Mercredi, 19 septembre 2018

  • Yom Kippour
Editorial

 Le voyage de Yom Kippour

Un jour unique. Un jour pour racheter les erreurs du passé, rectifier les parcours erronés. Finalement, un jour de commencement. C’est, bien sûr, Yom Kippour que ces quelques mots décrivent. Tout y est et, à leur seul énoncé, toute la grandeur de ces heures différentes apparaît. Pourtant, si on se contente de cela, un élément essentiel manque : la présence de l’homme. Car il s’agit bien, en cette journée, d’une occasion à nulle autre pareille : les retrouvailles infinies du Créateur et de la créature. L’année écoulée a pu nous éloigner de la conscience nécessaire. Soucis du quotidien, aspirations matérielles diverses, simplement la présence insistante du monde : tout cela a pu rendre moins audible la voix de l’âme. Nous avons pu vivre, jour après jour, en oubliant la source même de notre vie, sans jamais nous interroger sur le sens des choses et la portée de nos actions, tant il est vrai qu’il est toujours facile d’oublier.

Alors Yom Kippour arrive, un jour où la matérialité cède la place, où le spirituel reprend ses droits. A la synagogue, chacun le ressent avec intensité : nous vivons, en ce jour, sur un plan différent et cela ne nous laisse pas inchangés. Sans doute faut-il le dire aussi avec force : ce n’est pas que de l’équilibre entre matériel et spirituel qu’il s’agit. C’est un véritable dialogue avec D.ieu que nous engageons, d’essence à essence. Comment la créature s’adresse-t-elle au Créateur ? Les prières du jour sont la trame de cet échange. Elles disent notre volonté de nous attacher à Lui. Elles disent également l’étendue de Sa bonté, Lui qui efface les égarements passés et donne accès à l’avenir.

La journée s’écoule et chacune de ses minutes est précieuse. D’une certaine manière, chacun est irremplaçable. Lorsque, au fil des heures, monte la lumière de l’âme, c’est la Lumière divine qu’elle suscite, jusqu’en cet instant où, alors que le soleil se couche, D.ieu proclame le pardon de chacun et donne Ses bénédictions. Dans l’effort des hommes, tendus vers cet objectif depuis le début de la célébration, tout est déjà contenu. Pour cela, il faut entrer dans Yom Kippour comme on part pour la plus grande aventure qui se puisse concevoir. Explorateurs de terres inconnues, nous sommes prêts au voyage, attentifs à chaque instant, en marche vers les merveilles là-bas, au-delà de l’horizon. Plus que ce que nous pouvons imaginer nous attend. Pour le bien et le bonheur de tous.

Etincelles de Machiah

 Quand tout sera lumière

« Et il arrivera que le soir, il y aura de la lumière ». C’est en ces termes que le prophète Zacharie (14:7) décrit l’époque messianique. Si le caractère concret de cette prophétie ne fait pas de doute, il convient cependant d’en préciser le sens ainsi que la portée spirituelle.

En ce temps-là, veut-on nous dire, l’obscurité elle-même sera lumière – comparable à un verre transparent qui révèle la clarté et non à un verre opaque qui la masque. De même, la Divinité apparaîtra révélée dans chaque chose créée ainsi qu’il est écrit : « le loup habitera avec l’agneau. » Dans le domaine de l’homme également, la Divinité sera manifeste, aussi toute immoralité disparaîtra.

(d’après les Maamarim de l’Admour Hazakène sur les Néviim, p.28)

Vivre avec la Paracha

 Peut-on encore garder notre lien avec D.ieu, après Yom Kippour ?

Le lendemain matin de Yom Kippour

Que devrions-nous ressentir après Yom Kippour ? Bien qu’à Yom Kippour nous vivons une inspiration spirituelle exceptionnelle, que se passe-t-il le jour suivant ? Pouvons-nous conserver cette conscience élevée tout au long de l’année ?

Pour répondre à cette question, penchons-nous sur la lecture de la Torah de Yom Kippour qui décrit les sacrifices offerts par le Cohen Gadol (le Grand Prêtre), dans le Beth Hamikdach (le Saint Temple), lors de ce saint jour. La lecture est introduite par le verset : « Et D.ieu parla à Moché après la mort des deux fils d’Aharon quand ils se rapprochèrent de D.ieu et périrent. » Ce verset nous enseigne une leçon concernant Yom Kippour : l’importance de ce qui se produit après.

