Editorial
Le temps de l’illuminationLe nouveau mois du calendrier juif vient de commencer. Il s’appelle Chevat. Il y a bien longtemps, alors que les Juifs, sortis d’Egypte, étaient en marche vers la Terre que D.ieu leur avait promise, au premier jour de ce mois, Moïse entreprit une œuvre essentielle dont les échos retentissent avec force jusqu’en notre temps. Il commença à redire, à expliquer le texte de la Torah afin que tous le comprennent et le connaissent. Il alla, précisent les Sages, jusqu’à le dire dans les «soixante-dix langues» des peuples du monde pour que nul n’en ignore. Cette date va bien au-delà du simple anniversaire d’une traduction ou d’une explication, même historique. Elle incarne ce jour où la Sagesse descend vers tous les hommes, à leur portée, pénétrant profondément leur conscience aussi bien que le monde, pour marquer l’un et l’autre à tout jamais.
L’événement est, au sens strict, révolutionnaire. Certes, la Révélation avait déjà eu lieu sur le mont Sinaï et le peuple juif assemblé avait déjà reçu la Torah. Certes, le monde avait irrémédiablement changé du fait même de ce Don divin. Mais fallait-il que la Sagesse pure aille aussi loin ? Fallait-il, ou était-il seulement possible, qu’elle s’adresse à tous, sans aucune exclusive, sans exigence de connaissance ou de degré spirituel préalable ? Moïse enseigne et cet enseignement porte, en lui-même, la réponse à la question. La Sagesse est un bien trop précieux pour rester le privilège de quelques-uns. Elle est trop belle, trop grande et trop puissante pour ne pas être donnée à tous. Cette idée est, en ce temps lointain, bien nouvelle – et elle le reste encore parfois – mais c’est ainsi que le monde avance.
C’est que la Torah a pour vocation d’être diffusée. Et sans doute n’est-ce pas un hasard si au tout début de la semaine prochaine, à l’issue du Chabbat, arrive le 10 Chevat, l’anniversaire du décès du précédent Rabbi de Loubavitch, Rabbi Yossef Its’hak Schnnersohn. Dans un monde juif dévasté par les tragédies du vingtième siècle, il fit traduire et distribuer la connaissance de tous les aspects de la Torah dans toutes les langues. Alors que, jusque là, cela restait fermé à tous ceux qui n’avaient pas acquis préalablement la culture requise, tout devint alors accessible. C’est véritablement un monde qui s’ouvrit ainsi, dont les portes étaient restées trop longtemps closes. Aujourd’hui, où tout est à portée, sachons vivre, comme il convient, ce temps d’illumination.
Etincelles de Machiah
La longueur de l’exilDans les premières générations, celui qui commettait des fautes n’avait pas honte du mal qu’il manifestait ainsi aux yeux de tous. Dans les dernières générations, comme cette honte existe, les hommes commettent leurs fautes discrètement, trompant leur entourage.
De la même façon, dans les générations précédentes, l’homme cherchait à servir D.ieu avec la plus grande sincérité, sans tenter d’en tirer un bénéfice personnel. Dans les générations plus tardives, le mal se dissimule même dans le service divin, comme lorsqu’un homme étudie la Torah pour en obtenir des avantages personnels plutôt que pour la Torah elle-même.
C’est la raison pour laquelle notre exil est si long – car chasser le mal dissimulé est bien plus difficile que chasser celui qui s’expose.
(d’après les Maamarim Ketsarim de l’Admour Hazakène, p. 453)
Vivre avec la Paracha
Bo : L’obscurité dominait-elle ?Les Dix plaies ont un message à nous transmettre aujourd’hui. Prenons pour exemple la neuvième Plaie que nous lisons dans notre Paracha.
Trois jours d’ «obscurité épaisse» s’abattirent sur l’Egypte. Selon le Midrach, les Egyptiens ne pouvaient rien voir ni même bouger. Cependant, pour le Peuple Juif, la situation était différente : ils avaient de la lumière où qu’ils vivent.Nos Sages discutent cette idée. Cela signifie-t-il que l’obscurité n’affectait pas la région particulière où résidait le peuple Juif, la terre de Gochen ? Ou cela signifie-t-il, plus mystérieusement, que pour un Juif, même dans les zones égyptiennes, il y avait de la lumière dans l’obscurité ?
