Editorial
Un jour qui change le mondeCette semaine marque un «début d’année». Et cette seule phrase suffit à dire toute la solennité ainsi que toute la puissance du moment. On le sait : un «début d’année» – ou, pour mieux dire : un «Roch Hachana» – est un événement considérable. C’est un jour qui porte en lui tous les possibles car il est le détenteur de toutes les forces et de tous les axes de l’avenir. Pourtant, de telles affirmations peuvent paraître bien surprenantes : voilà qu’on évoque un Roch Hachana alors que la période invite plutôt à penser à ‘Hanouccah. Certes, cette dernière fête est d’ores et déjà présente dans nos consciences et nos yeux distinguent, dès à présent, le frémissement de sa lumière. Cependant, c’est bien d’un Roch Hachana qu’il s’agit cette semaine et c’est à ce degré de grandeur spirituelle qu’il nous appartient de vivre.
Au début de la semaine, en effet, tombe le 19 Kislev. On a tôt fait de dire que ce jour est l’anniversaire de la libération de prison, en 1798, de Rabbi Chnéor Zalman de Liady, auteur du Tanya et premier Rabbi de ‘Habad. L’événement fait aujourd’hui partie de l’histoire juive : les autorités russes de l’époque, à la suite d’une dénonciation, avaient emprisonné ce grand maître du judaïsme. Elles décidèrent donc ainsi de le libérer après avoir reconnu son innocence et lui donnèrent, par cette décision, pleine autorisation de poursuivre son enseignement. Cette nouvelle victoire de l’esprit sur la force brutale, de la liberté de l’âme sur l’asservissement du corps mérite, en soi, que l’on s’y arrête, en particulier lorsqu’elle concerne un de nos Sages majeurs. Mais il y a ici également bien autre chose et c’est en ce sens qu’il s’agit d’un véritable Roch Hachana.
La liberté rendue à Rabbi Chnéor Zalman allait bien au-delà de la simple décision de l’autocratie tsariste. Elle était d’abord celle qui venait d’être prise spirituellement. D.ieu manifestait ainsi qu’Il avait tranché un débat profond et essentiel : le sens profond de la Torah devait-il être accessible à tous ? L’emprisonnement de Rabbi Chnéor Zalman était la manifestation matérielle de la question et sa libération, la traduction, en notre monde, de la réponse donnée : cet enseignement – la ‘Hassidout – devait continuer de s’étendre et de s’approfondir. Le 19 Kislev devint alors jour de commencement.
C’est ce grand «début» que nous pouvons vivre d’année en année. Par l’étude de la ‘Hassidout, il nous ouvre les portes d’un monde nouveau. Sachons les franchir, la lumière de Machia’h y brille de tout son éclat.
Etincelles de Machiah
L’élévation ultimeLe but essentiel de l’exil n’est pas de punir mais de raffiner et purifier le peuple juif afin qu’il soit le digne réceptacle des révélations divines que le Machia’h apportera. La ‘Hassidout (Torah Or 51c) explique : «l’intention profonde de la descente et de l’exil est de préparer à une grande élévation, quand, aux temps de Machia’h, la lumière de D.ieu rayonnera révélée». Ainsi, pendant l’exil, il nous faut préparer les «récipients» pour recevoir de telles révélations.
Cette idée nous permet de comprendre pourquoi, à la question du Baal Chem Tov – «Maître (c’est-à-dire Machia’h ), quand viendras-tu ?» – la réponse fut : «Quand les sources de tes enseignements seront répandues au dehors».
Car la lumière qui se trouve dans les enseignements de la ‘Hassidout est le réceptacle qui permet de recevoir la révélation de Machia’h – et, lorsque le réceptacle sera achevé, la lumière se révèlera.
(d’après les Iguerot Kodech du Rabbi, vol. I, p.216)
Vivre avec la Paracha
Vayéchev :les jumeaux de TamarParmi les nombreuses naissances relatées dans le livre de Béréchit, deux sont celles de jumeaux : les fils d’Its’hak et de Rivkah, Yaakov et Essav, et ceux de Tamar et de Yehoudah, Perets et Zera’h. Ces naissances ont plusieurs points de similitude mais aussi certaines différences significatives, à la fois dans les circonstances des deux grossesses et dans les caractères des deux paires de jumeaux qui allaient naître.