Yom Kippour est un moment où chaque Juif « se rapproche de D.ieu ». Cependant, cette expérience ne doit pas se suffire à elle-même, elle doit être connectée avec les jours et les semaines qui suivent.

Un précédent historique

Pour nous enseigner comment aborder cette expérience, la Torah relate la façon dont les fils d’Aharon, Nadav et Avihou, commirent une erreur fondamentale dans la manière dont ils « se rapprochèrent de D.ieu », après la révélation de la Présence Divine, lors de la consécration du Sanctuaire. Chacun prit l’ustensile prévu pour cet usage, y mit du feu et plaça par-dessus les encens. Ils offrirent alors un feu étranger qui ne leur avait pas été ordonné. Le feu jaillit de devant D.ieu et les consuma.

Bien que nos Sages énumèrent plusieurs défauts dans la conduite des fils d’Aharon qui les menèrent à la mort, ces interprétations soulèvent un certain nombre de difficultés. Nadav et Avihou avaient été choisis par D.ieu pour servir en tant que Prêtres. Plus encore, comme l’explique Rachi dans son commentaire de la Torah, ils avaient atteint un niveau spirituel plus élevé que Moché Rabbénou lui-même. Comment est-il donc concevable qu’ils aient pu faire de telles erreurs dans leur service de D.ieu ?

Plusieurs commentaires de la Torah expliquent que leur mort n’était pas une punition mais la conséquence naturelle du fait qu’ils avaient atteint de telles hauteurs spirituelles que leur âme ne pouvait plus rester dans leur corps. Ayant fait l’expérience d’un attachement considérable à D.ieu, une Dvékout, ils n’étaient plus à même de revenir à la vie, à un niveau matériel.

L’expérience spirituelle ne doit pas isoler

Cependant, quand bien même l’on accepte cette interprétation, la conduite de Nadav et d’Avihou reste problématique dans la mesure où elle était justifiée par un désir égocentrique : ils moururent parce que leur âme voulait s’attacher à D.ieu et rester dans un état d’absolue unité avec Lui. Dans ce désir, ils perdirent de vue le but ultime de D.ieu dans la création. Comme tous les autres êtres des mondes matériel et spirituel, ils avaient également été créés pour que D.ieu puisse avoir « une résidence dans les mondes inférieurs ». En quittant cette terre, quand bien même il s’agissait de s’attacher à D.ieu, ils étaient donc en conflit avec l’intention Divine quand Il les avait créés dans ce monde.

Les aspirations les plus profondes de notre âme et les sommets les plus élevés de notre expérience religieuse doivent rester liés avec les réalités de notre existence matérielle. La spiritualité n’est pas une dimension qui a été ajoutée, séparée de notre vie quotidienne, mais un moyen par lequel élever notre vie ordinaire. En faisant fusionner nos réalités matérielles et spirituelles, nous raffinons le monde, l’imprégnons de sainteté et le transformons en une résidence pour la Présence Divine.

Entrer en paix pour sortir en paix

Ce dessein de fusionner les règnes matériel et spirituel trouve une illustration claire dans le Talmud. Quatre Sages pénétrèrent dans le Pardess (littéralement : « le verger »), c’est-à-dire qu’ils se promenèrent dans l’immense profusion cachée dans les profondeurs de la Torah et vécurent des révélations mystiques extraordinaires. L’un d’entre eux « regarda à l’intérieur et mourut ». Un autre « regarda à l’intérieur et perdit la raison ». Le troisième « coupa les jeunes arbres » (c’est-à-dire qu’il fut déformé par des interprétations erronées). Le quatrième, Rabbi Akiva, « entra en paix et sortit en paix ».

Rabbi Akiva fut le seul qui sortit indemne parce qu’il avait été le seul à « entrer en paix ». Il ne recherchait pas simplement une expérience mystique. Il ne pénétra pas dans le Pardess pour satisfaire son besoin de s’attacher à D.ieu mais pour parvenir à une conscience spirituelle plus élevée qui lui permettrait d’améliorer tout son service divin. Par contre, ses compagnons ne recherchaient que des expériences mystiques personnelles. Ils voulaient « venir près de D.ieu » mais n’avaient pas compris comment établir une relation entre cette expérience et le déroulé entier de leur vie.

