Anticiper
Certaines dates demandent que l’on s’y prépare, comme pour un rendez-vous essentiel. La semaine prochaine sera le 10 Chevat et l’occasion viendra encore de réfléchir aux implications de ce jour. De fait, cette date, lorsque le Rabbi succéda à son beau-père et prédécesseur en 1950, marque le début d’une nouvelle époque et, pour cela, il convient d’en prendre toute la dimension. Toutefois, le sens du jour demande une démarche d’anticipation. C’est qu’il ne s’agit pas ici d’une commémoration de plus. Certes, le concept a sa propre valeur. Commémorer, n’est-ce pas perpétuer une précieuse histoire et prendre ainsi conscience à la fois du passage du temps et de la nécessité de préserver les événements qui nous ont façonnés ? Cependant, dans l’idée de commémoration, il y a aussi quelque chose de l’ordre de la nostalgie impuissante et cela ne peut satisfaire la démarche juive traditionnellement orientée vers la pensée de l’avenir. L’anniversaire doit donc être vécu comme un événement au présent et c’est en cela qu’il appelle des préparatifs adaptés.
Cette année va porter le numéro 70 depuis 1950. Or ce chiffre est, lui aussi, chargé de sens. Le 7 incarne une forme de plénitude tandis que le 10 y ajoute sa propre perfection. C’est ainsi un vent nouveau qui se met à souffler sur notre perception du monde. Distinguer la voie juste pour une telle préparation est aisé. Puisqu’il s’agit du début de l’œuvre du Rabbi, se rattacher à ses enseignements entre en résonnance avec l’ensemble du projet. Aujourd’hui, cet enseignement est disponible sous de multiples formes, tant écrites que vidéos, en hébreu aussi bien qu’en français etc. C’est dire que l’évolution des choses nous a donné tous les outils, il nous appartient de nous en saisir.
C’est ainsi que, par l’étude, par la mise en œuvre de ses implications, nous nous préparons à entrer de plain-pied dans un temps de réflexion et d’action. Il peut nous emmener bien plus loin que nous l’imaginons, à condition que nous choisissions d’en être les acteurs, assumant la mission d’époque : faire de ce monde ce que le Cantique des cantiques dénomme « le jardin de D.ieu ». Chacun a la capacité de donner vie à ce qui n’est déjà plus tout à fait un rêve. La route s’ouvre : à nous de nous y engager.
L’obscurité et la lumière
A l’époque du Tséma’h Tsédèk, le troisième Rabbi de Loubavitch, le gouvernement russe imposa la conscription trois fois dans une même année. C’est ainsi que des milliers de jeunes Juifs, souvent déjà mariés, furent contraints d’aller combattre au loin dans l’armée du tsar, pourtant leur oppresseur.
Certains ‘hassidim dirent alors devant le Tséma’h Tsédèk : « Quel terrible décret... Cela ne fait aucun doute : nous sommes arrivés au temps de Machia’h ! »
Le Tséma’h Tsédèk répondit : « Quand le Machia’h viendra, c’est une grande lumière qui apparaîtra, une lumière merveilleuse. Qui sait quelle obscurité il doit y avoir avant une telle lumière ! »
(D’après Lechema Ozen p. 59)
Bo
Les trois dernières plaies accablent l’Egypte : une armée de sauterelles dévore les cultures et la végétation ; une obscurité épaisse, palpable enveloppe le pays et tous les premiers-nés de l’Egypte sont tués à minuit, le 15 du mois de Nissan.
D.ieu ordonne la première Mitsva au Peuple d’Israël : celle d’établir un calendrier basé sur le renouvellement de la lune. Les Hébreux sont également enjoints d’apporter une « offrande pascale » à D.ieu : un agneau ou un chevreau doit être abattu et son sang aspergé sur les les linteaux de chaque demeure des Hébreux, pour que D.ieu « passe par-dessus » ces foyers quand Il viendra tuer les premiers-nés égyptiens. La viande rôtie de l’offrande sera consommée en cette nuit avec la Matsa (pain non levé) et les herbes amères.
La mort des premiers-nés finit par briser la résistance du Pharaon et il renvoie littéralement les Enfants d’Israël de son pays. Ils doivent s’en aller dans une telle hâte que leur pâte n’a pas le temps de lever et les seules provisions qu’ils emportent sont ce pain non levé. Avant de partir, ils demandent à leurs voisins égyptiens de leur remettre de l’or, de l’argent et des vêtements, réalisant ainsi la promesse faite à Avraham que ses descendants quitteraient l’Egypte avec de grandes richesses.