Its’hak et Rivkah furent mariés pendant vingt ans, sans enfant ; ils priaient pour des enfants, chacun évoquant la rectitude de l’autre dans leurs suppliques à D.ieu. Leur union produisit deux fils très différents : Yaakov devint en grandissant un doux érudit, Essav, un matérialiste grossier et manipulateur. Les jumeaux de Tamar furent conçus dans des circonstances moins exaltantes. Tamar fut d’abord mariée au fils aîné de Yehouda, Er. A la mort prématurée de Er, elle épousa, par le lévirat, son plus jeune frère, Onan ; mais Onan mourut également sans enfant. Quand Tamar prit conscience que Yehouda n’avait aucune intention de la marier à son troisième fils Chélah, elle se déguisa et séduisit Yeouda lui-même. Quand sa grossesse fut apparente, elle fut presque mise à mort sur les ordres de Yehouda pour prostitution. Ce n’est que lorsqu’elle produisit certains effets personnels appartenant à Yehouda qu’il comprit qui elle était et qu’il endossa la paternité des jumeaux qu’elle attendait. Et pourtant, contrairement à la progéniture mêlée qui résulta du mariage d’Its’hak et de Rivkah, les jumeaux nés de cette union, dont la moralité n’était pas évidente, furent tous deux des justes parfaits. En fait, tous les rois d’Israël, de David à Machia’h, sont issus de la descendance de Tamar.
Nos Sages, notant la terminologie différente employée par la Torah pour ces grossesses, expliquent que celle de Rivkah fut de neuf mois – «remplie» – alors que Tamar donna naissance après une grossesse «inachevée» de seulement sept mois. Nos Sages remarquent également que le mot hébreu pour «jumeaux», Téomim, s’épelle différemment dans les deux récits. En langue sainte, de nombreux mots peuvent s’écrire soit dans une orthographe « pleine », soit dans une orthographe « déficiente » (c'est-à-dire à laquelle il manque une ou plusieurs lettres). Dans le récit de la naissance de Perets et Zéra’h, le mot Téomim apparaît dans son orthographe pleine ; mais dans le récit de la naissance de Yaakov et Essav, il apparaît dans sa forme déficiente, sans les lettres Aleph et Youd. Cela, expliquent les commentateurs, fait allusion au fait que les jumeaux de Tamar «étaient tous deux justes alors que dans le cas [de Rivkah] l’un était juste et l’autre impie».
En d’autres termes, la grossesse «remplie» de Rivkah produisit une paire «déficiente» de jumeaux alors que la grossesse «déficiente» de Tamar produisit une progéniture «entière» et parfaite.
Les graines du mal ?
Mais la grossesse de Rivkah fut-elle réellement parfaite ? Le Midrach semble impliquer que la moitié impie de sa progéniture affirmait déjà sa nature vile dans son giron. La Torah raconte que «les enfants se battaient en elle». Le Midrach explique : « Chaque fois qu’elle passait devant une maison de prières ou une maison d’études, Yaakov se battait pour sortir… et quand elle passait devant une maison d’idolâtrie, Essav se battait pour sortir».
Néanmoins, d’autres récits midrachiques décrivent Yaakov et Essav partageant une enfance juste, dans l’environnement saint de la maison de leurs parents et sous la tutelle de leur saint grand-père, Avraham. Ce n’est que «plus tard qu’Essav se détruisit par ses actes». Cela soutient notre vue initiale d’une conception, d’une grossesse et d’une naissance parfaites, suivies d’une progéniture « déficiente » dont la responsabilité revient exclusivement au fait qu’Essav, par son libre choix, s’engagea sur le chemin du mal.
Les deux mets délicats
Un principe fondamental de la foi juive, écrit Maïmonide, est que « le libre arbitre a été donné à chaque homme ». Pourtant, nous observons que certaines personnes sont plus susceptibles de faire le mal que d’autres. Le Talmud décrit la victime prototype du mal, Job, protestant devant D.ieu : « Maître de l’univers ! Tu as créé des justes et Tu as créé des méchants ! ».
Dans son Tanya, Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi explique le sens de cette phrase. « Les justes » (les Tsaddikim) sont des individus qui, par nature, haïssent le mal et ne désirent que le bien. Par ailleurs, « les méchants » (les Rechaïm) sont des individus qui sont destinés « non à être réellement mauvais, à D.ieu ne plaise, mais à être influencés par le mal, seulement dans leur esprit et dans leurs pensées, de sorte qu’ils doivent constamment se battre pour en éloigner leurs pensées et le supprimer, car ils ne pourraient l’annihiler complètement, ce que ne peuvent faire que les justes ». Car D.ieu désire dans ce monde ces deux types d’êtres humains.
