesure de la force de D.ieu car de nombreux lieux sont envahis de « poches de mal ». Si D.ieu irradiait le bien de façon démesurée, les forces du mal en tireraient également de la nourriture. A l’Ere ultime, par contre, le mal sera banni de la terre et il n’y aura plus aucune raison de retenir l’afflux de bien pour les Justes. Plus encore, les Justes eux-mêmes seront encore plus puissants et seront un moyen encore plus adéquat pour la révélation de la Divinité.
Quelques lois concernant le voyage
Dans la mesure du possible, on préférera voyager avec une compagnie juive sauf si la différence de prix est trop importante ou si les dates et heures ne conviennent pas. Bien entendu, on ne s’y efforcera qu’à condition que cette compagnie ne profane pas les lois du Chabbat. Ainsi, on ne voyagera pas immédiatement après Chabbat avec une compagnie juive qui aurait dû transgresser le Chabbat pour préparer l’avion…
Si on voyage vendredi, on devra s’assurer d’arriver à destination (et sortir de la gare et aéroport…) assez tôt pour pouvoir arriver à temps et se préparer pour Chabbat.
Si l’aéroport est très éloigné de la ville, on récitera Tefilat Hadérekh (la prière du voyageur) dans la voiture (bus, car…) quand on sort de la ville, avant même d’arriver à l’aéroport. Sinon, on peut la réciter dans l’avion et, si possible, debout. Si on s’arrête une nuit en escale, on répétera Tefilat Hadérekh le lendemain. Rabbi Chnéor Zalman mentionne qu’on récite Tefilat Hadérekh tous les jours après la prière du matin pendant le séjour en-dehors de son domicile - mais sans mentionner le Nom de D.ieu.
Quand on doit se laver les mains dans l’avion, on s’efforcera de le faire dans le coin cuisine. Sinon, on s’efforcera au moins d’essuyer les mains en-dehors de la salle d’eau.
On évitera de voyager un jour de jeûne (qui risque de durer plus longtemps), un soir de ‘Hanouccah (il est impossible d’allumer les bougies dans l’avion…).
Si on voyage de nuit, on récitera la prière du « Chema avant de dormir » - même si on n’a pas l’intention de dormir. Au lever du jour, on se lavera les mains rituellement puis on récitera les bénédictions du matin. Si un homme ne peut pas aller au Mikvé (bain rituel) avant la prière du matin, il étudiera le traité Mikvaot dans la Michna Taharot.
(d’après Moked Hahala’ha - Hitkachrout)
Etrange rencontre
Je conduisais à New York et chacun sait que ce n’est pas facile. Un jour, ce qui devait arriver arriva : alors que je rentrai chez moi, à Queens, je sentis que je heurtais quelque chose de dur et que mon pneu se dégonflait. Je réussis à me garer sur le côté, téléphonai à la société de dépannage A. et me pelotonnai sur mon siège en attendant la suite des événements, c’est-à-dire le dépanneur-ange gardien qui me sortirait de ce mauvais pas.
Environ une demi-heure plus tard, un homme d’origine latino-américaine arriva. Il avait dans les 60 ans et se présenta : Donny. A ma grande surprise, il se mit à me parler en yiddish !
- Vous êtes juif ? ne puis-je m’empêcher de lui demander.
- Non, répondit-il en souriant
- Alors expliquez-moi où avez-vous appris à parler yiddish ?
- Ah, c’était il y a quelques années, continua-t-il tout en se baissant pour examiner l’ampleur des dégâts. Je l’ai appris sur le tas quand je travaillais pour un de vos camarades. Avez-vous déjà entendu parler de Rabbi Yoel Teitelbaum ?
- Vous voulez dire… Le Rabbi de Satmar qui habite à Williamsburg (à Brooklyn) ? (J’étais de plus en plus estomaqué).
- Absolument ! Il n’y en a qu’un !