Comme l’explique le Rabbi, ces deux opinions se réfèrent à notre vue du monde.
Selon la première de ces perspectives, il existe un grand fossé entre le saint (la région appartenant aux Juifs) et le profane (les idoles de l’Egypte). Dans le domaine du saint, il y avait de la lumière et dans le domaine de l’impur régnait l’obscurité.
La seconde vision des choses soutient que les Juifs en Egypte avaient la force d’apporter la lumière dans le domaine de l’impur. Même dans les régions égyptiennes où l’obscurité était effrayante, les Juifs pouvaient voir. En dernier ressort, la lumière juive dans l’obscurité sera visible pour tous. Cela fait référence à notre rôle dans le monde. Les Juifs pénètrent dans un domaine d’obscurité spirituelle et pourtant ils ont la force d’illuminer cette obscurité, d’apporter la lumière aux maisons «égyptiennes» du monde apparemment séculaire et matérialiste. Cette liberté n’est pas seulement pour nous. Nous avons la force de faire jaillir la lumière dans l’obscurité de l’Egypte de sorte que nous pouvons apporter dans le monde entier, la lumière de la Rédemption.
Piégés ? Non piégés !
L’un des sentiments les plus terribles et les plus effrayants est celui de se sentir piégé. Aucune issue. Bloqué de toutes parts. C’est une situation qui peut arriver, à D.ieu ne plaise, littéralement, en termes physiques, dans un contexte de violence ou de guerre. C’est aussi une situation qui peut se soulever en termes de difficultés ou d’effondrement dans une carrière ou de problèmes dans des relations humaines difficiles. Etre piégé est aussi quelque chose qui peut arriver à un individu en lui-même, dans son propre esprit ou dans son cœur. Piégé, incapable d’évoluer librement. Traqué. Comme le Pharaon, souverain d’Egypte, dans la Paracha de cette semaine.
En quoi était-il pris au piège ? Pharaon était l’oppresseur des Juifs. Eux étaient traqués. En quoi, lui, l’était-il ?
Notre Paracha commence en nous disant que D.ieu «avait endurci le cœur de Pharaon». A cause de cela, Pharaon n’est pas capable de répondre aux avertissements donnés par Moché et à la série de plaies qui s’abattent l’une après l’autre. D.ieu a acculé Pharaon dans une position de défiance et apparemment le roi égyptien ne peut rien faire. Il doit suivre le cours inexorable qui conduit à la destruction.
Nos Sages nous offrent leurs commentaires. Comment cela est-il possible ? Il est sûr que D.ieu accorde le libre arbitre. Est-il juste de punir Pharaon quand son refus de reconnaître D.ieu lui est imposé par D.ieu Lui-Même ?
L’une des explications les plus célèbres de ce puzzle est donné par Maimonide. Le renforcement du cœur de Pharaon était en soi une punition pour la façon cruelle dont il avait traité le Peuple Juif. Quand un individu fait le mal, il est pris au piège dans une position dont il ne peut échapper. Cela fait partie intégrante de la punition pour son méfait.
Nous trouvons ainsi un récit dans le Talmud, à propos d’un rabbin, Elisha fils d’Abouya, appelé A’her, «l’autre», qui abandonna le chemin du Judaïsme. De nombreuses raisons sont données à cette situation, parmi lesquelles l’influence de la culture grecque, la perplexité devant la souffrance des innocents et le fait qu’il ait tiré les mauvaises conclusions d’une expérience mystique. En conséquence, il cessa de garder la loi Juive. Et puis, à un certain point de sa vie d’errance, il entendit une voix divine proclamer : «Repentez-vous, enfants capricieux, à l’exception d’A’her». Il avança plus tard cet argument comme excuse pour le fait qu’il ne se repentit jamais. L’exclusion d’A’her de l’invitation générale à se repentir faisait partie intégrante de sa punition, comme dans le cas de Pharaon.
Néanmoins, l’enseignement juif, dans toutes ses diverses dimensions n’est pas si simple. Un commentaire important du Talmud, discutant du cas d’A’her, statue : «Pourtant, il n’aurait pas dû prendre cela en considération… Rien ne résiste à la Techouva (repentance)».
