Au jour du grand rendez-vous
Si un jour reste chevillé à la conscience juive, c’est bien de Yom Kippour qu’il s’agit. Chacun le sait : quels qu’aient été nos actes de l’année écoulée, de quelque façon que nous définissions notre rapport avec D.ieu, nous ressentons la nécessité d’être présents à ce grand rendez-vous. C’est là toute l’essence de l’âme juive qui apparaît. La vie a pu conduire chacun en des lieux très divers, à des actions très diverses mais l’âme reste par nature dans sa pureté et son intégrité et, ce jour-là, la puissance de sa lumière ne peut être retenue. Elle s’exprime avec un éclat que rien ne masque et aucun faux-semblant n’y est de mise. Si les synagogues sont alors pleines, ce n’est pas simplement par habitude rituelle. C’est d’abord parce que quelque chose de bouleversant se produit et que cela touche jusqu’au plus profond de l’âme.
A l’époque du Temple, c’était en ce jour – «le jour unique de l’année» dit le Talmud – que le Cohen Gadol, le grand prêtre, entrait dans le Saint des saints, la partie la plus sainte de l’édifice, unissant ainsi la sainteté du temps, celle de l’espace et celle de l’homme. Aujourd’hui, le Temple ne se dresse plus sur sa colline à Jérusalem. Pourtant, nous continuons de lire la description de ces cérémonies dans nos livres de prière de Yom Kippour. Il faut se garder de croire qu’il ne s’agit là que du rappel d’une histoire glorieuse. Les rites décrits correspondent à un processus spirituel qui continuent de se dérouler. C’est dire que ce jour est décidément différent des autres car il voit l’union total avec D.ieu. Du reste, si nous y jeûnons, ce n’est pas uniquement en manière de mortification mais bien parce que, comparables à des anges, nous n ‘avons pas de lien trop fort avec le monde matériel.
Ainsi, Yom Kippour est d’abord une expérience spirituelle unique dans laquelle chacun a sa place, sans aucune exclusive. Peut-être est-ce aussi pour cela que, dans la conscience collective, il est devenu la représentation du judaïsme par excellence. Car n’est-ce pas là le sens même de notre vie ? Vivre le spirituel au sein du monde matériel. Savoir reconnaître le créateur au cœur de la création. Et, quand Yom Kippour s’achève, nous sommes pénétrés de cette assurance : D.ieu a pardonné nos fautes. Comme des enfants aimés de leur père. Amour, unité, pardon : le grand triptyque de notre vie. Pour une année bonne et douce.
Une prière naturelle
Un jour, des ‘hassidim, dans une réunion qu’ils avaient organisée, se mirent à discuter de ce qui se passerait quand Machia’h viendrait. L’un des vieux ‘hassidim présents, qui avait connu les troisième et quatrième Rabbis, le Tséma’h Tsédèk et Rabbi Chmouel, déclara : «Quand Machia’h viendra, on se lèvera le matin et on se préparera à prier et la prière coulera d’elle-même» - c’est-à-dire sans effort ni par simple habitude, comme naturellement.
(D’après la transmission orale)
Yom Kippour : Le Choffar et le Mur
Le Temple de Jérusalem fut détruit à deux reprises : par les Romains en 423 (avant l’ère commune) et par les Babyloniens en 69 (de l’ère commune). Un mur est resté debout, symbole vivant de la possession du Peuple Juif de la Terre d’Israël et de la ville de Jérusalem : le Kotel Hamaaravi ou «Mur occidental».
Ce qui suit est un extrait des Mémoires de Rav Moché Segal, ‘Hassid Loubavitch, activiste dans le combat pour libérer la Terre Sainte de l’occupation britannique.
A cette époque, l’emplacement situé devant le Kotel ne ressemblait pas à celui d’aujourd’hui. Seule une allée étroite séparait le Mur des maisons situées de l’autre côté. Le gouvernement britannique nous avait interdit de disposer une Arche Sainte, des tables ou des bancs dans l’allée. Nous ne pouvions pas même y placer un petit tabouret. Il était interdit de prier fort et de lire la Torah (ceux qui priaient au Kotel devaient se rendre dans l’une des synagogues du quartier juif pour le faire), interdit de faire résonner le Choffar à Roch Hachana et à Yom Kippour.