Prolonger Yom Kippour

Le même problème se pose potentiellement dans notre service divin de Yom Kippour. Au moment même où nous nous « rapprochons de D.ieu », nous ne devons pas perdre de vue notre attitude par rapport à Lui, tout au long de l’année. Yom Kippour ne doit pas être considéré comme une expérience isolée mais comme le moyen d’améliorer notre relation avec D.ieu, au quotidien.

La nécessité de lier Yom Kippour aux réalités du reste de l’année est illustrée par le service que menait le Grand Prêtre, le jour de Yom kippour. En ce jour, il pénétrait dans le Saint des Saints où il se tenait seul face à la Che’hinah, la Présence Divine révélée. Aucune expérience religieuse plus intense n’est imaginable.

Mais immédiatement, il offrait une courte et simple prière demandant des bénédictions pour une subsistance suffisante pour tout le Peuple juif. Il sortait à peine d’un niveau spirituel sans précédent et se concentrait, sur le champ, sur les préoccupations matérielles et quotidiennes du Peuple juif.

Il est intéressant d’observer qu’un prérequis était obligatoire pour le service du Cohen Gadol à Yom kippour : celui d’être marié. Si le Cohen Gadol avait été célibataire, c’est-à-dire qu’il lui avait manqué l’engagement essentiel à une vie dans les réalités concrètes de ce monde, il n’aurait pas été apte à intercéder pour le bien-être de ses frères.

Fusionner une conscience spirituelle avec une prospérité matérielle

Il est fort possible que notre expérience spirituelle n’atteigne pas les mêmes sommets que celles des fils d’Aharon ou du Grand Prêtre dans le Saint des Saints mais nous avons des élans spirituels, des moments où nous nous sentons plus en communion avec notre âme et avec D.ieu. Il est sûr que cela se produit à Yom Kippour, jour où nous nous coupons de toutes nos préoccupations matérielles. Nous ne pouvons pas permettre à ces moments exceptionnels de rester séparés de notre vie quotidienne. Au contraire, la force spirituelle de ces jours extraordinaires doit être réinvestie pour donner de l’énergie à notre service quotidien, au jour le jour.

Cette attitude suscite également des bénédictions sur nos occupations matérielles. Yom Kippour est un jour de jugement. Quand D.ieu observe que l’individu se préoccupe d’élever le monde autour de lui et garde en tête cet état d’esprit, même au paroxysme de son expérience spirituelle, Il le récompense par le succès, à la fois dans son service divin et dans ses occupations matérielles. D.ieu le bénit avec la santé, la richesse et les enfants. L’individu, à son tour, utilise ces bénédictions pour élever, raffiner le monde et le transformer en une résidence pour D.ieu.

Cette approche au service de D.ieu conduit à la fusion ultime de la prospérité matérielle et de l’élévation spirituelle qui aura lieu à l’Ere de la Rédemption. Alors, « les bonnes choses couleront à flot et en abondance et tous les délices seront aussi accessibles que la poussière ».

Simultanément « l’occupation du monde entier ne sera que de connaître D.ieu… Car le monde sera rempli de la connaissance de D.ieu comme les eaux couvrent le lit de l’océan. »

Le Coin de la Halacha

 Que fait-on à Yom Kippour (cette année mercredi 19 septembre 2018) ?

Dans la semaine qui précède Yom Kippour, on procède aux « Kapparot » : on fait tourner autour de sa tête trois fois un poulet vivant (ou un poisson, ou une somme d’argent multiple de 18) en récitant les versets traditionnels ; puis on donne le poulet (ou le poisson ou la valeur monétaire) à une institution charitable.

La veille de Yom Kippour (cette année mardi 18 septembre 2018), on a coutume de demander au responsable de la synagogue du gâteau au miel, symbole d’une bonne et douce année. Jusqu’à la fin du mois de Tichri, on ne récite plus de Ta’hanoun (supplications).

Il est d’usage que les hommes se trempent au Mikvé (bain rituel), si possible avant la prière de Min’ha. On met les vêtements de Chabbat. Après la prière de Min’ha, on prend un repas de fête, sans poisson ni viande, mais avec du poulet. Après le repas, les parents bénissent les enfants et leur souhaitent d’aller toujours dans le droit chemin. Le jeûne de Yom Kippour commence à 19h39 (horaire de Paris).

