Au fil de la lumière
Regarder la lumière est toujours une expérience nouvelle, parfois bouleversante. Un point lumineux, éclat rayonnant, monte ainsi dans ce qui peut être une obscurité oppressante et sa seule présence la dissipe. Qui n’a pas éprouvé cette sensation profonde d’allégresse quand la lumière danse devant les yeux et que, brusquement, le monde prend un autre aspect ? De telles lumières ne sont pas rares, jusqu’en notre temps et sous nos latitudes. Elles peuvent être spirituelles ou matérielles mais elles ont toujours quelque chose en commun : même petites et modestes, elles incarnent une sereine victoire. C’est ainsi que, cette semaine, nous contemplons le 19 Kislev et voyons poindre ‘Hanoucca.
Chacun de ces événements appelle une analyse spécifique. Cependant, arrivant à peine à une semaine d’intervalle, ils nous entraînent aussi dans un même élan et une réflexion unique. Dans les deux cas, l’obscurité semble bien profonde. A l’époque de ‘Hanoucca, l’occupant grec d’Israël a entrepris de faire descendre une profonde nuit sur l’esprit des peuples qu’il a conquis et il affirme, certain de la puissance des ténèbres, que les Juifs n’y échapperont pas. Bien des siècles plus tard, en Russie, le tsar prétend éteindre le feu de l’amour de D.ieu que le ‘hassidisme a allumé dans le cœur de chacun, malgré la misère et les persécutions, comme un éclat surgi dans la nuit, emprisonnant Rabbi Chnéor Zalman, l’auteur du Tanya, premier Rabbi de ‘Habad. Toujours, les ennemis de la lumière regardent les forces en présence et pensent, avec une froide et quelque peu inconsciente rationalité, que la victoire est naturellement à eux. Ne sont-ils pas les plus nombreux et les plus forts tandis que ceux qui s’opposent à leurs désirs paraissent si faibles, en nombre si réduit ? Pourtant l’histoire se répète : ceux que l’orgueil aveuglait échouent. A ‘Hanoucca, les Grecs sont chassés d’Israël et, le 19 Kislev, Rabbi Chnéor Zalman est libéré.
Les siècles écoulés depuis nous permettent un peu de recul : n’est-il pas bien compréhensible que la lumière soit finalement victorieuse ? Qu’est-ce que l’obscurité sinon une absence ? Et que-ce que la lumière sinon le pouvoir de la remplir ? Mais ne croyons pas que tout cela n’est jamais qu’héroïsme du passé. Nous avons nos propres combats, certes différents mais d’une importance égale. Autour de nous, il semble parfois que les ombres montent, au point même de tenter de se faire passer pour une lumière nouvelle manière. Il nous appartient, comme à nos ancêtres, de les repousser. La conscience, la connaissance, l’enthousiasme, et finalement l’âme, nous en donnent le moyen.
D.ieu sera Un
Le prophète Zacharie (14 :9) annonce pour les temps messianiques : « En ce jour, D.ieu sera Un et Son Nom sera Un ». Cette phrase demande explication : l’unité de D.ieu n’est-elle pas une réalité constante, aussi assurée aujourd’hui qu’elle le sera plus tard ?
En fait, en notre temps, cette unité n’est pas manifeste, à telle enseigne que l’univers créé paraît être une entité indépendante dotée d’une existence autonome. Au contraire, dans l’avenir, l’unité du Créateur sera visible à tous. Chacun verra clairement comment l’univers est fondamentalement inexistant devant la Lumière Divine qui se déverse en lui et l’anime.
(d’après Torah Or, Vaéra, p.55c)
Vayéchèv
Yaakov s’établit à ‘Hévron avec ses douze fils. Yaakov montre de la préférence pour Yossef, son fils de dix-sept ans, en lui réservant un traitement de faveur, comme le don d’un manteau multicolore, suscitant la jalousie de ses autres fils. Yossef raconte à ses frères deux de ses rêves qui prédisent qu’il est destiné à les diriger. Cela accroît encore leur jalousie et leur haine à son égard.
Chimon et Lévi complotent de le tuer mais Réouven suggère plutôt de le jeter dans un puits. Il a l’intention de revenir le sauver. Alors que Yossef se trouve dans le puits, Yehouda le vend à des voyageurs Ismaélites. Les frères font croire à leur père Yaakov que Yossef a été dévoré par un animal sauvage.