Les Enfants d’Israël reçoivent le commandement de consacrer tous les premiers-nés et de célébrer chaque année l’anniversaire de la sortie d’Egypte, en se débarrassant de tout le levain en leur possession pendant sept jours et de raconter leur rédemption à leurs enfants. Ils sont également enjoints de mettre les Tefiline sur le bras et la tête en souvenir de la sortie d’Egypte et de leur engagement à D.ieu.
La grande richesse
« Les Enfants d’Israël firent comme Moché avait dit ; ils demandèrent aux Égyptiens des récipients d’argent et des récipients d’or et des vêtements… et ils dépouillèrent l’Égypte. » (Chemot 12 :35-36)
Pendant une grande partie de notre histoire, nous avons été en exil. Il y eut l’exil égyptien qui précéda notre naissance en tant que nation, l’exil babylonien qui suivit la destruction du premier Temple, suivi de l’exil perse, de l’exil grec au cours de l’ère du second Temple. Et finalement, notre exil présent commença avec la destruction par les Romains du second Temple en l’an 69.
L’exil, Galout en hébreu, est bien plus que le fait d’arracher une personne à sa terre natale. Une personne en exil est une personne privée de l’environnement qui nourrit son mode de vie, ses principes et ses valeurs, son identité spirituelle. En exil, tous ces principes sont menacés car la responsabilité repose désormais sur l’exilé lui-même. Il doit puiser, dans ses propres ressources, détermination et persévérance pour survivre. Selon les paroles de nos Sages : « Tous les voyages sont dangereux » (Talmud Berakhot 4 :4).
Pourquoi sommes-nous en exil ? La Galout est communément considéré comme une punition pour nos déficiences nationales et individuelles. En fait, les Prophètes ne cessent de le décrire comme tel, et dans nos prières, nous nous lamentons sur le fait que : « à cause de nos péchés, nous avons été exilés de notre terre ».
Cependant, bien avant les péchés, que l’exil vient expier, ne soient commis, D.ieu fit une alliance avec Avraham, « l’alliance entre les parties » dans laquelle Il établit Son lien particulier avec ses descendants. A cette occasion, D.ieu l’informa que ses descendants connaîtraient l’exil (Beréchit 15 : 12-14).
Il est donc évident que la Galout a un autre objectif que l’expiation de nos péchés, un but qui va au cœur de la mission juive dans l’histoire.
L’asservissement de l’Égypte
Une clé pour comprendre la signification profonde de l’exil peut être trouvée dans « la grande richesse » que D.ieu promit à Avraham en conséquence du séjour de ses descendants dans la terre d’Égypte. En fait, cette promesse constitue un thème récurrent dans le récit que fait la Torah de l’exil égyptien et de l’Exode, au point qu’on a l’impression que c’était là le but-même de notre esclavage en Égypte. De fait, l’or et l’argent que nous sortîmes d’Égypte n’étaient pas seulement un bénéfice collatéral et une compensation pour notre esclavage en Égypte mais un élément indispensable à notre libération.
Les étincelles de sainteté
Pour expliquer le phénomène de la Galout, le Talmud offre l’explication suivante :
« Le Peuple d’Israël fut exilé parmi les nations dans le seul but que des convertis puissent s’adjoindre à eux. »
Au niveau le plus littéral, il est ici fait référence aux nombreux non-Juifs qui, au cours des siècles de notre dispersion dans les quatre coins du monde, sont entrés en contact avec le Peuple juif et ont été inspirés pour se convertir.
Mais les enseignements de la ‘Hassidout expliquent que le Talmud fait également référence à des âmes d’une autre espèce qui sont transformées et élevées au cours de nos exils : « les étincelles de sainteté » contenues dans la création matérielle.
Le grand cabaliste, Rabbi Its’hak Louria enseigne que chaque objet, chaque force, chaque phénomène de l’existence possède « une étincelle de sainteté », un point de divinité qui constitue son âme, c’est-à-dire son essence et son projet spirituels. Cette « étincelle » représente le désir divin que cette chose existe et sa fonction dans le projet divin de la création. Chaque fois que nous utilisons quelque chose pour servir le Créateur, nous traversons son écorce de matérialité et révélons et réalisons son essence divine. C’est à cette fin que nous avons été dispersés sur toute la surface de la terre : pour pouvoir entrer en contact avec l’étincelle de spiritualité qui attend la délivrance.
Chaque âme possède des « étincelles » éparpillées dans le monde et qui en sont partie intégrante. Aucune âme n’est complète tant que n’ont pas été révélées ces étincelles qui lui appartiennent.
Ainsi évoluons-nous dans la vie, propulsés d’endroit en endroit par des forces qui paraissent dues au hasard. Mais tout est le résultat de la Providence Divine qui nous guide vers ces possessions et ces occasions intimement liées à notre être.
