Yom Kippour 5782

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Editorial

 Yom Kippour au cœur

Il existe des mots qui circonscrivent et décrivent toute la réalité. Mais ils ne la limitent pas pour autant. Au contraire, ils ont le pouvoir d’en exprimer l’essence et, ainsi, de la rendre infinie. Yom Kippour est de ceux-là, un jour dans l’année que nos Sages qualifient d’unique. Et sans doute mérite-t-il cette dénomination à plus d’un titre. N’est-il pas ce jour étonnant où chacun ressent, avec une conscience plus ou moins forte, plus ou moins attentive, mais toujours en éveil, la nécessité de se rendre à la synagogue ? N’est-il pas ce jour aussi où le temps même semble présenter une qualité, presque une texture différente, où, devant la solennité de la prière, le monde paraît soudain faire silence ? Mais, finalement, pourquoi est-il si essentiellement différent de tous les autres jours de l’année ? Disons-le en d’autres termes : qu’est-ce qui le distingue dans la monotone avancée des jours ?

Peut-être faudrait-il poser cette question à chacun de ceux qui, en cette journée, sont présents à la synagogue. Voici que chacun est prêt à tout laisser de côté, juste pour cela : un jour de réflexion, de recueillement et d’unité. Mais la réponse n’est-elle pas déjà, comme en filigrane dans ce dernier mot ? Dans les synagogues, en ce jour de Yom Kippour, chacun – quels que soient ses choix de vie – sait qu’il a sa place, qu’elle lui appartient de droit, comme elle a appartenu, avant lui, à son père, à son grand-père et à tous ses ancêtres des générations oubliées. Ceux-ci peuvent avoir vécu sous d’autres cieux, dans des pays lointains, la mémoire peut même ne pas avoir retenu leurs faits, leurs gestes et leur long voyage mais, par notre présence, ils sont là. Ils ont su vivre le «jour unique», nous le savons également et cela suffit : le lien au travers du temps est créé, il ne disparaîtra plus.

Dans cette unité, qui dépasse le temps et l’espace, chacun est partie prenante. Et c’est un sentiment puissant qui saisit alors tous les présents. On dit souvent que le peuple juif est celui de la mémoire et sans doute est-ce vrai. Mais il est surtout celui de l’action. Car, pour lui, la mémoire n’est jamais synonyme de nostalgie, d’aspiration à un mythique âge d’or. Pour lui, elle est source d’inspiration et sert d’abord à construire l’avenir.

Pour toutes ces raisons, Yom Kippour est un jour que nous savons et voulons tous vivre différemment. Profondément pénétrés de la conscience que, de notre présence, dépend la suite de l’année – pour nous, notre famille et tous les hommes, mais aussi les temps à venir – nous savons que, demain, nous agirons avec une énergie nouvelle. Nous savons que nos actions, riches de la grandeur de cette journée, nous conduiront vers les jours d’éternelle lumière.

Etincelles de Machiah

 Quand tout sera lumière

« Et il arrivera que le soir, il y aura de la lumière ». C’est en ces termes que le prophète Zacharie (14:7) décrit l’époque messianique. Si le caractère concret de cette prophétie ne fait pas de doute, il convient cependant d’en préciser le sens ainsi que la portée spirituelle.

En ce temps-là, veut-on nous dire, l’obscurité elle-même sera lumière – comparable à un verre transparent qui révèle la clarté et non à un verre opaque qui la masque. De même, la Divinité apparaîtra révélée dans chaque chose créée ainsi qu’il est écrit : « le loup habitera avec l’agneau. » Dans le domaine de l’homme également, la Divinité sera manifeste, aussi toute immoralité disparaîtra.

(d’après les Maamarim de l’Admour Hazakène sur les Néviim, p.28)

Vivre avec la Paracha

 Yom Kippour

 Ajustez vos montres

La portion de la Torah lue à Yom Kippour est extraite du livre de Vayikra : c’est le commencement de la section : A’haré Mot. Elle décrit, essentiellement et avec force détails, les services sacerdotaux que devait accomplir le Cohen Gadol (le Grand Prêtre), en ce saint jour, lorsqu’il pénétrait dans le Kodèch Hakodachim (le Saint des Saints).