Yehouda se marie et a trois enfants. L’aîné, Er, meurt jeune sans laisser d’enfant et sa femme est alors mariée, en lévirat, au second fils de Yehouda, Onan. Onan pêche et lui aussi est frappé par une mort prématurée. Yehouda se refuse à lui donner son troisième fils. Mais Tamar, déterminée à avoir un enfant de la famille de Yehouda se déguise et attire Yehouda lui-même. Quand Yehouda apprend qu’elle est enceinte, il la condamne à être exécutée mais devant les preuves, il réalise et reconnaît qu’il est le père. Tamar donne naissance à deux fils jumeaux : Pérets (ancêtre du Roi David) et Zéra’h.
En Égypte, Yossef est vendu à Potiphar, ministre du Pharaon. D.ieu bénit toutes ses entreprises chez Potiphar mais sa femme le convoite et, devant son refus, le fait emprisonner. En prison, il gagne la faveur de l’administration pénitentiaire. Il rencontre le maître échanson et le maître panetier du Pharaon. Il interprète correctement leurs rêves et demande au maître échanson, qui sera libéré et retournera à sa fonction, d’intercéder en sa faveur auprès du Pharaon. Mais celui-ci oubliera de le faire.
Le monde du rêve
Quand le livre de Beréchit entreprend l’histoire de Yossef, le récit serpente à travers une succession de rêves : les rêves de Yossef, qui irritent ses frères au point de les mener à le vendre en esclavage, les rêves de l’échanson et du panetier royaux, que Yossef interprète en prison et les rêves du Pharaon qui élèvent Yossef au second rôle de l’empire le plus puissant de la terre.
Le résultat de tous ces rêves fut la Galout (l’exil) d’Égypte, le premier exil vécu par le Peuple juif et la source de tous ceux qui surviendraient par la suite. Les Enfants d’Israël s’étaient installés en Égypte, où ils seraient plus tard asservis par les Égyptiens et où ils se détérioreraient spirituellement au point que, par bien des aspects, ils en viendraient à ressembler aux Egyptiens. Quand D.ieu vint les délivrer, Il dut « prendre une nation dans les entrailles d’une nation », entrer dans les entrailles de l’Égypte pour extraire Son Peuple élu de la société la plus dépravée sur terre.
Un rêve est une perception libérée de la discipline de la raison. On y retrouve tous les stimuli et les expériences que nous connaissons dans la « vraie » vie, les visions, les sons, les pensées et les actions, l’exultation et la terreur. En fait, dans un rêve, tout est emprunté à notre vie éveillée car « une personne ne rêve que de ses pensées de la journée » (Talmud Bera’hot 55b). Mais tout est sans dessus dessous, tout défie les lois de la logique et de la crédibilité. Dans un rêve, une tragédie peut être l’occasion d’une célébration joyeuse, un parent peut être plus jeune que son enfant, des troupeaux peuvent voler en l’air etc.
L’exil naquit d’une succession de rêves car il est le point ultime du rêve, une fantaisie terrible, irrationnelle qui embrase le globe et s’étend sur des millénaires. Un rêve dans lequel le crime paie, le bien meurt jeune et le Peuple élu de D.ieu est impunément massacré. Un rêve dans lequel ce qui est juste est rarement réaliste et les non-existences comme « l’ignorance », « la mort » et « le mal » sont extrêmement puissantes dans notre vie.
Les rêves spirituels
Le surréalisme de l’exil se répand également dans notre vie spirituelle. Ce n’est qu’en Galout qu’une personne peut se lever le matin, se purifier dans un mikvé, prier avec extase et dévotion, étudier un chapitre de Torah et puis se rendre au bureau pour une journée de travail, faite de connivence, de tromperie et de manipulation. « Hypocrisie » n’est pas le terme adéquat pour décrire ce phénomène car la plupart du temps, la prière de cette personne est sincère et son amour de D.ieu est bien réel. Mais on habite dans le monde du rêve qu’est la Galout, où l’antithèse existe et où les inconsistances sont la norme.