Yom Kippour de cette année-là (1930), nous priions au Kotel. Durant la brève interruption, entre les prières de Moussaf et de Min’ha, j’entendis des gens murmurer : «Où allons-nous écouter le Choffar ? Impossible ici. Il y en autant de policiers que de fidèles...». Le commandant en chef de la police était présent en personne pour s ‘assurer qu’aucun Juif ne ferait retentir le son unique qui marque la clôture du jeûne.
J’écoutais ces chuchotements et pensais en mon for intérieur : «Est-il concevable que nous nous passions du son du Choffar ? Il est vrai que c’est une coutume, mais ‘une coutume juive, c’est la Torah’ ! ». Je m’approchai alors du Rav Yits’hak Horenstein, le Rav de notre ‘communauté’ et lui dis :
- Donnez-moi un Choffar.
- Pour quoi faire ?
- Je soufflerai.
- Mais de quoi parles-tu ? Ne vois-tu pas les policiers ?
- Je soufflerai.
Le Rabbin se détourna brusquement de moi mais non sans avoir, au préalable, jeté un regard sur le petit pupitre, à la gauche de la fin de l’allée. J’avais compris : le Choffar était dans le pupitre. Je marchai en direction du pupitre et m’y accoudai. J’ouvris le tiroir et glissai le Choffar dans ma chemise.
Je possédais le Choffar mais s’ils me repéraient avant que je n’aie le temps de l’utiliser ? A l’époque, je n’étais pas encore marié et, selon la coutume achkénaze, je ne portais pas de talith. Je me tournai vers la personne qui priait à mes côtés et lui demandai de me prêter le sien. Ma requête put lui paraître étrange, mais les Juifs sont gentils, et tout particulièrement au moment le plus saint du jour le plus saint, aussi me tendit-il sans un mot son talith. Je m’en enveloppai. A ce moment précis, je sentis que je venais d’entrer dans mon propre domaine. Tout autour de moi dominait un gouvernement étranger, régnant sur le Peuple d’Israël, même en ce jour le plus saint et en ce lieu le plus saint et nous n’étions pas libres de servir notre D.ieu. Mais sous ce talith, c’était un autre domaine. Ici, je n’étais sous aucune domination si ce n’est celle de mon Père dans les Cieux. Ici, je ferai ce qu’Il me commande et aucune force sur terre ne pourrait m’en empêcher.
Quand les derniers versets de la prière de Neilah furent clamés : «Ecoute Israël», «Que le Nom soit béni», «l’Eternel est notre D.ieu», je m’emparai du Choffar et fis résonner un long son retentissant.
Tout se passa très vite. Des mains m’attrapèrent. J’enlevai le talith et devant moi se tenait le commandant en chef qui ordonna mon arrestation.
On m’emmena à Kichla, la prison de la Vieille Ville et un policier fut désigné pour me surveiller. Des heures s’écoulèrent sans que je ne reçoive à boire ou à manger pour casser le jeûne. A minuit, le policier reçut l’ordre de me relâcher et il me laissa partir sans prononcer un seul mot. J’appris par la suite que lorsque le Grand Rabbin de Terre Sainte, Rav Avraham Yits’hak Kook, avait appris mon arrestation, il avait immédiatement pris contact avec le Haut Commissaire et lui avait demandé ma libération. Voyant sa requête rejetée, il avait déclaré qu’il n’interromprait pas son jeûne jusqu’à ma libération. Le Haut Commissaire avait résisté plusieurs heures mais avait finalement cédé, par respect pour le Grand Rabbin.