Malheureusement, de nos jours, nous ne possédons ni Beth Hamikdach (Saint Temple) ni Kodèch Hakodachim ni Cohen Gadol. Il semblerait donc que tous les détails décrits dans cette partie de la Torah soient purement théoriques et n’aient aucun rapport avec le temps de l’exil présent.

La Torah n’est pas un livre d’Histoire ni un livre d’histoires dans lequel sont relatés des contes et des récits. Selon le Midrach, le mot Torah est étymologiquement associé au mot Horaa qui signifie « enseignement et guide » (Zohar III :53b). Quelle que soit la partie de la Torah que l’on étudie, il nous faut nous approfondir et réfléchir sur le sens caché dans les mots. Car la Torah renferme des instructions et des messages éternels.

Attardons-nous sur l’un des premiers versets de cette lecture de Yom Kippour.

Moché reçut l’instruction de dire à son frère Aharon (le Cohen Gadol) qu’: « il ne peut entrer de tout temps dans le Sanctuaire » (« Al yavo bekhol èt él hakodèch). Il s’agit simplement d’une directive adressée à Aharon selon laquelle, tout au long de l’année, il ne peut pénétrer dans le Saint des Saints du Tabernacle.

On peut en tirer un message pour chaque Juif sur la manière dont il doit se comporter à l’égard de la Sainteté de notre peuple : la Torah et les Mitsvot.

Nombreux sont ceux qui pensent, de façon erronée, que la Torah est archaïque et inadéquate pour les temps d’aujourd’hui. Ainsi, clament-ils, il faut la modifier et l’ajuster pour qu’elle soit compatible avec le mode de vie contemporain. C’est pour contrecarrer ces propos que la Torah déclare : « et quand il s’approche du Kodech », c’est-à-dire de la Torah et des Mitsvot, qu’il n’utilise pas les ajustements de « tout temps », autrement dit, les courants et les tendances de la mode. Nous devons rejeter la philosophie de « tout moment », en d’autres termes, l’idée de se conformer aux dictats de la mode et aux normes de la société contemporaine.

Un jour, un homme emmena son fils à Londres pour lui montrer les sites intéressants de cette ville historique. Au cours de la visite, ils se rendirent à l’incontournable horloge en haut du Parlement : Big Ben. L’enfant, comme tous les touristes, étira son cou pour voir l’horloge dans toute sa perspective.

« Papa ! Je voudrais te demander quelque chose, dit-il à son père. Pourquoi ont-ils mis l’horloge si haut que les gens doivent se tordre le cou pour la regarder ? N’auraient-ils pas pu l’installer au niveau des yeux pour qu’on puisse la voir facilement ? »

Le père réfléchit un instant et répondit :

« S’ils l’avaient placée plus bas, les gens régleraient Big Ben sur l’heure de leur montre personnelle. Comme l’horloge est en hauteur, hors d’atteinte de tous, on ne peut essayer de la régler. Si on veut avoir l’heure juste, on doit régler sa montre sur Big Ben. »

Il en va de même pour la Torah. La Torah est le Big Ben du Peuple Juif. Il nous faut toujours la contempler dans sa hauteur, ne pouvant être changée par des êtres mortels. C’est l’heure juste pour nous tous. Nous devons nous ajuster à cette horloge Divine et non la trafiquer pour tenter de l’ajuster à notre opinion et à notre avantage.

En ce jour le plus saint de l’année, prenons la décision de conformer notre vie à la Torah et laissons l’enseignement authentique de la Torah nous guider pendant toute l’année.

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Il vivait en Pologne un pauvre paysan qui travaillait dur son lopin de terre pour obtenir de bien maigres revenus. Il aimait sa terre mais il aspirait à en posséder davantage, juste quelques hectares de plus et il serait alors le plus heureux des hommes de son village.

Ce paysan juif fréquentait régulièrement la synagogue de sa communauté. Un soir de Kol Nidré, une fois que tous eurent quitté les lieux, il s’attarda un peu plus longtemps, récitant les Tehilim (les Psaumes de David) et déversant son âme devant D.ieu. Puis il s’approcha de l’Arche Sainte et s’écria à haute voix : « Oh ! Maître du monde ! Si seulement j’avais un terrain un peu plus grand, combien je serais heureux et satisfait ! »

Le Parits (le duc local qui possédait pratiquement toute la terre de cette région) passa devant la synagogue, à ce moment précis de ce soir de Yom Kippour. Remarquant que le lieu était éclairé, il ouvrit la porte et y pénétra subrepticement, au moment-même où le Juif implorait D.ieu. Il comprit chaque mot de cette supplique, ayant vécu depuis toujours parmi les Juifs. Il s’approcha donc du Juif et lui dit :