Rabbi Yoel Teitelbaum (1888-1979) avait pu s’enfuir miraculeusement du camp d’extermination de Bergen-Belsen en 1944 et était arrivé en Terre Sainte. En 1947, il s’était installé aux États-Unis où il avait été reconnu comme Rabbi de Satmar, dirigeant sa très grande communauté, principalement d’origine hongroise, créant des écoles et autres institutions communautaires. Érudit en Torah, il combattit le sionisme laïc et prôna le repli défensif devant les éléments envahissants de la culture occidentale.
On sentait que Donny savourait ma stupéfaction et qu’il était très content de l’effet que produisaient ses paroles faussement naïves…
Il m’expliqua qu’il était retraité de NYPD (New York City Police Department) ; dans les années 60 et 70, il avait été affecté à la sécurité personnelle du Rabbi de Satmar, Rabbi Yoel Teitelbaum. Non seulement il devait le défendre contre d’éventuels attaquants extérieurs mais il devait aussi le protéger des ‘Hassidim qui auraient voulu s’approcher trop près de lui. Donny était donc devenu son garde du corps personnel aussi bien à la synagogue qu’à la maison ou dans les grands rassemblements. Il devait s’habiller comme un ‘Hassid de Satmar, avec barbe, péot (papillotes) et bekeshe (redingote) et scruter la foule autour du Rabbi mais sans se faire remarquer. La question suivante de ma part était évidente :
- Et comment avez-vous appris à reconnaître un ‘Hassid de Satmar d’un « imposteur » comme vous ?
- Oh, rien de plus simple ! Vous les ‘Hassidim vous êtes continuellement penchés sur vos livres. Si je remarquai un homme trop raide, je le surveillai du coin de l’œil. C’était soit un imposteur soit quelqu’un qui ne prenait pas ses études au sérieux ! Au fait, vous connaissez l’expression « A yiddish Kop » ?
- Oui, bien sûr ! (J’étais de plus en plus étonné de la tournure de la conversation). Il s’agit de Juifs qui s’avèrent plus intelligents que bien d’autres personnes, une forme particulière d’intelligence juive…
(Note à l’attention des lecteurs plus avisés : quand je l’entendis évoquer yiddish Kop - et non Kopf comme le voudrait la transcription exacte - je crus qu’il montait un jeu de mots avec le terme Cop, policier en anglais.)
Mais, très sérieux, Donny continua :
- J’ai entendu que vous, les Juifs, vous viviez en Terre d’Israël et que vous y possédiez un Temple magnifique pour vous rassembler lors des grandes fêtes, n’est-ce pas ?
- C’est vrai !
- J’ai aussi appris que, deux mille ans après que le Temple soit détruit, vous êtes toujours en exil parce que vous n’êtes pas toujours d’accord entre vous ! C’est vrai ?
- Eh oui… Vous avez bien entendu.
- J’ai aussi compris que si vous parveniez seulement à vous entendre entre vous, D.ieu vous ramènerait en Terre d’Israël et reconstruirait le Temple. C’est vrai ?
- Vous avez tout-à-fait raison !
Donny se redressa, les mains enduites de cambouis, et me regarda droit dans les yeux :
- Alors vous les Juifs, vous qui êtes si intelligents avec votre yiddish Kop, comment se fait-il qu’en deux mille ans, vous n’avez pas réussi à vous entendre entre vous ?
De plus en plus stupéfait, je ne sus comment lui répondre. Je n’avais pas de réponse car il n’y a pas de réponse à une question aussi évidente.
Parfois il faut un simple dépanneur latino-américain pour vous mettre face à vos contradictions.
Mais son message continue de résonner dans mon esprit : si seulement nous cessions de nous critiquer les uns les autres, si nous accueillions chacun avec le sourire, si nous étions capables de nous asseoir tous ensemble autour d’une même table, nous pourrions retrouver l’espoir et prouver à Donny que notre intelligence proverbiale nous avait été bien utile car D.ieu aurait reconstruit le Temple !
Yerachmiel Tilles - David Hoffman - Torah Tavline
Traduit par Feiga Lubecki