L’enseignement
Il arrive que nous soyons tentés d’échapper à la Galout en nous enfermant dans un cocon de spiritualité, en consacrant nos jours et nos nuits à l’étude de la Torah et à la prière. Mais au lieu d’échapper à la Galout, nous ne faisons qu’en approfondir notre implication. Car nous laissons de côté des « morceaux » de notre âme, des étincelles de sainteté lui appartenant.
Ce n’est qu’en affrontant les défis que la Providence Divine place sur notre chemin, en utilisant chaque petite pépite d’« or » et d’« argent » pour servir D.ieu que nous extrayons ces étincelles de leur exil. Et en parvenant à une libération personnelle de notre âme, nous hâtons la délivrance universelle, avec la venue du Machia’h !
Qu’est-ce qu’un « moment de silence » ?
Le Rabbi de Loubavitch soutenait l’idée que tous les enfants devraient commencer la journée en classe par « un moment de silence », propice à la réflexion, la prière, la méditation et les bonnes résolutions.
Durant ce moment de silence, les enfants doivent être encouragés à considérer qu’il y a « Un œil qui voit et une oreille qui entend », autrement dit que D.ieu existe et qu’Il observe chaque pensée, parole et action de l’être humain.
Actuellement, de nombreux enfants sont élevés dans un cadre familial défavorable : il est donc nécessaire de les rendre conscients qu’ils ont un Père avec Lequel ils peuvent toujours se connecter – quelles que soient les circonstances.
Les avantages de ce « moment de silence » sont multiples :
1) C’est une puissante expérience : le temps passe plus lentement et tous les élèves sont unis dans un moment commun de méditation.
2) Cela aide les enfants à apprendre à se contrôler, à obéir à un ordre, à se taire puisque tous les autres le font.
3) Comme le « moment de silence » se déroule au début de la journée d’école, il influence positivement le reste de la journée.
4) Il apprend aux enfants à méditer silencieusement et donc aussi à réfléchir pour ne pas agir impulsivement.
5) Les parents sont invités à aider les enfants à se concentrer sur des sujets particuliers, à prendre de bonnes résolutions morales, à prier pour la fin des guerres, la guérison des malades, l’éradication de la pauvreté et de la solitude. De plus les parents réalisent qu’ils ne doivent pas laisser l’école seule éduquer leur enfant mais qu’ils doivent participer activement à leur élévation morale, donner un sens à leur vie et leur donner un but dans la vie.
6) L’essentiel est d’imprégner les enfants que le monde n’est pas une jungle et qu’il convient de respecter les lois.
Instituer une minute de silence dans toutes les écoles, privées et publiques, n’enfreint en rien les lois de la laïcité ou de la séparation de la religion et de l’état.
(d’après Rav Avraham Frank – N’shei Chabad Newsletter)
Un jour perdu…
La route serpentait entre les montagnes d’une région encore sauvage près de Fresno, en Californie. Les deux jeunes gens dans la voiture se demandaient s’ils ne s’étaient pas trompés de chemin quand soudain, ils aperçurent le panneau : ils étaient bien dans le village de Lakes qu’ils recherchaient.
Mais il n’y avait personne dans les rues, personne chez qui se renseigner. Finalement ils localisèrent le bureau d’un entrepreneur et lui demandèrent s’il connaissait un certain Maurice P. A leur grande joie, l’homme le connaissait et leur indiqua même le chemin pour s’y rendre.
On était en été 1990 : Efraïm Mintz et Lévi Shemtov étudiaient à la Yechiva ‘Habad de Los Angeles et profitaient de leurs vacances non pas pour se reposer mais pour rencontrer d’autres Juifs, les aider à se connecter à leur judaïsme en leur proposant d’accomplir des Mitsvot, d’étudier la Torah, de donner une éducation juive à leurs enfants.
Ce matin, ils avaient prévu de se rendre au parc de Yosémite, un endroit à couper le souffle pour ses merveilles de la nature : là ils établiraient un petit stand d’où ils pourraient interpeler les touristes juifs en leur proposant de mettre les Téfilines et de se renseigner sur le judaïsme avec de nombreuses brochures.
La veille, ils s’étaient rendus dans la maison de Jacques, le patron d’une société d’autobus florissante. Il connaissait bien la région et, en particulier, savait repérer les habitants juifs éparpillés dans les villages et hameaux voisins. D’ailleurs c’est lui qui leur avait proposé d’aller voir Maurice P., un avocat à la retraite qui, avec son épouse, avait choisi de s’installer en pleine nature : « Allez le voir – mais ne lui dites pas que c’est moi qui vous ai donné son adresse ! ».
