Yom Kippour : pour une vie qui naît
Le peuple juif est incontestablement celui du temps. Celui-ci est, pour lui, l’objet d’une construction constante. De Chabbat en Chabbat, d’une fête à l’autre, il sait suivre le déroulé spirituel incarné par ces dates. Bien sûr, celles-ci ne sont pas toutes identiques ou même équivalentes mais chacune apporte son message et sa puissance spécifiques. Alors que nous avons célébré Roch Hachana et sommes entrés ainsi dans cette période si particulière qu’est le mois de Tichri, cette observation prend un sens renouvelé.
Ce premier mois de l’année juive est, de fait, une période porteuse de tous les potentiels, et par conséquent de toutes les attentes, d’une année bonne et douce pour chacun. Il s’agit là d’un véritable espace de lumière. C’est que, dans la grisaille quotidienne au fil des jours ordinaires, nous pourrions en venir à oublier l’essentiel. Nous pourrions ne plus voir que ce qui fait la trame usée d’une vie ayant perdu ses couleurs. Le mois de Tichri est arrivé et voici que la lumière transforme tout. A présent, le monde a changé et nous ressentons l’allégresse et les promesses de ce changement.
Puis arrive la journée sainte entre toutes : Yom Kippour. Les mots peinent à la décrire dans sa grandeur authentique, car celle-ci n’est pas, par nature, de notre monde. Lumière dans un espace de lumière, Yom Kippour nous apporte un lien avec D.ieu, qui nous attache à Lui comme deux essences qui s’unissent en leur profondeur. Nous ressentons tous comme Yom Kippour nous élève sur un plan différent. Présents dans les synagogues, au cœur de nos communautés, entourés de nos amis et de notre famille, c’est d’une façon bouleversante que nous vivons ces instants, si longs et si courts à la fois. Au-delà même de la beauté de la liturgie du jour, dans toutes les traditions, nous voyons naître ici une notion encore plus forte. Nous savons que, au sortir de la fête, plus rien ne sera jamais pareil, parce que nous nous serons transformés et le monde avec nous.
Il faut donc savoir profiter de ce jour avec toute l’intensité de l’urgence. Il faut en tirer tout le parti nécessaire car c’est là que l’année nouvelle déploie ses ailes, après être née à Roch Hachana. Instants précieux : vivons-les pleinement et D.ieu accordera à chacun Ses plus grandes bénédictions pour une merveilleuse année, matériellement et spirituellement.
Ma Délivrance est proche
D.ieu dit à Israël : « Mes enfants, par votre vie, par le mérite de votre respect des lois, Je suis élevé… Et, par le fait que vous M’éleviez par la loi, Moi aussi, Je ferai un acte de justice et Je ferai résider Ma sainteté parmi vous. Et, si vous respectez la justice et la loi, Je vous délivrerai immédiatement par une Délivrance complète ». Quelle est la source de ceci ? Le verset dit : « Ainsi parle D.ieu : ‘Respectez les lois et pratiquez la justice car Mon salut arrive bientôt et Ma justice sera révélée.’ »
(D’après le Midrach Rabba)
Yom Kippour
Yom Kippour était le seul moment de l’année où le Cohen Gadol (le Grand Prêtre) pénétrait dans le Kodèch Hakodachim (le Saint des Saints), le lieu le plus saint du Temple. Durant toute l’année, personne n’entrait dans ce lieu saint. Quiconque l’aurait fait n’aurait pas survécu. La spiritualité qui s’y révélait l’aurait consumé, comme une lumière aveuglante, et il aurait péri !
Et même lorsque le Cohen Gadol y pénétrait, à Yom Kippour, ce n’était que pour un bref instant et après de multiples préparatifs. De plus, il le faisait, attaché par une corde pour qu’on puisse l’en faire sortir au cas où il aurait présenté un défaut qui l’aurait condamné !