Pendant les dix-huit années qui suivirent, jusqu’en 1948, on sonna du Choffar au Kotel, à chaque Roch Hachana et à chaque Yom Kippour. Les Britanniques avaient bien compris la signification de ce son. Ils savaient qu’il finirait par détruire leur règne sur notre Terre, tout comme le Choffar de Yehochoua avait fait tomber les murs de Jéricho. Ils avaient tout fait pour l’empêcher. Mais à chaque Yom Kippour, le Choffar retentissait, sonné par des hommes qui savaient qu’ils seraient arrêtés pour avoir revendiqué notre droit sur la plus sainte de nos possessions.
Yom Kippour aujourd’hui
A Yom Kippour, nous jeûnons. C’est ce que fait le Juif à Yom Kippour. Il sait bien qu’un éclair ne va pas descendre du ciel et le frapper s’il mange, mais ce ne sont ni la récompense ni la punition qui le préoccupent. Il ne mange pas parce qu’il comprend que D.ieu ne veut pas qu’il le fasse. Il sait que pour un Juif, cela ne se fait pas, à Yom Kippour.
Il se peut que la veille, il ait déjà ressenti cela ou pas. Il se peut qu’il ait été plutôt négligeant par rapport à un commandement ou à un autre. Mais quand vient Yom Kippour, il ressent qu’il doit faire ce qu’un Juif doit faire.
Pourquoi ? Parce qu’il y a quelque chose de spécial dans ce jour. Nos Sages expliquent cette idée en utilisant la guematria, la numérologie de la Torah. Le mot hébreu pour désigner «le Satan» a pour valeur numérique 364. Pendant 364 jours de l’année, le Satan a le pouvoir de tenter le Peuple Juif. Mais un jour, le jour de Yom Kippour, il n’a aucun pouvoir. Le Juif n’est tout simplement pas intéressé par ce qu’il a à offrir. Il a d’autres choses en tête. Yom Kippour est un jour consacré à être juif.
Que se passait-il lors de ce jour à l’époque du Temple? Le Grand Prêtre pénétrait dans le Saint des Saints. Il était alors seul avec D.ieu. Aucun être humain ou spirituel n’avait la permission d’interrompre ce moment de relation unique avec D.ieu.
Chaque année, cette séquence se rejoue dans notre propre cœur. L’essence de l’âme juive fait une avec l’Essence de D.ieu. Ce lien est constant, il n’est pas le produit de nos efforts. Ainsi, ni nos pensées, nos paroles ou nos actions ne peuvent-elles l’affaiblir. A ce niveau de connexion essentielle, il n’existe rien en dehors de la Divinité, aucune possibilité de se séparer de Lui.
Ce lien perdure au-delà du temps. Mais à l’intérieur du temps, il se révèle à Yom Kippour. En ce jour, chacun de nous «pénètre dans le Saint des Saints» et passe du temps «seul avec D.ieu».
Là est le cœur de la prière de Neila, la dernière à être récitée à Yom Kippour. Neila signifie «fermeture». Comme l’interprètent certains de nos Sages, ce nom signifie que les portes du Ciel se referment et qu’il ne reste que quelques instants pour que nos prières puissent encore y pénétrer. Mais la pensée ‘hassidique propose une autre interprétation. Cela signifie que les portes se referment derrière nous. Chacun d’entre nous est «enfermé» seul et uni avec D.ieu.
A ce niveau d’unification essentielle, rien n’existe en dehors de D.ieu, il n’y a aucune possibilité pour que l’âme ne soit séparée de D.ieu ni affectée par le péché.
La révélation de ce lien fondamental enlève, par un processus naturel, toutes les marques dont les péchés peuvent nous avoir entachés car la révélation de notre lien profond avec D.ieu renouvelle notre relation à Lui, à tous les niveaux.
Tel est le sens des propos de nos Sages qui affirment que «l’essence du jour pardonne». A Yom Kippour, se révèle notre lien profond avec D.ieu et dans ce processus, chaque élément de notre potentiel spirituel s’en trouve revitalisé.
Cette expérience spirituelle régénère également notre vie dans les sphères matérielles, nous comblant de bénédictions et assurant à chacun d’entre nous une bonne et douce année dans nos préoccupations matérielles et spirituelles.