« Itsik ! Il se trouve que j’ai entendu ta prière et j’en ai été très ému. Je veux donc te faire la proposition suivante : le lendemain du jeûne, à l’aube, présente-toi devant la grille de mon domaine. A mon signal, tu iras arpenter mes champs et mes villages. Toute la terre que tu couvriras de tes pas, de l’aube au crépuscule, sera à toi. Mais il y a une condition : au crépuscule, tu devras être de retour à ton point de départ. Sinon, tu n’obtiendras rien du tout. »

A ces mots, rempli de gratitude, Itsik se précipita chez lui pour annoncer la bonne nouvelle à sa femme et à ses enfants.

Le lendemain de Yom Kippour, bien avant l’aube, Itsik courut au lieu du rendez-vous, accompagné de sa femme et de ses enfants. Au lever du soleil, le Parits apparut et lui donna le signal du départ. Et Itsik se mit à marcher, avançant de plus en plus vite au point que sa femme et ses enfants avaient du mal à le suivre.

« Itsik, ne cours pas si vite ! Prends ton temps, ménage-toi ! » l’implorèrent-ils.

« Ne voyez-vous pas que chaque moment veut dire un autre hectare de terre pour nous ! Demain je vous parlerai, demain je vous achèterai tout ce qu’il existe de mieux. Mais là, laissez-moi me dépêcher ! »

Il croisa un voisin dont il connaissait la situation matérielle désespérée.

« Itsik ! Je sais que tu as un grand cœur ! Je t’en supplie accorde-moi un prêt à court terme et tu me sauveras de la ruine ! » Itsik aurait bien aimé sauver ce Juif… mais il n’avait pas le temps.

« Désolé, je ne peux t’aider maintenant. Mais je te verrai demain. »

Il pensait : « Demain je serai riche et je pourrai l'aider financièrement. Mais là, je dois encore couvrir et posséder quelques hectares. »

Le soleil descend maintenant rapidement à l’horizon et Itsik se dirige vers son point de départ. Ses jambes sont lourdes, sa bouche est asséchée par la poussière et son cœur ne bat plus mais résonne comme un tambour. Il sait que pour son propre bien il devrait s’arrêter, mais il ne peut pas, car il est déterminé à acquérir toute la terre possible. Alors il court de plus en plus vite. Et au moment où les derniers rayons du soleil disparaissent, Itsik tombe au sol… terrassé par un arrêt cardiaque !

Ne sommes-nous pas trop souvent des Itsik, à l’égard de notre propre entourage ?

En ce jour saint, faisons en sorte que les requêtes auxquelles nous laissons libre court contiennent également la gratitude à D.ieu pour ce qu’Il nous a accordé et qu’Il nous donne un bon cœur, plein de sensibilité pour notre famille, pour les nécessiteux, plein d’amour pour la Torah et les Mitsvot et aussi, le bon sens de se satisfaire et de jouir de Ses bénédictions.

Que D.ieu nous accorde la santé, la subsistance et la satisfaction de nos enfants et le temps de profiter de ces bénédictions.

Le Coin de la Halacha

 Que fait-on à Yom Kippour (cette année jeudi 16 septembre 2021) ?

Dans la semaine qui précède Yom Kippour, on procède aux « Kapparot » : on fait tourner autour de sa tête trois fois un poulet vivant (ou un poisson, ou une somme d’argent multiple de 18) en récitant les versets traditionnels ; puis on donne le poulet (ou le poisson ou la valeur monétaire) à une institution charitable.

La veille de Yom Kippour (cette année mercredi 15 septembre 2021), on a coutume de demander au responsable de la synagogue du gâteau au miel, symbole d’une bonne et douce année. Jusqu’à la fin du mois de Tichri, on ne récite plus le Ta’hanoun (supplications).

Il est d’usage que les hommes se trempent au Mikvé (bain rituel), si possible avant la prière de Min’ha. On met les vêtements de Chabbat. Après la prière de Min’ha, on prend un repas de fête, sans poisson ni viande, mais avec du poulet. Après le repas, les parents bénissent les enfants et leur souhaitent d’aller toujours dans le droit chemin. Le jeûne de Yom Kippour commence à 19h45 (en Ile-de-France).