Après avoir mis des pièces à la Tsedaka, les femmes mariées allument au moins deux bougies avant 19h39, horaire de Paris (les jeunes filles et petites filles allument une bougie) et récitent les deux bénédictions suivantes :

1) « Barou’h Ata Ado-nay Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Nèr Chel Yom Hakipourim » - « Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous a sanctifié par Ses Commandements et nous a ordonné d’allumer la lumière de Yom Kippour ».

2) « Barou’h Ata Ado-nay Elo-hénou Mélè’h Haolam Chéhé’héyanou Vekiyemanou Vehigianou Lizmane Hazé » - « Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous a fait vivre, qui nous a maintenus et nous a fait parvenir à cet instant ».

Il est d’usage d’allumer également une bougie qui dure au moins vingt-cinq heures et sur laquelle on récitera la bénédiction de la « Havdala » à la fin de la fête. On allume aussi des bougies de vingt-cinq heures à la mémoire des parents disparus.

On enlève les chaussures en cuir et on met des chaussures en toile ou en plastique. Les hommes mariés mettent le grand Talit et le « Kittel » (vêtement rituel blanc).

Tout Yom Kippour, on récite la deuxième phrase du Chema Israël (« Barou’h Chem… ») à voix haute. Il est interdit de manger, de boire, de s’enduire de crèmes ou de pommades, de mettre des chaussures en cuir, d’avoir des relations conjugales et de se laver (sauf si on s’est sali ; de même, on se lave les mains pour des raisons d’hygiène). On passe la journée à la synagogue. Toutes les interdictions de Chabbat s’appliquent à Yom Kippour.

Ce mercredi matin, on ne récite pas la bénédiction : « Cheassa Li Kol Tsorki » (« Qui veille pour moi à tous mes besoins ») car on ne porte pas de vraies chaussures.

Les malades demanderont au médecin et au Rabbin s’ils doivent jeûner ou non.

A la fin du jeûne (20h43 horaire de Paris), on écoute la sonnerie du Choffar.

Après Yom Kippour, on se souhaite mutuellement « Hag Saméa’h ». Si possible, on prononce la bénédiction de la lune. On récite la prière de la Havdala, on se lave les mains rituellement et on se rince la bouche. Durant le repas qui suit le jeûne, il est d’usage de parler de la construction de la Souccah et, si possible, on construit effectivement la Souccah tout de suite après le repas.

Le Recit de la Semaine

 Le cantor de la forêt

Les semaines succédaient aux mois de tension : Zalman Bronstein devait rester sans bouger dans des tranchées boueuses du champ de bataille russe durant la seconde Guerre mondiale. Obligé de viser l’ennemi allemand pour ne pas être tué lui-même, il ne cessait de penser à son épouse et ses trois enfants et c’était pour eux qu’il trouvait la force de continuer, malgré les dizaines de milliers de jeunes gens qui tombaient autour de lui comme des mouches. La guerre semblait ne devoir jamais cesser.

Un jour, il eut droit à une pause et un nouveau régiment de soldats russes vint prendre sa place pour qu’il puisse ramper en dehors de son abri et dormir de façon un peu plus confortable. Il s’écroula sur une planche et apprécia le peu de sommeil qu’on lui avait octroyé.

Soudain, un officier entra dans son bunker, chantant à tue-tête une marche militaire et le réveillant bien malencontreusement. Zalman ouvrit les yeux, sans comprendre pourquoi un officier de haut rang entrait dans le cabanon destiné aux simples soldats – juste pour se raser. Et surtout, il n’appréciait pas un détail : l’officier chantait faux !

- Camarade Officier ! Je suis désolé mais vous êtes en train de massacrer ce chant !

- Ah bon ? Et toi, tu connais ce chant ? Alors chante-le pour moi car il me plaît beaucoup et me donne du cœur à l’ouvrage !

Zalman regrettait déjà de s’être ainsi manifesté et de voir sa pause raccourcie d’autant mais il n’avait pas le choix et, malgré son humeur maussade, il chanta de toutes ses forces. L’officier était émerveillé et, en même temps, se perdit en récriminations contre le haut commandement de son armée qui envoyait un aussi bon chanteur au front : il promit d’évoquer le sujet lors de la prochaine réunion de son QG.