Perspectives
Maïmonide décrit Yom Kippour comme «le moment de la Techouva pour tous», pour les individus tout comme pour la communauté. L’expression ultime de ce thème se révélera à l’Ere de la Rédemption quand, comme l’enseigne le Zohar, le Machia’h motivera même les Justes à revenir vers D.ieu dans la Techouva.
Qu’est la Techouva ? Revenir à D.ieu en se concentrant sur l’étincelle divine qui réside en chacun de nous. A l’Ere de spiritualité visible qu’introduira Machia’h, tous, même ceux qui semblent avoir atteint un accomplissement spirituel absolu, prendront conscience des limites dues à leur condition humaine et se mettront en quête de leur potentiel spirituel profond.
De la même façon, c’est l’expression du potentiel pour la Techouva qui servira de catalyseur à la Rédemption. En effet, aspirer à atteindre notre profondeur spirituelle permettra la révélation de la Divinité dans toute existence. Comme l’écrit Maïmonide : «Israël ne sera sauvé que par la Techouva. La Torah a promis qu’en dernier ressort, vers la fin de son exil, Israël retournera (à D.ieu) et sera immédiatement sauvé».
Que fait-on à Yom Kippour (cette année mercredi 23 septembre 2015) ?
Dans la semaine qui précède Yom Kippour, on procède aux «Kapparot» : on fait tourner autour de sa tête trois fois un poulet vivant (ou un poisson, ou une somme d’argent multiple de 18) en récitant les versets traditionnels ; puis on donne le poulet (ou le poisson ou la valeur monétaire) à une institution charitable.
La veille de Yom Kippour (cette année mardi 22 septembre 2015), on a coutume de demander au responsable de la synagogue du gâteau au miel, symbole d’une bonne et douce année.
Il est d’usage que les hommes se trempent au Mikvé (bain rituel), si possible avant la prière de Min’ha. On met les vêtements de Chabbat. Après la prière de Min’ha, on fait un repas de fête, sans poisson ni viande, mais avec du poulet. Après le repas, les parents bénissent les enfants et leur souhaitent d’aller toujours dans le droit chemin.
Avant 19h 31 (horaire de Paris) et après avoir mis des pièces à la Tsedaka, les femmes mariées allument au moins deux bougies, les jeunes filles et petites filles allument une bougie et récitent les deux bénédictions suivantes :
1) «Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Nèr Chel Yom Hakipourim» - «Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous a sanctifiés par Ses Commandements et nous a ordonné d’allumer la lumière de Yom Kippour».
2) «Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Chéhé’héyanou Vekiyemanou Vehigianou Lizmane Hazé» - «Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous a fait vivre, qui nous a maintenus et nous a fait parvenir à cet instant».
Il est d’usage d’allumer également une bougie qui dure au moins vingt-cinq heures et sur laquelle on récitera la bénédiction de la « Havdala » à la fin de la fête. On allume aussi des bougies de vingt-cinq heures à la mémoire des parents disparus.
On enlève les chaussures en cuir et on met des chaussures en toile ou en plastique. Les hommes mariés mettent le grand Talit et le «Kittel» (vêtement rituel blanc).
Tout Yom Kippour, on récite la deuxième phrase du Chema Israël («Barou’h Chem...») à voix haute. Il est interdit de manger, de boire, de s’enduire de crèmes ou de pommades, de mettre des chaussures en cuir, d’avoir des relations conjugales et de se laver (sauf si on s’est sali ; de même, on se lave les mains pour des raisons d’hygiène). On passe la journée à la synagogue. Toutes les interdictions de Chabbat s’appliquent à Yom Kippour.
Le mercredi matin, on ne récite pas la bénédiction : «Cheassa Li Kol Tsorki» («Qui veille pour moi à tous mes besoins») car on ne porte pas de vraies chaussures.
Les malades demanderont au médecin et au Rabbin s’ils doivent jeûner ou non.
A la fin du jeûne, on écoute la sonnerie du Choffar.