Qu’était exactement le Kodèch Hakodachim et pourquoi était-il si inaccessible ?
Que veut dire entrer dans le Kodèch Hakodachim, le jour de Yom Kippour ?
La pensée mystique explique que Yom Kippour, caractérisé par la Torah comme A’hat béChana, (littéralement « un dans l’année »), se réfère au A’hat, c’est-à-dire à « l’un » et « l’unité » de la dimension la plus profonde de notre âme (Yé’hida chébéNéfèch).
L’âme est, pour ainsi dire, composée de cinq dimensions, imbriquées l’une dans l’autre. La plus élevée, Yé’hida, « l’unicité », est la pure essence de l’âme. C’est elle qui représente, le lien intrinsèque de notre appartenance au Judaïsme, notre essence la plus profonde. L’enfant plein d’innocence à l’intérieur de notre être le plus profond.
Notre expérience la plus concrète se situe dans les dimensions extérieures de notre âme : c’est ce que nos sens et notre conscience perçoivent. Mais ce que nous vivons de plus véridique, de plus significatif se trouve au niveau le plus profond, le plus intérieur de notre âme : le niveau de Yé’hida.
Cependant, les recoins les plus profonds de l’âme sont obscurcis par ses couches superficielles, elles-mêmes emprisonnées dans l’épaisseur du corps physique et de l’univers matériel.
Telle est l’histoire de notre vie. Nous naissons enfants purs et innocents. Enfants qui ont des rêves enchantés, croient que tout est possible et attendent le meilleur. Enfants vulnérables, ni pollués ni corrompus. Et puis les défis de la vie commencent à pénétrer nos expériences. Nous découvrons (certains rapidement, d’autres plus lentement) la tromperie, la déception, les espoirs vains. Les années défilent sur les couches extérieures de notre âme et l’enveloppe corporelle se durcit, l’innocence se perd et les attentes diminuent. Dans l’expérience des dures réalités de la vie, bon nombre de nos rêves, de nos idéaux s’évanouissent jusqu’à ce que beaucoup parviennent à un point de résignation silencieuse. Et nous nous distrayons par des stimulations superficielles, avec tout ce qui peut soulager notre solitude existentielle.
Notre vie intérieure et notre innocence profonde sont affamées.
Y a-t-il encore de l’espoir ? Peut-on encore retrouver notre enfant intérieur ?
La réponse est « oui », mais cela ne peut se faire « à la légère » !
Entrer dans le Saint des Saints de l’âme ne se fait pas quand on le veut et sans qu’on n’y soit bien préparé. Ye’hida est le lieu le plus pur dans notre cœur et la dimension la plus intime de notre âme, elle est donc infiniment sensible. Le moindre des mouvements, le moindre des frémissements a un impact dramatique sur ce lieu le plus délicat de notre psychisme.
Observons la sensibilité extrême d’un nourrisson au toucher et à son environnement…
Un cheveu sur notre manche est inoffensif mais cela nous irrite tellement !
Nos organes physiques extérieurs sont protégés des bactéries mais ouvrir notre corps et exposer nos organes internes nécessitent un environnement particulièrement bien stérile. Plus l’endroit est profond, pur, plus il faut veiller très scrupuleusement à conserver son caractère immaculé.
Mais un jour, nous avons la possibilité de pénétrer dans le Saint des Saints. Et nous le faisons avec beaucoup de précautions. Nous jeûnons et suspendons, autant que possible, notre immersion dans le monde matériel. Nous passons la journée dans la prière, revêtus de blanc, tout cela pour optimiser les conditions pour pénétrer dans le lieu le plus saint de notre âme.
Ce jour est Yom Kippour, le jour de la cinquième dimension (d’où les cinq prières), le jour où se dévoile la cinquième dimension de notre âme : la Yé’hida. Le seul et unique jour de l’année où chacun d’entre nous a la possibilité d’accéder à son innocence. Ce jour-là, nous pouvons devenir comme le Cohen Gadol et pénétrer dans notre propre Kodèch Hakodachim.