Après avoir mis des pièces à la Tsedaka, les femmes mariées allument au moins deux bougies avant 19h45 (en Ile-de-France), (les jeunes filles et petites filles allument une bougie) et récitent les deux bénédictions suivantes :

1) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Nèr Chel Yom Hakipourim » - « Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous a sanctifié par Ses Commandements et nous a ordonné d’allumer la lumière de Yom Kippour ».

2) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Chéhé’héyanou Vekiyemanou Vehigianou Lizmane Hazé » - « Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous a fait vivre, qui nous a maintenus et nous a fait parvenir à cet instant ».

Il est d’usage d’allumer également une bougie qui dure au moins vingt-cinq heures et sur laquelle on récitera la bénédiction de la « Havdala » à la fin de la fête. On allume aussi des bougies de vingt-cinq heures à la mémoire des parents disparus.

On enlève les chaussures en cuir et on met des chaussures en toile ou en plastique. Les hommes mariés mettent le grand Talit et le « Kittel » (vêtement rituel blanc).

Pendant tout Yom Kippour, on récite la deuxième phrase du Chema Israël (« Barou’h Chem… ») à voix haute. Il est interdit de manger, de boire, de s’enduire de crèmes ou de pommades, de mettre des chaussures en cuir, d’avoir des relations conjugales et de se laver (sauf si on s’est sali ; de même, on se lave les mains pour des raisons d’hygiène). On passe la journée à la synagogue. Toutes les interdictions de Chabbat s’appliquent à Yom Kippour.

Ce jeudi matin, on ne récite pas la bénédiction : « Chéassa Li Kol Tsorki » (« Qui veille pour moi à tous mes besoins ») car on ne porte pas de vraies chaussures.

Les malades demanderont au médecin et au Rabbin s’ils doivent jeûner ou non.

A la fin du jeûne (20h49 en Ile-de-France), on écoute - si possible - la sonnerie du Choffar.

Après Yom Kippour, on se souhaite mutuellement « Hag Saméa’h ». Si possible, on prononce la bénédiction de la lune. On récite la prière de la Havdala, on se lave les mains rituellement et on se rince la bouche. Durant le repas qui suit le jeûne, il est d’usage de parler de la construction de la Souccah et, si possible, on construit effectivement la Souccah tout de suite après le repas.

Le Recit de la Semaine

 Trophée de guerre

Le soleil se levait sur le désert du Sinaï, sur les ruines d’un bunker égyptien. Le silence était maintenant terrible, surtout après la bataille féroce qui venait de se passer. La guerre de Kippour serait gagnée mais au prix de nombreuses victimes.

Épuisés, les soldats israéliens s’étaient assoupis – à part Ronen Mizrahi qui ne cessait de se poser des questions tout en regardant le ciel : sans pouvoir le formuler, il savait que quelque chose – un Etre suprême peut-être – l’avait protégé durant la bataille de la nuit précédente. Élevé dans un kibboutz laïc, Ronen ignorait jusqu’aux notions de base du judaïsme et ne disposait pas des mots pour définir ce qu’il ressentait : s’il avait su, il aurait pu exprimer une prière…

Un par un, les soldats se réveillaient et se dirigeaient vers le bunker pour en retirer des souvenirs, afin de ne pas revenir à la maison les mains vides et montrer à la famille – qui sait – peut-être un couteau de l’armée égyptienne ou une médaille maintenant inutile d’un officier ennemi… Ronen regarda autour de lui et aperçut, dans la poche d’un soldat ennemi presqu’enseveli sous le sable, un objet de la taille d’un paquet de cigarettes. Après tout, ce serait un trophée comme un autre, souvenir d’Afrique comme disaient ses camarades : pourquoi pas ? Mais il s’avéra que c’était un petit livre écrit en arabe.

De retour au camp, il montra sa trouvaille à son camarade Amir qui connaissait l’arabe : « C’est un Coran ! s’amusa Amir, bonne lecture ! ». Ronen glissa le livre dans sa poche, se réjouissant par avance de pouvoir exhiber son trophée devant ses parents et amis à son retour du Sinaï.