L’enseignement ‘hassidique nous dit que, quelle que soit la profondeur de l’abîme dans laquelle une personne a sombré, et quand bien même il apparaît que D.ieu Lui-Même l’a piégée dans son propre mal, la repentance est toujours possible. Elle peut paraître plus difficile que d’ordinaire mais elle est toujours possible. Piégé ? Non pas piégé. Quiconque, et même l’ancien Pharaon, peut toujours sortir du piège et retourner vers D.ieu. Nous sommes toujours libres.
Les Juifs hardis et fiers
Et Moché et Aharon vinrent devant Pharaon et lui dirent : «Ainsi parle D.ieu, le Dieu des Hébreux : Combien de temps refuseras-tu de t’abaisser devant Moi ? Laisse partir Mon peuple pour qu’ils Me servent !» (Chemot 10:3)
Sans fléchir devant le dirigeant du plus grand et plus puissant empire, sans être intimidés par la redoutable force de l’Egypte pharaonique et l’apparente faiblesse de leur propre position, Moché et Aharon ne se dérobèrent pas, ne s’abaissèrent pas, ne supplièrent ni ne joignirent leurs mains pour quémander des faveurs. Ils ne tentèrent pas d’être «plus égyptiens que les Egyptiens» et impressionner Pharaon par leur maîtrise supérieure du langage ou leurs talents diplomatiques. Non ! Se tenant dans la cour du Pharaon, ils sont intensément des Juifs que l’on peut reconnaître par leurs vêtements et leurs coutumes : avec hardiesse et fierté», ils exigent les droits de leur peuple.
Un vieux slogan assimilationniste discrédité depuis longtemps déclarait : «soyez juif à la maison mais homme à l’extérieur». Il ne fallut pas beaucoup de temps pour réaliser que celui qui a honte d’être un Juif à l’extérieur devient très rapidement très faible dans son Judaïsme chez lui. Et puis, il y a l’approche de Moché et d’Aharon, une approche d’ouverture et de fierté absolues par rapport à nos priorités et nos engagements dans la
Le Coin de la Halacha
Pourquoi la mariée tourne-t-elle sept fois autour de son mari sous la ‘Houpa (dais nuptial) ?Dans les communautés ashkénazes et ‘hassidiques, il est de coutume que la jeune fille accompagnée de sa mère et sa belle-mère – tourne sept fois autour du marié avant le début de la cérémonie. Cette coutume est basée sur le verset (Jérémie 31. 21) : «La femme encerclera l’homme». La Guemara explique : quiconque n’a pas de femme n’est pas protégé d’une muraille» (car elle le protège de la faute). (Chez les ‘Hassidim de Loubavitch, les deux pères tournent également et, durant ces sept tours, l’assemblée chante la «mélodie des quatre mouvements» instituée par Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi, fondateur de la ‘Hassidout ‘Habad.) A la fin de ces tours, la mariée se tient debout à la droite du jeune homme.
Selon la Kabbale, cette coutume d’encercler le marié symbolise le fait que la jeune fille consacre dorénavant ses forces spirituelles les plus élevées («Makif», « entourantes » en hébreu) afin de construire un foyer solide à l’intérieur du peuple juif.
Durant la suite de la cérémonie, le marié lui passe au doigt la bague qui est ronde, symbolisant le fait que lui aussi consacrera toutes ses forces spirituelles à cette construction. D.ieu lui-même les y aide en les protégeant par une ‘Houpa, le dais nuptial, qui représente le «Makif» que D.ieu leur accorde afin que leur famille soit éternelle.
On explique le chiffre sept par le nombre de «‘Houpot» que D.ieu a érigées pour le mariage de Adam et ‘Hava (Eve) dans le Gan Eden (Paradis) ainsi que par le nombre de bénédictions récitées lors du mariage. Les sept tours rappellent aussi ceux que l’homme fait tous les matins avec les Téfilines autour de son bras : de même qu’un homme démontre ainsi son amour pour D.ieu, de même il établit un lien très fort avec son épouse. Le nombre sept rappelle le processus de sept jours nécessaire à la Création du monde. Durant ces sept jours, la terre a tourné sur elle-même sept fois.