A Yom Kippour, nous redevenons l’enfant innocent, l’enfant pur. Mais cette fois-ci, l’innocence et l’exubérance de l’enfance se joignent à l’expérience et la réflexion de l’adulte.
Et c’est là toute la puissance de Yom Kippour.
Yom Kippour nous dit que notre enfance n’est jamais perdue. Peut-être est-elle dissimulée. Peut-être est-elle profondément enfouie. L’enfant en nous se cache peut-être. Après tout, il a été blessé et déçu. Il a vu combien certains adultes pouvaient être cruels. Ce qui en ressort est un adulte portant une armure de fer et une batterie complexe de mécanismes de défense pour protéger l’enfant vulnérable des douleurs du monde. Parfois, il est si bien caché que « l’adulte mûr » n’arrive plus à voir l’enfant en lui.
Mais il nous a été donné un jour comme Yom Kippour où nous sommes capables d’ouvrir les portes et de regarder à l’intérieur. Et alors, l’enfant reçoit l’aptitude, la permission et la force de nous regarder à son tour.
Pouvons-nous voir l’enfant ?
Même le plus cynique d’entre nous (et en nous) a un côté pur. Même le plus blasé ressent un moment de vérité. Yom kippour nous envoie le plus vibrant message d’espoir. Ne renonçons jamais à notre être profond, à notre moi intérieur et pur. Quand bien même notre vie est devenue un parcours de défis à relever, quand bien même nous nous sentons usés, quand bien même nous sommes amers devant les déceptions, les pertes, les blessures, notre enfant intérieur reste intact.
Même si nous renonçons à beaucoup de choses, ne renonçons jamais à cet enfant pur qui vit en nous-mêmes. Cet enfant, la partie la plus sainte de notre cœur et de notre âme, représente notre potentiel le plus grand, notre refuge et notre espoir.
Ce jour de Yom Kippour, attachons-nous à ce que nous possédons de plus précieux. Donner à notre enfant, à notre âme, une chance de nous parler.
Chérissons notre enfant. Préservons-le. Protégeons-le dans sa fragilité. Et par-dessus tout, soyons bons avec lui. Après tout, il est nous, il est le meilleur de nous.
Et il est fort probable que lorsque le rideau de Yom Kippour retombera au coucher du soleil et que cet enfant retrouvera sa cachette, il se sentira plus en sécurité pour montrer son visage plus d’une fois par an !
Que fait-on à Yom Kippour (cette année mercredi 5 octobre 2022) ?
Dans la semaine qui précède Yom Kippour, on procède aux « Kapparot » : on fait tourner autour de sa tête trois fois un poulet vivant (ou un poisson, ou une somme d’argent multiple de 18) en récitant les versets traditionnels ; puis on donne le poulet (ou le poisson ou la valeur monétaire) à une institution charitable.
La veille de Yom Kippour (cette année mardi 4 octobre 2022), on a coutume de demander au responsable de la synagogue du gâteau au miel, symbole d’une bonne et douce année.
Jusqu’à la fin du mois de Tichri, on ne récite plus de Ta’hanoun (supplications).
Il est d’usage que les hommes se trempent au Mikvé (bain rituel), si possible avant la prière de Min’ha. On met les vêtements de Chabbat. Après la prière de Min’ha, on prend un repas de fête, sans poisson ni viande, mais avec du poulet. Après le repas, les parents bénissent les enfants et leur souhaitent d’aller toujours dans le droit chemin. Le jeûne de Yom Kippour commence à 19h 05 (en Ile-de-France).