Tout en grognant de cette interruption forcée, Zalman retourna à ses rêves puis à son service au front. Plusieurs fois, il frôla la mort, avec des explosions non loin de lui mais, à chaque fois, il se représentait le visage de son saint maître, Rabbi Yossef Its’hak Schneerson de Loubavitch et il reprenait espoir. Il était certain que le Rabbi priait pour sa survie.

Après quelques jour, le haut-parleur de son bunker cracha un ordre : « Le chanteur Zalman Bronstein est appelé au Haut Commandement ! ». Il n’eut pas le temps de réfléchir et, quand il se présenta, l’officier lui transmit l’ordre suivant : « Prends toutes tes affaires et rampe hors d’ici mais attention ! Un seul mouvement de travers et… boum ! ».

Inquiet, Zalman se mit à ramper dans la boue, avec son sac sur le dos. Ce n’est que quand il arriva qu’on lui expliqua : il devait maintenant inspirer les soldats à la guerre en chantant de toutes ses forces, en y mettant tout son cœur ! Tous les chefs de brigade étaient éblouis par sa performance et, finalement, il fut décidé qu’il chanterait à tour de rôle devant les différents régiments. Tous les officiers se le disputaient ! Il devint le soliste attitré de l’Armée Rouge.

Sa promotion fut une source de fierté pour tous les soldats juifs. Une fois, l’un d’entre eux lui fit passer une note : pouvait-il chanter un chant en yiddish ? Oui, il y parvint, sans se faire remarquer et cela apporta un réconfort immense à ses infortunés camarades.

Le prochain concert, le plus important, devait se dérouler devant des centaines d’officiers de haut rang et de médecins. Mais c’était Yom Kippour ! Zalman était déterminé à ne pas chanter devant ces militaires en ce jour le plus saint de l’année et prétendit qu’il avait terriblement mal à la gorge, ce qui l’empêchait de se produire, malgré les supplications du chef d’orchestre.

Il en profita pour se retirer dans sa chambre et réciter les passages de la prière et des Psaumes dont il se souvenait. Soudain, on frappa à sa porte : trois officiers bardés de médailles indiquant leurs grades élevés lui demandèrent tout de go : « Sais-tu quel jour nous sommes ? ». Et, sans hésiter, sans baisser les yeux, il répondit : « Oui ! C’est Yom Kippour ! ».

- Nous aussi nous sommes juifs ! chuchotèrent-ils. Peux-tu chanter pour nous quelques passages de la prière ?

- Oui mais… Ici, c’est impossible ! Je suis supposé être incapable de chanter à cause d’un mal de gorge…

- Alors allons dans la forêt !

Zalman comprit combien cela leur tenait à cœur, combien ils désiraient renouer leur lien avec leurs parents et leur tradition plurimillénaire. Près d’un arbre, comme enveloppé d’un Talit de branchages, les yeux fermés, Zalman entonna Kol Nidré à voix basse, puis une deuxième et une troisième fois, de plus en plus fort comme le veut la tradition. Ensuite il passa à Ounetané Tokef, la prière si poignante de Rabbi Amnon :

A Roch Hachana, ils sont inscrits et à Yom Kippour ils sont scellés !

Qui vivra et qui décèdera

Qui en son temps et qui avant son temps !

Qui vivra dans le calme et qui errera

Qui sera pauvre et qui sera riche

Qui sera humble et qui sera élevé…

Il conclut avec un chant entraînant : « Hou Élokénou… », « Il est notre D.ieu, Il est notre Père… ». Il respira profondément et, doucement, rouvrit les yeux. Le spectacle qui s’offrait à lui devait à jamais s’imprimer dans sa mémoire : les trois officiers si endurcis par ces années de guerre étaient penchés en avant pour qu’on ne distingue pas leurs larmes qu’ils ne pouvaient contrôler, leurs âmes juives brillant de la flamme ardente du jour le plus saint de l’année…

« Qui sait, pensa-t-il, c’est sans doute pour cela que le Ciel dirigea les pas de cet officier non-juif dans ma chambre lors de ma pause dans le bunker… »

 

Peu après la fin de la guerre, Zalman Bronstein émigra en Terre Sainte et, en 1949, participa à la fondation du village Kfar ‘Habad. Durant des années, il servit de cantor pour les offices de Roch Hachana et Yom Kippour, suscitant à chaque fois des torrents de larmes d’émotion parmi ces rescapés.

Yerachmiel Tilles – Sichat Hachavoua N° 1081

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