Mais la guerre n’était pas terminée et l’étrange impression de vide continuait de remplir le cœur de Ronen : la vie, la mort, le destin, le but de tout cela… Si seulement il pouvait mettre des mots… De temps en temps, il palpait le livre dans sa poche, le feuilletait sans rien y comprendre bien sûr. La couverture était en cuir, on voyait qu’elle était usée : le soldat avait sans doute dû le lire souvent, d’ailleurs ici et là des mots étaient soulignés, des notes étaient ajoutées dans les marges : « Cet Égyptien était croyant, pensait Ronen, mais moi ? Je ne crois en rien et je ne connais rien de tout cela… ».

La guerre s’éternisait, des combats, des victoires… Un matin, alors que le convoi traversait un endroit découvert, il fut soudain attaqué par un barrage de tirs ennemis. Les soldats se jetèrent par terre et ripostèrent en direction des tirs. Il y eut un moment de silence. Puis un soldat israélien cria : « Arrêtez de tirer, nous l’avons eu ! ». Un soldat égyptien isolé surgit de derrière une dune de sable. Grand, mince, couvert de poussière, épuisé, il levait les bras au-dessus de sa tête et se rendit lentement aux Israéliens. Amir se précipita vers lui tout en brandissant son fusil et l’escorta vers ses camarades qui le firent asseoir dans leur camion. Ronen le surveillait attentivement. L’homme semblait confus et désespéré, affaibli mentalement et physiquement par les épreuves. Ronen lui tendit sa gourde d’eau qu’il but d’un trait. Ronen trouva une autre gourde et l’homme l’avala aussi puis bénit Ronen en arabe, bénit son père, sa mère et tous ses ascendants jusqu’à la dixième génération… Ronen le regardait avec une pitié mêlée de haine et de curiosité. L’Arabe gardait les yeux fixés sur le sol.

Ronen l’observait et remarqua dans la poche du prisonnier un objet suspect :

- Donne-moi cela ! ordonna Ronen en le menaçant de son fusil.

L’Arabe chercha dans sa poche et en retira un petit livre relié en cuir, avec des lettres en hébreu : c’était un Siddour, un livre de prières juif !

Ronen n’en croyait pas ses yeux. Son cerveau fonctionnait à mille à l’heure, tout s’embrouillait puis instinctivement, il tira de sa propre poche le Coran. Incrédule, l’Égyptien fixait l’objet. Leurs regards se croisèrent : deux mondes, deux cultures, deux ennemis et pourtant, à ce moment, ils parlaient le même langage silencieux !

Ronen comprit immédiatement comment le Siddour était venu dans les mains de l’Égyptien – exactement de la même façon que le Coran était tombé dans les siennes. Et il comprit que D.ieu dirige le monde à Sa façon, mystérieuse mais efficace. Il tendit la main et donna le Coran à l’Arabe qui lui remit le Siddour. L’Arabe glissa le Coran dans sa poche et Ronen feuilleta le Siddour. A la première page, il lut : « Je Te remercie, Roi vivant et existant car Tu m’as rendu mon âme avec compassion ; grande est Ta fidélité ».

A ce moment, quelque chose s’ouvrit en lui. Son cœur qui avait été vide durant vingt et un ans, qui attendait avec impatience la fin de la guerre pour quitter Israël à la recherche de l’aventure dans le vaste monde, qui avait raillé tout ce qui touchait à la Torah et à la population religieuse – ce cœur pleurait et résonnait dans le désert comme le tir d’un canon.

Cette prière ne fut que le début. Le Siddour donna à Ronen le vocabulaire qu’il n’avait jamais connu. Au fur et à mesure des jours et des semaines, il s’approfondit dans les mots du Siddour qui parlaient à son âme et lui donnaient les larmes aux yeux. Il souligna les mots, nota des remarques dans les marges…

La prière le mena à la compréhension, à l’étude de la Torah et, lentement, à la tradition et la pratique de ses ancêtres. Ce « souvenir » de la guerre de Kippour ressuscita d’autres souvenirs, ceux d’un passé distant et d’un avenir rempli d’espoir.

Ronen ne quitta pas la Terre Sainte. Après la guerre, il entra étudier dans une Yechiva, se maria et construisit une véritable famille juive. Aujourd’hui, le Siddour - souvenir de la guerre de Kippour – trône en évidence parmi des centaines de livres saints dans sa bibliothèque, souvenir de la plus importante bataille qu’il ait jamais livrée.

Rav Eliezer Shore – Si’hat Hachavoua N° 192

Traduit par Feiga Lubecki