Après avoir mis des pièces à la Tsedaka, les femmes mariées allument au moins deux bougies avant 19h 05 (en Ile-de-France) - (les jeunes filles et petites filles allument une bougie). Il est d’usage d’allumer également une bougie qui dure au moins vingt-cinq heures et sur laquelle on récitera la bénédiction de la « Havdala » à la fin de la fête. On allume aussi des bougies de vingt-cinq heures à la mémoire des parents disparus. Elles récitent les deux bénédictions suivantes :
1) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Nèr Chel Yom Hakipourim ».
« Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous a sanctifié par Ses Commandements et nous a ordonné d’allumer la lumière de Yom Kippour ».
2) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Chéhé’héyanou Vékiyémanou Véhiguianou Lizmane Hazé ».
« Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous a fait vivre, qui nous a maintenus et nous a fait parvenir à cet instant ».
On enlève les chaussures en cuir et on met des chaussures en toile ou en plastique. Les hommes mariés mettent le grand Talit et le « Kittel » (vêtement rituel blanc).
Tout Yom Kippour, on récite la deuxième phrase du Chema Israël (« Barou’h Chem… ») à voix haute. Il est interdit de manger, de boire, de s’enduire de crèmes ou de pommades, de mettre des chaussures en cuir, d’avoir des relations conjugales et de se laver (sauf si on s’est sali ; de même, on se lave les mains pour des raisons d’hygiène). On passe la journée à la synagogue. Toutes les interdictions de Chabbat s’appliquent à Yom Kippour.
Ce mercredi matin, on ne récite pas la bénédiction : « Cheassa Li Kol Tsorki » (« Qui veille pour moi à tous mes besoins ») car on ne porte pas de vraies chaussures.
Les malades demanderont au médecin et au Rabbin s’ils doivent jeûner ou non.
A la fin du jeûne (20h 09 en Ile-de-France), on écoute – si possible – la sonnerie du Choffar.
Après Yom Kippour, on se souhaite mutuellement « Hag Saméa’h ». Si possible, on prononce la bénédiction de la lune. On se lave les mains rituellement, on se rince la bouche et on récite la prière de la Havdala. Durant le repas qui suit le jeûne, il est d’usage de parler de la construction de la Souccah et, si possible, on construit effectivement la Souccah tout de suite après le repas.
Juste avant Kol Nidré…
C’est une histoire que je n’ai pas entendue de quelqu’un qui l’aurait entendue de quelqu’un : je l’ai entendue directement de la personne concernée.
21h 45 à New York, je reçois un coup de téléphone. Ce qui est bizarre, c’est qu’il est signalé que l’appel vient de Belgique : avec le décalage horaire, cela signifie qu’il est 2h ou 3h45 là-bas en Europe… Qui peut m’appeler ainsi au milieu de la nuit ? C’était Motsaé Chabbat, quand les Juifs se rassemblent dans les synagogues vers 1 ou 2 heures du matin pour les prières des Seli’hot. Sans doute, cette personne qui m’appelait venait de rentrer de la synagogue et éprouvait le besoin de raconter son histoire, des événements très personnels que je tiens à vous faire partager.
Il se présenta, il s’appelait Feivel Shapiro et habitait à Anvers. Sa mère Ra’hel venait d’une famille de ‘Hassidim de Satmar ; son père, le regretté Naftali-Herz, avait été un disciple attitré de l’auteur du livre Damessek Eliézer de Vizhnitz. Leur fils quant à lui, avait été élevé dans une communauté de ‘Hassidim de Belz. Donc vous avez tous les ingrédients : Satmar, Vizhnitz, Belz et moi, ‘Hassid de Loubavitch qui vous raconte l’histoire.