Dans le monde réel, de telles absurdités étaient impossibles. Quand le Saint Temple se tenait à Yerouchalayim, et répandait dans le monde une lumière divine, aucune personne qui aurait possédé un résidu d’impureté spirituelle ne pouvait approcher D.ieu avant de passer par un processus de purification.
Le fait que D.ieu soit la source de la vie et que le péché (c’est-à-dire une déconnection d’avec le Divin) soit synonyme de mort n’était pas une idée théorique mais une réalité de la vie.
Dans le monde réel d’alors, et dans lequel nous allons nous réveiller quand s’évaporera le rêve de l’exil, les lois spirituelles de la réalité sont aussi apparentes et immuables que les lois de la nature. Ce n’est que dans le monde du rêve de la Galout que la corruption spirituelle et les réalisations spirituelles peuvent coexister chez la même personne.
Les bienfaits de l’incohérence
Notre existence hallucinatoire possède toutefois un aspect positif. Dans le monde réel, une véritable relation avec D.ieu ne peut exister que dans le contexte d’une vie qui Lui est constamment fidèle. Dans le monde du rêve, une personne imparfaite peut expérimenter le Divin. Dans le monde réel, seule une âme immaculée peut pénétrer dans le Sanctuaire de D.ieu.
Dans le monde du rêve, D.ieu « réside parmi eux, au sein de l’impureté. » (Vayikra 16 :16).
Nous attendons chaque jour l’aube Divine qui dissipera le cauchemar qui, pendant une grande partie de notre histoire, nous a paralysés physiquement et spirituellement.
Mais durant les derniers moments de notre rêve, nous pouvons nous servir de l’occasion exceptionnelle d’être « incohérents » et « hypocrites », de la façon la plus positive qui soit : en dépassant notre potentiel spirituel, en étant meilleurs, en faisant davantage que ce que notre mérite et notre potentiel nous le permettent, en toute logique.
Comment allume-t-on les 6 lumières de ‘Hanouccah le vendredi après-midi 3 décembre 2021 ?
Il convient, avant l’allumage, de procéder à la prière de Min’ha. On peut allumer à partir de 16h01 et jusqu’à 16h 37 (horaire en Ile-de-France).
Le maître de maison, et éventuellement tous les garçons de la maison, prononceront d’abord les deux bénédictions :
1) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Ner ‘Hanouccah ».
« Béni sois-Tu, Eternel notre D.ieu, Roi de l’univers qui nous a sanctifiés par Ses Commandements et nous a ordonné d’allumer les lumières de ‘Hanouccah. »
2) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Chéassa Nissim Laavoténou Bayamime Hahème Bizmane Hazé ».
« Béni sois-Tu, Eternel notre D.ieu, Roi de l’univers qui a fait des miracles pour nos pères en ces jours-là, en ce temps-ci. »
On allumera d’abord la mèche ou la bougie située le plus à gauche puis celle qui la précède, etc… à l’aide de la bougie appelée « Chamach ».
On aura pris soin de mettre assez d’huile dans les 6 godets (ou d’avoir prévu 6 bougies assez grandes) pour durer jusqu’à une demi-heure après la nuit, c’est-à-dire jusqu’à environ 18h 21 (heure en Ile-de-France). Après l’allumage, on récite le passage « Hanérot Halalou ».
Avant 16h 37, les jeunes filles et les petites filles allumeront leurs bougies de Chabbat (après avoir mis quelques pièces dans la boîte de Tsédaka (charité) ; les femmes mariées allumeront au moins deux bougies.
Puis, en se couvrant les yeux de leurs mains, elles réciteront la bénédiction :
« Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Ner Chel Chabbat Kodech ».
« Béni sois-Tu, Eternel notre D.ieu, Roi de l’univers qui nous a sanctifiés par Ses Commandements et nous a ordonné d’allumer la lumière du saint Chabbat. »
Tout ceci devra être terminé avant 16h37 (heure en Ile-de-France) le vendredi 3 décembre.
Une jeune fille (ou une femme) qui habite seule devra elle aussi procéder d’abord à l’allumage des lumières de ‘Hanouccah puis des bougies de Chabbat, avec les bénédictions appropriées.
En ces jours-ci, à cette époque…
Comme chaque année, Rav David Shvédik, le Chalia’h de Kaliningrad (anciennement Koenigsberg – située entre la Lituanie et la Pologne) en Russie, avait organisé un allumage de ‘Hanouccah sur la place publique. De nombreux Juifs avaient assisté à cette manifestation pacifique de fierté juive et des passants avaient applaudi pour encourager les chants et les danses autour du chandelier, malgré le froid intense.