Après Yom Kippour, on se souhaite mutuellement «Hag Saméa’h». Si possible, on prononce la bénédiction de la lune. On récite la prière de la Havdala (après 20h 35, horaire de Paris). Durant le repas qui suit le jeûne, il est d’usage de parler de la construction de la Souccah et, si possible, on construit effectivement la Souccah tout de suite après le repas.
Base-ball le jour de Kippour...
Chaque Yom Kippour, je passe la journée à la synagogue pour jeûner et prier. Cependant, le choix du lieu de prière a changé au fil des années et je préfère un «public» plus pratiquant et une atmosphère plus intense : j’ai donc choisi de fréquenter un Beth 'Habad – qui se trouve justement localisé à quelques rues de Fenway Park, le stade de l’équipe des Boston Red Sox. Ce Beth 'Habad est fréquenté principalement par les jeunes de l’Université de Boston : ils s’y sentent bien, ils peuvent étudier le judaïsme selon leur niveau de connaissance et, Chabbat, profitent gratuitement des délicieux repas cachères et copieux. Oui gratuitement !
Cette année, durant la pause de l’après-midi de Yom Kippour, notre rabbin se tenait sur les marches menant au bâtiment de briques de Commonwealth Avenue qui abrite le centre communautaire Loubavitch. La pause coïncidait avec la fin d’un match des Red Sox et les supporters se répandaient dans les rues. Si vous avez déjà vu les supporters des Red Sox, vous pouvez aisément imaginer que leur apparence extérieure est pour le moins peu conciliable avec celle des Juifs plongés dans l’atmosphère de Yom Kippour. Donc quand la foule sortie du stade croise des Juifs habillés en costume-cravate, certains avec barbes et chapeaux, le choc des cultures est évident. D.ieu merci, la foule des amateurs de sport démontra un certain respect teinté de curiosité pour le Jour du Pardon de la tradition juive.
Un homme d’âge moyen, vêtu d’un blue-jean et d’un tee-shirt aux couleurs de son équipe favorite, sortit de la foule et s’avança vers le rabbin sur les marches. Il annonça fièrement qu’il était juif mais n’observait aucun des commandements de la Torah bien que son père ait été élevé dans un des quartiers ‘hassidiques de Brooklyn. Il ajouta qu’il était marié avec une femme non-juive et, par sa façon de parler et sa gestuelle, je compris qu’il avait laissé loin derrière lui toute trace d’éducation juive. Il déclara qu’en passant devant le Beth 'Habad, il s’était rappelé que c’était Yom Kippour et, tant qu’à faire, il aurait aimé réciter Yizkor à la mémoire de ses parents décédés.
Mon rabbin l’écouta attentivement, parla peu mais l’invita à entrer dans le petit oratoire qui servait de synagogue et ils en ressortirent quelques minutes plus tard. Sur le seuil, je vis que l’homme serrait la main du rabbin tout en lui tendant quelque chose.
Avant Neïla, le dernier office de Kippour le rabbin prononça un discours :
- Je veux vous raconter ce qui s’est passé aujourd’hui. Cet homme désirait réciter la prière de Yizkor et je lui ai proposé de revêtir un Talit (châle de prière). Je me suis dit que cet homme souhaitait, d’une manière ou d’une autre, se rapprocher du judaïsme et que, par le fait de porter un Talit – ce qui est une Mitsva, un commandement de D.ieu – ce serait déjà un premier pas dans le bon chemin, celui de la Techouva, du retour à son âme juive.
Bien qu’il ne sache pas lire l’hébreu, je me doutais que, comme presque chaque Juif, il avait dû un jour ou l’autre apprendre le verset Chema Israël, l’affirmation de la foi juive en un D.ieu unique et nous l’avons donc récité ensemble. Tandis qu’il répétait après moi chaque mot, il éclata en sanglots incontrôlables, affirmant que «sa mère lui manquait». Je l’ai embrassé et nous avons récité ensemble la courte prière de Yizkor.