Feivel est un homme d’affaires qui réussit dans tout ce qu’il entreprend. Dans les années 70, il s’était rendu à New York et avait décidé de se faire sa propre opinion quant au Rabbi de Loubavitch ; il prit donc la direction du quartier de Crown Heights à Brooklyn. C’était Pourim, le Rabbi parlait devant ses ‘Hassidim durant de longues heures, jusqu’à une heure, deux heures du matin. A la fin, le Rabbi se leva pour retourner à son bureau. « Chez nous les ‘Hassidim de Belz, explique Feivel, la coutume veut qu’après ce genre de réunion, on fait la queue pour tendre la main au Rabbi et recevoir sa bénédiction. C’est la coutume chez Belz, j’ignorai que ce n’était pas la coutume chez Loubavitch. Je me tins donc sur le chemin vers le bureau et, quand le Rabbi arriva, tout naturellement je lui tendis la main : les secrétaires qui l’accompagnaient me firent comprendre que ce n’était vraiment pas le moment de le saluer à une heure aussi tardive et surtout, que cela ne se faisait pas. Étonné, je compris que je commettais une erreur et je retirai ma main.
Mais le Rabbi avait remarqué ce qui se passait ; il me tendit la main, prit ma main dans la sienne et, tout en me tenant ainsi, il m’emmena dans son bureau ! Je ne m’attendais pas à cela (et les secrétaires certainement pas non plus !). Je voulais juste le saluer ! Le Rabbi ferma la porte et me demanda de m’asseoir.
De plus en plus stupéfait, je m’assis, me demandant ce qui se passait. Le Rabbi ouvrit un des tiroirs de son bureau, y prit une clé pour ouvrir une armoire. Il en prit un morceau de papier et me le tendit. C’était une lettre qu’il avait reçue d’une dame : « Lisez ! » me demanda-t-il.
Je commençai à lire cette lettre qu’une dame avait écrite au Rabbi une dizaine d’années auparavant. Elle racontait qu’elle venait d’une famille de ‘Hassidim de Satmar, que son mari était un ‘Hassid de Vizhnitz : elle avait douze enfants. L’aîné avait 14 ans, le plus jeune avait un an. Elle avait 36 ans, était atteinte d’un cancer et savait qu’elle n’avait aucune chance de survivre car, à l’époque, il n’existait aucun remède pour contenir la maladie qui envahissait maintenant tout son corps. Elle était lucide, elle avait compris ce qui l’attendait et, de son côté écrivait-elle, elle était prête à retrouver son Créateur. Elle avait sans doute rempli son rôle dans ce monde-ci et n’émettait aucune plainte. Mais qu’en serait-il de ses 12 enfants ? Cela lui brisait le cœur : qui allait les élever ? Comment allaient-ils grandir ? Et elle écrivait au Rabbi : « Je ne vous connais pas et vous ne me connaissez pas. Mais je vous en supplie, Rabbi de Loubavitch ! Priez pour mes enfants, pour qu’ils soient en bonne santé, physiquement et spirituellement, pour qu’ils restent de bons Juifs, attachés à la tradition, pour qu’ils soient heureux, qu’ils aient la crainte de D.ieu et suivent la voie de la Torah et des Mitsvot ». Et elle signait sa lettre : Ra’hel Shapiro !
Bouleversé, je m’écriai : « Ra’hel Shapiro ! C’est ma mère ! ».
Je me mis à pleurer, à trembler sans pouvoir m’arrêter. L’émotion était trop forte ! Jamais je n’avais eu connaissance de l’existence de cette lettre !
Puis je me repris et demandai : « Rabbi ! Je voudrais vous demander une faveur. Ma mère est décédée si jeune, je l’ai à peine connue, je ne possède pratiquement rien d’elle ! Pouvez-vous me donner cette lettre ? »
Mais le Rabbi hocha la tête et répondit : « Non ! Je ne peux pas vous donner cette lettre ! ».
Je ne comprenais pas ! Le Rabbi recevait tant et tant de lettres, du monde entier, de toutes sortes de gens qui lui exposaient leurs problèmes : pourquoi ne me remettrait-il pas cette lettre, moi un orphelin, une lettre de ma maman ?