Munis de tous les renseignements nécessaires, les deux jeunes gens finirent après plusieurs heures d’une route poussiéreuse par trouver la petite maison perdue parmi les arbres immenses. Ils frappèrent à la porte, plusieurs fois, sans réponse. Ils étaient sur le point d’abandonner quand soudain, la fenêtre du 2ème étage s’ouvrit : « Qui est là ? » demanda une dame, étonnée de recevoir de la visite.
- Nous venons de la part du Rabbi de Loubavitch, déclarèrent les deux jeunes gens. Nous désirons parler avec vous de judaïsme !
La dame les fit entrer et leur présenta son mari Maurice. Tous deux étaient assez âgés. Très vite la discussion démarra et les jeunes étudiants de Yechiva répondirent du mieux qu’ils pouvaient aux différentes questions sur la foi juive comme le libre arbitre, le rapport avec la science etc. Les années de Yechiva leur donnaient assurance et aisance mais surtout enthousiasme et détermination. Le couple manifestait beaucoup d’intérêt pour le judaïsme et tout se déroula dans la plus grande courtoisie. Bien entendu, les deux jeunes gens refusèrent poliment pour raison de cacherout la collation qu’on leur proposait.
Finalement cette rencontre avait été sympathique et le couple avait même accepté qu’on fixe une Mezouza à leur porte – ce qui représentait déjà un pas significatif pour des personnes qui n’avaient jamais manifesté d’intérêt pour le judaïsme.
Les deux jeunes gens reprirent la route mais, bien vite, ils durent rebrousser chemin : un incendie avait éclaté dans la forêt et, par précaution, les autorités avaient bouclé tout le secteur. Au lieu de s’activer dans le parc à la rencontre d’autres Juifs, Efraïm et Lévi étaient restés bloqués durant des heures dans les embouteillages. Déçus de leur journée, ils rentrèrent à Fresno.
A la fin de leurs vacances, ils retournèrent à la Yechiva et, quelques jours avant Pessa’h, ils eurent la chance de pouvoir passer quelques jours à New York pour l’anniversaire du Rabbi. Efraïm raconte : « Un soir, je m’assis pour une réunion ‘hassidique qui se prolongea jusque tard dans la nuit. Ereinté, je partis me coucher. Alors que je venais de m’endormir, Lévi m’appela d’une voix très forte : surpris, je me levai en sursaut et lui demandai pourquoi il avait osé me réveiller. Mais il était très excité et ne prit même pas la peine de s’excuser pour l’heure tardive. Il me raconta que lui était resté à la réunion pour écouter Rav Yossef Yts’hak Itkin, le Chalia’h (émissaire du Rabbi) de Pittsburg. Celui-ci avait entre autres raconté qu’un couple de Baalé Techouva (personnes qui reviennent à une vie de Torah) avait récemment rejoint sa communauté. La jeune femme lui avait confié qu’elle souffrait du fait que ses parents n’avaient pas accepté son retour au judaïsme et la traitaient de fanatique, démodée, archaïque etc. Ils avaient rompu tout lien avec elle, refusaient de lui parler au téléphone et n’avaient même jamais voulu voir ses enfants. Elle-même s’angoissait : ses parents vieillissaient et ne connaissaient même pas leurs petits-enfants ! Rav Itkin lui avait conseillé d’écrire au Rabbi pour demander une bénédiction. A peine deux semaines plus tard, deux jeunes gens avaient frappé à la porte de ses parents qui habitaient pourtant loin de toute communauté juive, dans un village perdu de Californie et avaient discuté très poliment avec eux, leur laissant une très bonne impression du judaïsme authentique : si effectivement des étudiants orthodoxes pouvaient être aussi intelligents et ouverts d’esprit, il n’y avait plus de raison de refuser tout contact avec leur fille. Les parents avaient donc décidé de lui rendre visite à l’improviste et la famille avait enfin été réunifiée.
J’écoutai Lévi tout en baillant mais il me secoua : Tu te rends compte ? J’ai demandé à Rav Itkin le nom de famille de ces parents mais il répondit qu’il n’y avait aucune chance que je les connaisse puisqu’ils habitaient loin de tout. J’ai insisté ! Il s’agit bien de Maurice P. et sa femme ! Nous leur avions rendu visite ce jour où nous avions été si déçus de n’avoir pas pu aller au parc de Yosémite et où nous avions eu l’impression d’avoir perdu la journée ! Après tout, si grâce à nous, cette famille a retrouvé la paix, cela justifie toutes les heures que nous avions perdues en route ! ».
Rav Efraïm Mintz et Rav Lévi Shemtov sont maintenant des Chlou’him aux États-Unis.
Sichat Hachavoua N° 1400
Traduit par Feiga Lubecki