En quittant la synagogue, il me tendit sa carte de visite en précisant qu’il souhaitait faire un don. Je répondis que j’accepterais volontiers un don car le fonctionnement d’un centre communautaire qui n’exige pas de droits d’entrée des étudiants dépend de la charité des uns et des autres. Mais je précisai cependant que je n’accepterais d’argent que s’il me l’apportait directement dans la semaine, pendant la journée : ainsi je pourrais lui proposer de mettre les Téfilines et donc d’accomplir une autre Mitsva très importante.
Mais – et là le rabbin martela quelque chose qui nous impressionna fortement : Je ne pense pas que cet homme est venu ici aujourd’hui parce que sa mère lui manquait. Je pense plutôt que, depuis le Monde de Vérité, l’âme de cette mère juive se tourmentait et se demandait : «Où est mon fils ? Pourquoi ne se trouve-t-il pas avec ses frères juifs qui célèbrent Yom Kippour ?» Et grâce à l’amour et à l’incompréhension d’une mère vis-à-vis de son fils, D.ieu a arrangé les événements de telle façon que cet homme a rendu à son âme juive la place qui lui convient !.
Inutile de décrire l’atmosphère exaltée et bouleversante de cette prière de Neïla...
Mais le lendemain, après avoir moi-même mis les Téfilines et prié Cha’harit, je me suis assis et j’ai écrit un chèque que j’ai apporté le même jour à mon rabbin pour le remercier de son dévouement extraordinaire à la vie spirituelle de la communauté. Je veux moi aussi participer modestement à toutes les initiatives extraordinaires de son Beth 'Habad. Et, dans mes prières, j’ai rappelé cet homme sportif mais juif avant tout, mon rabbin et tous mes frères juifs fin qu’ils soient bénis pour une bonne et douce année.
Dr Richard Kradin, Massachusetts Hospital,
professeur à l’école de médecine d’Harvard – Chabad.org
Traduit par Feiga Lubecki
Yom Kippour
Le Choffar et le Mur
Le Temple de Jérusalem fut détruit à deux reprises : par les Romains en 423 (avant l’ère commune) et par les Babyloniens en 69 (de l’ère commune). Un mur est resté debout, symbole vivant de la possession du Peuple Juif de la Terre d’Israël et de la ville de Jérusalem : le Kotel Hamaaravi ou «Mur occidental».
Ce qui suit est un extrait des Mémoires de Rav Moché Segal, ‘Hassid Loubavitch, activiste dans le combat pour libérer la Terre Sainte de l’occupation britannique.
A cette époque, l’emplacement situé devant le Kotel ne ressemblait pas à celui d’aujourd’hui. Seule une allée étroite séparait le Mur des maisons situées de l’autre côté. Le gouvernement britannique nous avait interdit de disposer une Arche Sainte, des tables ou des bancs dans l’allée. Nous ne pouvions pas même y placer un petit tabouret. Il était interdit de prier fort et de lire la Torah (ceux qui priaient au Kotel devaient se rendre dans l’une des synagogues du quartier juif pour le faire), interdit de faire résonner le Choffar à Roch Hachana et à Yom Kippour.
Yom Kippour de cette année-là (1930), nous priions au Kotel. Durant la brève interruption, entre les prières de Moussaf et de Min’ha, j’entendis des gens murmurer : «Où allons-nous écouter le Choffar ? Impossible ici. Il y en autant de policiers que de fidèles…». Le commandant en chef de la police était présent en personne pour s ‘assurer qu’aucun Juif ne ferait retentir le son unique qui marque la clôture du jeûne.
J’écoutais ces chuchotements et pensais en mon for intérieur : «Est-il concevable que nous nous passions du son du Choffar ? Il est vrai que c’est une coutume, mais ‘une coutume juive, c’est la Torah’ ! ». Je m’approchai alors du Rav Yits’hak Horenstein, le Rav de notre ‘communauté’ et lui dis :
- Donnez-moi un Choffar.
- Pour quoi faire ?
- Je soufflerai.
- Mais de quoi parles-tu ? Ne vois-tu pas les policiers ?