Et le Rabbi m’expliqua : « Cette lettre doit rester ici ! Chaque année, avant de me rendre à l’office de Kol Nidré, le soir de Yom Kippour, je lis cette lettre ! Chaque année ! Je ne vais pas à Kol Nidré sans avoir lu cette lettre de votre maman ! ».
Je me suis levé, hébété, incrédule, choqué et je suis sorti ! J’étais venu simplement pour saluer le Rabbi et je ne m’étais certainement pas attendu à pareille expérience !
Mais jusqu’à maintenant je m’en veux de n’avoir pas eu la présence d’esprit de demander au Rabbi comment savait-il qui j’étais, que j’étais justement le fils de Ra’hel Shapiro alors que je ne m’étais même pas présenté, qu’il était trois ou quatre heures du matin, qu’il venait de parler pendant des heures de la fête de Pourim ? Comment avait-il mis en place toutes les pièces du puzzle si on peut s’exprimer ainsi ? Mais je n’arrivais plus à parler !
Voici ce que je devine, voici ce que j’ai fini par apprendre.
Mon père venait souvent aux États-Unis pour ses affaires. Il fréquentait alors la synagogue du Rabbi de Satmar, l’auteur du livre Divré Yoël. Il passait de longues heures à discuter avec lui et, un jour, il discuta de Loubavitch. Le Rabbi de Satmar expliqua alors à mon père : « On peut dire ce qu’on veut mais je vais vous avouer la vérité : quand des Juifs me racontent leurs soucis, il y a parfois des situations si compliquées que je ne sais pas comment répondre. Je les envoie alors au Rabbi de Loubavitch ! ». Mon père était retourné à Anvers et avait raconté - en passant - à ma mère ce fait intéressant, un « mot » qu’il avait entendu du Rabbi de Satmar… Ma mère était déjà très malade : elle avait écouté et compris d’elle-même. Sans rien dire à mon père, elle avait écrit directement au Rabbi de Loubavitch - comme son Rabbi, le Rabbi Yoël de Satmar avait déclaré agir lui-même ! ».
Telle est l’histoire que me raconta Feivel Shapiro le soir des Seli’hot.
Comme vous le savez, je suis originaire de Crown Heights et j’ai eu le privilège de prier régulièrement près du Rabbi de Loubavitch qui n’avait pas d’enfants. Chaque année, la veille de Yom Kippour, comme un père aimant, le Rabbi bénissait les élèves de la Yechiva. Déjà revêtu du Kittel (linceul) traditionnel, le Rabbi se couvrait le visage de son Talit (châle de prière) et prononçait pour ces jeunes étudiants la bénédiction sacerdotale avec toutes sortes de souhaits, souvent commençant par les lettres de l’Aleph-Beth. C’était très, très émouvant : le Rabbi pleurait, les jeunes gens pleuraient… Puis le Rabbi retournait dans son bureau ; je m’étais toujours demandé pourquoi le Rabbi ne descendait pas directement à la synagogue. Je ne peux pas prétendre connaître la réponse mais je crois maintenant avoir compris que le Rabbi retournait dans son bureau pour relire cette lettre et ainsi, prier encore mieux pour tous ses enfants, c’est-à-dire nous, tout le peuple juif !
Et le jour où je racontai cette histoire devant de nombreux ‘Hassidim dans le quartier de Boro Park, deux d’entre eux se sont approchés de moi et m’ont annoncé : « Nous sommes deux des enfants de Ra’hel Shapiro ! Tous ses enfants sont de bons Juifs qui ont fondé de grandes familles ‘hassidiques ! ».
Oui, Ra’hel Shapiro avait su, comme tant de nombreux Juifs de par le monde, à qui s’adresser pour prier pour ses enfants ! Et le Rabbi avait pris sa lettre comme symbole de tout ce qu’un parent souhaite pour ses enfants la veille de Yom Kippour.
Rav Yossef Yitzchak Jacobson - The Yeshiva World
Traduit par Feiga Lubecki