C’est là le sens profond des « deux nations » qui avait-on dit à Rivkah, résidaient dans son giron. L’attirance vers le mal exprimée par l’un de ses jumeaux n’était pas une déficience, c’était un potentiel. Ce n’est que plus tard, lorsque Essav choisit de se soumettre à son penchant vers le mal plutôt que de le combattre, que la dualité des forces qu’elle avait mises au monde devint une paire de jumeaux « déficiente ». Comme ils existaient à l’intérieur de Rivkah, néanmoins, Yaakov et Essav constituaient une grossesse « entière », contenant les deux potentiels fondamentaux que D.ieu a implantés dans Sa création : le délice du bien parfait et le plaisir différent, le sens d’accomplissement qui ne peuvent venir que d’un combat contre l’adversité.
La grossesse et l’accouchement de Tamar décrivent le processus inverse : la façon dont des circonstances et des actions négatives peuvent être sublimées de sorte que la perfection originelle, dont émerge chaque potentiel dans l’existence, est restituée. En fait, quand le potentiel du mal de la souffrance de l’horreur et de la mort se concrétise, l’opportunité d’une perfection encore plus profonde peut exister, quand ils sont vaincus et transformés en bien.
La montée sur le Mont Sion
C’est là le paradoxe de notre existence : la perfection engendre l’imperfection (comme dans la grossesse de Rivkah), car rien ne peut être déclaré réellement parfait à moins qu’il ne possède le potentiel du combat, ce qui signifie qu’il doit être vulnérable à l’imperfection. Et l’imperfection donne naissance à la perfection (comme dans la grossesse de Tamar) quand cette vulnérabilité est exploitée pour récolter les récompenses de la lutte et pour atteindre la gémellité parfaite d’un bien sans tache et d’un mal vaincu. L’histoire toute entière est la progression noble et douloureuse vers la résolution de ce paradoxe lorsque, à l’ère de Machia’h, « les sauveurs (descendants de Tamar) monteront sur le Mont Sion pour juger la montagne d’Essav (de Rivkah ) » unissant les vulnérabilités nées de la perfection de la création de D.ieu avec la perfection née des vulnérabilités de la condition humaine.
Le Coin de la Halacha
Comment allume-t-on les six lumières de 'Hanouccah le vendredi après-midi 30 décembre 2005?Il convient, avant l'allumage, de faire la prière de Min'ha.
Le maître de maison, et éventuellement tous les garçons de la maison, prononceront d'abord les deux bénédictions (1) «Barou'h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè'h Haolam Achère Kidéchanou Bemitsvotav Vetsivanou Lehadlik Ner ‘Hanouccah».
«Béni sois-Tu, notre D.ieu, Roi de l’Univers qui nous as sanctifiés par Ses commandements et nous as ordonné d’allumer les lumières de ‘Hanouccah.»
Et: (2) «Barou'h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè'h Haolam Chéassa Nissim Laavoténou Bayamime Hahème, Bizmane Hazé».
«Béni sois-Tu, notre D.ieu, Roi de l’Univers qui as fait des miracles pour nos pères en ces jours-là, en ce temps-ci.»
On allumera d'abord la mèche ou la bougie située le plus à gauche puis celle qui la précède, etc… à l'aide de la bougie appelée «Chamach».
On aura pris soin de mettre assez d'huile dans les godets (ou d'avoir prévu des bougies assez grandes) pour durer jusqu'à une demi-heure après la nuit, c’est-à-dire jusqu’à environ 17h 54 (heure de Paris). Après l'allumage, on récite «Hanérot Halalou».
Ensuite, les jeunes filles et les petites filles allumeront leurs bougies de Chabbat (après avoir mis quelques pièces dans la boîte de Tsédaka, charité) ; les femmes mariées allumeront au moins deux bougies. Elles diront la bénédiction habituelle («Barou'h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè'h Haolam Achère Kidéchanou Bemitsvotav Vetsivanou Lehadlik Ner Chel Chabbat Kodèche»).
«Béni sois-Tu, Eternel notre D.ieu, qui nous as sanctifiés par Ses commandements et nous as ordonné d’allumer la lumière du saint Chabbat.»
Tout ceci devra être terminé avant 16h 44 (heure de Paris) le 30 décembre.