- Je soufflerai.
Le Rabbin se détourna brusquement de moi mais non sans avoir, au préalable, jeté un regard sur le petit pupitre, à la gauche de la fin de l’allée. J’avais compris : le Choffar était dans le pupitre. Je marchai en direction du pupitre et m’y accoudai. J’ouvris le tiroir et glissai le Choffar dans ma chemise.
Je possédais le Choffar mais s’ils me repéraient avant que je n’aie le temps de l’utiliser ? A l’époque, je n’étais pas encore marié et, selon la coutume achkénaze, je ne portais pas de talith. Je me tournai vers la personne qui priait à mes côtés et lui demandai de me prêter le sien. Ma requête put lui paraître étrange, mais les Juifs sont gentils, et tout particulièrement au moment le plus saint du jour le plus saint, aussi me tendit-il sans un mot son talith. Je m’en enveloppai. A ce moment précis, je sentis que je venais d’entrer dans mon propre domaine. Tout autour de moi dominait un gouvernement étranger, régnant sur le Peuple d’Israël, même en ce jour le plus saint et en ce lieu le plus saint et nous n’étions pas libres de servir notre D.ieu. Mais sous ce talith, c’était un autre domaine. Ici, je n’étais sous aucune domination si ce n’est celle de mon Père dans les Cieux. Ici, je ferai ce qu’Il me commande et aucune force sur terre ne pourrait m’en empêcher.
Quand les derniers versets de la prière de Neilah furent clamés : «Ecoute Israël», «Que le Nom soit béni», «l’Eternel est notre D.ieu», je m’emparai du Choffar et fis résonner un long son retentissant.
Tout se passa très vite. Des mains m’attrapèrent. J’enlevai le talith et devant moi se tenait le commandant en chef qui ordonna mon arrestation.
On m’emmena à Kichla, la prison de la Vieille Ville et un policier fut désigné pour me surveiller. Des heures s’écoulèrent sans que je ne reçoive à boire ou à manger pour casser le jeûne. A minuit, le policier reçut l’ordre de me relâcher et il me laissa partir sans prononcer un seul mot. J’appris par la suite que lorsque le Grand Rabbin de Terre Sainte, Rav Avraham Yits’hak Kook, avait appris mon arrestation, il avait immédiatement pris contact avec le Haut Commissaire et lui avait demandé ma libération. Voyant sa requête rejetée, il avait déclaré qu’il n’interromprait pas son jeûne jusqu’à ma libération. Le Haut Commissaire avait résisté plusieurs heures mais avait finalement cédé, par respect pour le Grand Rabbin.
Pendant les dix-huit années qui suivirent, jusqu’en 1948, on sonna du Choffar au Kotel, à chaque Roch Hachana et à chaque Yom Kippour. Les Britanniques avaient bien compris la signification de ce son. Ils savaient qu’il finirait par détruire leur règne sur notre Terre, tout comme le Choffar de Yehochoua avait fait tomber les murs de Jéricho. Ils avaient tout fait pour l’empêcher. Mais à chaque Yom Kippour, le Choffar retentissait, sonné par des hommes qui savaient qu’ils seraient arrêtés pour avoir revendiqué notre droit sur la plus sainte de nos possessions.
Yom Kippour aujourd’hui
A Yom Kippour, nous jeûnons. C’est ce que fait le Juif à Yom Kippour. Il sait bien qu’un éclair ne va pas descendre du ciel et le frapper s’il mange, mais ce ne sont ni la récompense ni la punition qui le préoccupent. Il ne mange pas parce qu’il comprend que D.ieu ne veut pas qu’il le fasse. Il sait que pour un Juif, cela ne se fait pas, à Yom Kippour.
Il se peut que la veille, il ait déjà ressenti cela ou pas. Il se peut qu’il ait été plutôt négligeant par rapport à un commandement ou à un autre. Mais quand vient Yom Kippour, il ressent qu’il doit faire ce qu’un Juif doit faire.