Une fois la cérémonie terminée, Rav Shvédik ne rentra pas chez lui mais entreprit une série de visites à domicile pour aider des personnes âgées ou handicapées à allumer leurs bougies chez elles. Plusieurs jeunes gens, membres de l’association des étudiants juifs de la ville se joignirent à lui : il leur remit des kits pour la fête (chandeliers en métal, bougies, prospectus…) ainsi que les beignets traditionnels, cachères et délicieux. Chaque groupe était muni d’un listing recensant les familles juives et était accueilli partout avec une grande joie. Les bougies de ‘Hanouccah revêtaient une signification particulière dans ce pays où le judaïsme n’avait pu pendant longtemps se pratiquer que d’une manière clandestine. Chaque équipe remplit sa mission au mieux et, petit à petit, les sacs de fournitures et de provisions devenaient plus légers… La dernière adresse était celle de Rosa, une vieille dame digne et sympathique, très touchée par cette visite. Au moment de la quitter, Rav Shvédik n’avait plus qu’un kit de bougies et un beignet. Rosa lui suggéra alors de rendre visite à son voisin, un vieil homme qui ne sortait plus de chez lui à cause d’une fracture à la jambe : « Je ne connais pas sa religion mais, après tout, votre visite lui fera plaisir et lui redonnera la joie de vivre. Peu importe sa nationalité, il est juste humain de s’occuper aussi des autres ! ».
C’est ainsi que Rav Shvédik fit connaissance de Youri Sorobolsky, le voisin de Rosa. Très ému d’apercevoir un petit groupe de jeunes gens sympathiques prendre leur temps précieux pour lui rendre visite, Youri ne cacha pas son enchantement ; il était aussi heureux de recevoir un beignet, lui qui mangeait rarement à sa faim. Leurs chants joyeux lui rappelaient quelque chose…
Finalement Rav David sortit de son sac sa dernière ‘Hanoukia :
- Youri, avez-vous déjà vu un objet pareil ? Savez-vous ce que c’est ?
Après tout, il pourrait ainsi déterminer si Youri était juif ou non – sans lui poser la question directement.
Le visage de l’homme changea brusquement. Il tendit la main pour toucher l’objet. Il ne pouvait plus parler, il pleurait !
« Je m’appelle Yaakov. Je suis né en 1922 à Glouboka… (Petit à petit, Youri se rappelait et parlait de plus en plus vite – en yiddish !). Les Allemands sont arrivés, nous ont enfermés dans un ghetto. Nous survivions dans une cave mais les Nazis ont tué pratiquement tous les Juifs de la ville, mes parents, mes frères, mes sœurs. Certains se sont révoltés – comme dans le ghetto de Varsovie : j’avais obtenu une grenade prête à être dégoupillée. Je l’ai jetée sur un groupe de soldats nazis et j’ai profité de la fumée et de l’agitation pour m’enfuir dans la forêt. Je m’y suis caché longtemps, jusqu’à ce que je puisse me joindre à un groupe de partisans pour continuer la guérilla contre l’occupant. J’ai ainsi pu sauver la vie de nombre de mes coreligionnaires. A la fin de la guerre, je me suis marié avec une survivante du ghetto de Glouboka. D’un commun accord, nous avons décidé de couper tout lien avec le judaïsme. Nous avons enterré profondément tout souvenir de vie juive, nous n’avons respecté aucune fête ou coutume et nos enfants n’ont même pas reçu un minimum d’éducation juive. A vrai dire, jamais je n’aurais imaginé rencontrer ici, à Kaliningrad, un rabbin ou même revoir un jour une ‘Hanoukia ! ».
Très ému, Yaakov posa une Kipa sur sa tête, prit l’allumette et se mit à chanter les bénédictions entendues dans son enfance, avec la mélodie et l’accent traditionnels, sans aucune faute… La flamme juive enfouie dans son cœur depuis des dizaines d’années illuminait maintenant non seulement sa modeste maison mais surtout son immense âme juive.
Mena’hem Ziegelbaum
Traduit par Feiga Lubecki