Une jeune fille (ou une femme) qui habite seule devra elle aussi procéder d'abord à l'allumage des lumières de 'Hanouccah puis des bougies de Chabbat, avec les bénédictions appropriées.
F.L
Retrouvez le guide sur notre page http://www.loubavitch.fr/pages/hanouccah5766.asp
De Recit de la Semaine
Le ‘Hanouccah du Consul japonaisJ’avais 11 ans en 1939; cette fête de ‘Hanouccah, a priori normale, devint un événement miraculeux qui marqua le début d’une incroyable épopée pour près de 40.000 Juifs.
Peu après que les Nazis aient envahi et occupé la Pologne (en quinze jours seulement), de nombreux Juifs s’étaient enfuis en Lituanie qui était encore un pays démocratique indépendant : les Juifs de Lituanie ouvrirent leurs maisons et leurs cœurs à ces réfugiés. Ceux-ci n’avaient aucune illusion sur le sort qui leur serait réservé dès que l’Allemagne s’emparerait de ce petit pays. Leur seul espoir était des visas que leur fournissaient des ambassades étrangères. Mais le monde libre ne s’intéressait pas à ces Juifs. Pour certains d’entre eux, le miracle commença à notre domicile à Kaunas, ce ‘Hanouccah.
Comme tous les enfants, j’aimais particulièrement la fête de ‘Hanouccah, puisque les adultes nous donnaient de l’argent, selon la coutume. Mais cette année-là, quand les dames du comité de soutien aux réfugiés avaient toqué à notre porte, je me suis senti presque obligé de donner tout l’argent que j’avais récolté, en tout dix Lit (monnaie lituanienne de l’époque). Même pour les adultes, c’était une certaine somme. Je le regrettai immédiatement parce que j’avais déjà échafaudé des plans comment utiliser cet argent. Mais ce qui était fait était fait. Les dames avaient été émerveillées par mon geste et m’avaient assuré que l’argent servirait à acheter des visas pour les réfugiés.
Cette semaine-là, je mourrai d’envie d’aller voir le nouveau film de Laurel et Hardy au cinéma Metropolitan. Mais je n’avais plus d’argent. Ma mère aurait bien voulu me «prêter» de quoi acheter un billet mais, pour mon père, il n’en était pas question : «Il faut assumer ses responsabilités ! Tu as fait une grande Mitsva en donnant tout ton argent de ‘Hanouccah pour les réfugiés, mais ne viens pas après cela mendier auprès de nous un remboursement !»
J’étais d’autant plus amer que je savais qu’il avait raison.
Mon dernier espoir était ma tante Anouchka. Elle aurait pitié de moi, sachant combien j’adorais les films de Laurel et Hardy. La neige tombait quand je me dirigeais vers son magasin mais cela ne me faisait pas peur.
Une guerre cruelle se déroulait dans un pays voisin mais, à part l’arrivée des réfugiés, cela ne nous affectait nullement.
Ma tante Anouchka avait décoré son magasin avec des ampoules lumineuses de couleur. Sa clientèle était riche parce qu’elle proposait les nourritures les plus exotiques et luxueuses de Kaunas : caviar de Beluga, champagne français ou chocolat suisse… Elle fournissait ainsi les ambassades, soucieuses de servir leurs plats nationaux.
Un système attaché à la porte émettait une jolie musique. Quand j‘entrai, elle servait justement un client élégant avec des yeux bizarrement fendus. Elle lui parlait en russe.
«Ah ! Voici mon cher neveu qui vient chercher son argent de ‘Hanouccah !» dit-elle en souriant.
Soit elle ne se souvenait pas m’en avoir déjà donné, soit elle désirait m’épargner l’humiliation de demander encore une fois de l’argent. Peut-être avait-elle entendu parler de mon obole aux dames du comité. «Viens ici, je te présente Son Excellence, le consul du Japon, M. Sugihara».
J’étais fasciné par les yeux bridés de cet homme. Je lui tendis la main : «Comment allez-vous ?» dis-je très poliment.
Il me serra solennellement la main et sourit. Il y avait de l’humour et de la bonté dans ces yeux étranges. Il me sembla immédiatement sympathique. Je me souvenais de ce que m’avait dit une fois mon grand-père : «Les yeux sont la fenêtre qui révèle l’âme. Si tu les observes bien, tu peux voir ce qui est derrière». Sur le moment, j’avais retenu la phrase sans trop la comprendre. Mais là, je sentis autour de cet homme comme une aura de bonté que je ne pouvais expliquer.