Pourquoi ? Parce qu’il y a quelque chose de spécial dans ce jour. Nos Sages expliquent cette idée en utilisant la guematria, la numérologie de la Torah. Le mot hébreu pour désigner «le Satan» a pour valeur numérique 364. Pendant 364 jours de l’année, le Satan a le pouvoir de tenter le Peuple Juif. Mais un jour, le jour de Yom Kippour, il n’a aucun pouvoir. Le Juif n’est tout simplement pas intéressé par ce qu’il a à offrir. Il a d’autres choses en tête. Yom Kippour est un jour consacré à être juif.
Que se passait-il lors de ce jour à l’époque du Temple? Le Grand Prêtre pénétrait dans le Saint des Saints. Il était alors seul avec D.ieu. Aucun être humain ou spirituel n’avait la permission d’interrompre ce moment de relation unique avec D.ieu.
Chaque année, cette séquence se rejoue dans notre propre cœur. L’essence de l’âme juive fait une avec l’Essence de D.ieu. Ce lien est constant, il n’est pas le produit de nos efforts. Ainsi, ni nos pensées, nos paroles ou nos actions ne peuvent-elles l’affaiblir. A ce niveau de connexion essentielle, il n’existe rien en dehors de la Divinité, aucune possibilité de se séparer de Lui.
Ce lien perdure au-delà du temps. Mais à l’intérieur du temps, il se révèle à Yom Kippour. En ce jour, chacun de nous «pénètre dans le Saint des Saints» et passe du temps «seul avec D.ieu».
Là est le cœur de la prière de Neila, la dernière à être récitée à Yom Kippour. Neila signifie «fermeture». Comme l’interprètent certains de nos Sages, ce nom signifie que les portes du Ciel se referment et qu’il ne reste que quelques instants pour que nos prières puissent encore y pénétrer. Mais la pensée ‘hassidique propose une autre interprétation. Cela signifie que les portes se referment derrière nous. Chacun d’entre nous est «enfermé» seul et uni avec D.ieu.
A ce niveau d’unification essentielle, rien n’existe en dehors de D.ieu, il n’y a aucune possibilité pour que l’âme ne soit séparée de D.ieu ni affectée par le péché.
La révélation de ce lien fondamental enlève, par un processus naturel, toutes les marques dont les péchés peuvent nous avoir entachés car la révélation de notre lien profond avec D.ieu renouvelle notre relation à Lui, à tous les niveaux.
Tel est le sens des propos de nos Sages qui affirment que «l’essence du jour pardonne». A Yom Kippour, se révèle notre lien profond avec D.ieu et dans ce processus, chaque élément de notre potentiel spirituel s’en trouve revitalisé.
Cette expérience spirituelle régénère également notre vie dans les sphères matérielles, nous comblant de bénédictions et assurant à chacun d’entre nous une bonne et douce année dans nos préoccupations matérielles et spirituelles.
Perspectives
Maïmonide décrit Yom Kippour comme «le moment de la Techouva pour tous», pour les individus tout comme pour la communauté. L’expression ultime de ce thème se révélera à l’Ere de la Rédemption quand, comme l’enseigne le Zohar, le Machia’h motivera même les Justes à revenir vers D.ieu dans la Techouva.
Qu’est la Techouva ? Revenir à D.ieu en se concentrant sur l’étincelle divine qui réside en chacun de nous. A l’Ere de spiritualité visible qu’introduira Machia’h, tous, même ceux qui semblent avoir atteint un accomplissement spirituel absolu, prendront conscience des limites dues à leur condition humaine et se mettront en quête de leur potentiel spirituel profond.
De la même façon, c’est l’expression du potentiel pour la Techouva qui servira de catalyseur à la Rédemption. En effet, aspirer à atteindre notre profondeur spirituelle permettra la révélation de la Divinité dans toute existence. Comme l’écrit Maïmonide : «Israël ne sera sauvé que par la Techouva. La Torah a promis qu’en dernier ressort, vers la fin de son exil, Israël retournera (à D.ieu) et sera immédiatement sauvé».