«Tu veux aller au cinéma et tu n’as pas d’argent, n’est-ce pas ? me demanda Anouchka en riant. Après tout, c’est ‘Hanouccah et on donne de l’argent aux enfants de la famille !»
Tandis qu’elle se dirigeait vers sa caisse, le Consul japonais sortit de sa poche un Lit flambant neuf qu’il me tendit : «Puisque c’est ‘Hanouccah, considère que je suis ton oncle !» me dit-il gentiment.
J’hésitai à accepter mais finis par prendre le billet; je me surpris moi-même par ma réaction : «Puisque vous êtes mon oncle, venez donc chez nous samedi soir pour la réunion familiale autour des bougies !»
Mon audace me stupéfiait et Anouchka qui entendit cela me regarda sans comprendre.
«C’est une très bonne idée ! dit-il. De fait, je n’ai jamais assisté à une réunion de ‘Hanouccah. Je viendrai volontiers ! Mais ne devrais-tu pas d’abord demander à tes parents ce qu’ils en pensent ?»
Anouchka reprit ses esprits : «Je suis sûre que votre Excellence doit être très occupé ! Mais si vous êtes libre, vous serez le bienvenu !»
«Très bien ! A samedi soir !» dit-il en me serrant la main.
Il était tard, je courus au cinéma.
A mon retour à la maison, tante Anouchka était là. Elle avait dû raconter ma «bêtise» et je m’attendais à de sérieux reproches. Mais mon père me rassura : «Tu as bien fait. Tu ne dois jamais regretter d’offrir l’hospitalité à des étrangers».
L’allumage avait été fixé à 18 heures, mais tous les membres de la famille arrivèrent en avance, parce qu’ils avaient entendu parler de l’invité prestigieux.
Tante Anouchka arriva à 18 heures précises, avec le consul et son épouse Yokiko. Celle-ci était vêtue d’une élégante robe noire ; M. Sugihara portait un costume strict, de bonne coupe. En l’honneur de ces invités, nous avons procédé à l’allumage et aux chants de ‘Hanouccah avec une ferveur particulière. Il régnait ce soir-là une chaleur et une ambiance familiale merveilleuses.
Cinquante-cinq ans plus tard, je retrouvais Madame Sugihara au Japon. Elle me dit qu’elle n’avait jamais oublié cette soirée à notre domicile. De fait, cela avait été leur premier contact avec les Juifs.
Quand la seconde Guerre Mondiale éclata, M. et Mme Sugihara furent confrontés à l’horreur. Les réfugiés qui avaient réussi à fuir la Pologne racontaient les terribles traitements que les Nazis faisaient subir aux Juifs. Les Juifs lituaniens avaient du mal à les croire, mais la seule frontière ouverte restait l’Union Soviétique : seules les personnes munies de visas pour d’autres pays étaient autorisées à transiter par l’U.R.S.S.
Bien que le Japon fût officiellement allié au régime nazi, le consul décida de braver les ordres de son Ministère, de risquer sa carrière, de trahir le principe d’obéissance aux ordres auquel il avait été habitué. Il déclara par la suite : «J’ai peut-être désobéi au gouvernement, mais sinon, j’aurais désobéi à D.ieu».
Se souvenant de l’atmosphère si particulière d’une certaine soirée de ‘Hanouccah, des gâteaux et desserts si gentiment offerts par la famille Ganor, les Sugihara décidèrent d’aider les Juifs. Hanté par un vieux proverbe samouraï : «Même le chasseur ne peut pas tuer l’oiseau qui se réfugie chez lui», le Consul délivra des milliers de visas, qu’il écrivait à la main puis tamponnait durant des heures ; exactement durant vingt-neuf jours, il oeuvra pour le bien de ces réfugiés qui faisaient la queue devant son consulat. Grâce à lui et son épouse, 40.000 Juifs purent traverser l’U.R.S.S. et trouver refuge au Japon, échappant ainsi à la Shoah.
Pour ma famille, il n’y eut pratiquement pas de miracle. Seuls mon père et moi-même avons survécu à deux ans passés au ghetto et deux autres dans les camps d’extermination. Mais pour 40.000 «survivants de Sugihara», le miracle avait commencé à ‘Hanouccah 1939.
Chaque année, depuis ma libération de Dachau, j’allume une bougie supplémentaire en l’honneur de M. Sugihara, Juste parmi les Nations.
Solly Ganor
traduit par Feiga Lubecki