Le nombre sept représente les six facettes du monde matériel couronnées par la dimension spirituelle qui les fait vivre. Les jeunes mariés s’engagent ainsi à fonder leur foyer sur des bases solides, comme celles qui ont précédé la Création du monde, en y introduisant la participation divine.
La ‘Houpa, le dais nuptial, ouverte des quatre côtés, représente le désir des jeunes mariés que leur maison soit placée sous la protection de D.ieu et qu’elle soit ouverte aux invités, d’où qu’ils viennent, à l’image de la tente d’Abraham qui était ouverte dans les quatre directions.
F. L. (d’après Rav Yosef Ginsburgh)
De Recit de la Semaine
Priez pour qu’il neige !Dans le chalet qui surplombe l’immense domaine skiable des Catskills – non loin de New York – David, soixante-cinq ans, propriétaire du site, remonte la manche gauche de sa chemise et met les Téfilines. Très ému, il lit sur le feuillet les bénédictions et le Chema en phonétique.
Nous respectons ses sentiments et nous abstenons de parler jusqu’à ce qu’il déclare, le regard perdu dans le magnifique paysage où évoluent des centaines de skieurs : «Vous savez, cela fait cinquante ans que je n’ai pas remis les Téfilines ! Vous ne pouvez pas savoir combien je vous suis reconnaissant !»
Des larmes perlent sur son visage.
* * *
Deux semaines auparavant, Rav Menachem Mendel Okinov, directeur éducatif de l’organisation «Free» et de la Yechiva Ohel David d’Ocean Parkway à New York avait téléphoné à David : il lui avait rappelé qu’aujourd’hui, ce serait le premier anniversaire du décès de son père. Il devrait donc réciter le Kadich en présence d’un Minyane, dix Juifs âgés de plus de treize ans. «Nous sommes prêts à organiser ce Minyane pour vous !» lui dit-il.
David fut très heureux de ce coup de fil et accepta volontiers.
«Par ailleurs, continua Rav Okinov, j’organise aussi actuellement un camp d’hiver pour de jeunes Juifs sortis récemment de Russie et qui ne sont pas scolarisés dans des écoles juives !»
David n’hésite pas une seconde : «Soyez les bienvenus ! J’ai actuellement un monde fou dans nos installations hôtelières et sportives mais, comme mon regretté père, je serais heureux d’accueillir votre groupe !»
Rav Okinov est ravi de cette réponse chaleureuse. Bien vite, il contacte des jeunes étudiants de Yechiva et leur demande de l’accompagner pour le Minyane en mémoire du père de David, Israël. Ce dernier était affectueusement surnommé Izzy par ses proches et ses collaborateurs. C’était lui qui avait aménagé de ses propres mains cet immense domaine skiable et l’avait transformé en station de sports d’hiver très prisée des New-Yorkais.
A la mort d’Izzy, son fils David avait pris sa succession. Tous les matins, il arrivait à six heures, expliquait ses directives à ses employés et gèrait tout le travail. Mais quand nous arrivâmes dans son bureau, il se mit immédiatement à notre disposition avec le sourire – en laissant de côté toutes ses autres occupations.
Dans le chalet, nous avons aperçu un tableau sur lequel étaient suspendus tous les diplômes et titres honorifiques de Izzy. L’un d’entre eux lui avait été attribué par Rav Okinov pour le remercier de sa collaboration avec «Free».
Au deuxième étage se trouvait… une salle de prières, avec livres d’études : «Ainsi chaque Juif qui le désire peut venir prier ici» nous explique David en remarquant notre étonnement. «C’est mon père qui a tenu à établir un lieu de prières dès qu’il a ouvert ce domaine».
Quand le jeune David Okinov demanda à l’autre David de mettre les Téfilines, ce dernier hésita un instant puis accepta : il expliqua ensuite que tout ce dont il se souvenait de sa Bar Mitsva, c’était le Talit mais pas les Téfilines.
Rav Okinov en déduit immédiatement : «Si vous ne vous souvenez pas des Téfilines, c’est sans doute que vous avez fêté votre Bar Mitsva dans une synagogue libérale ; cela signifie que vous mettez les Téfilines aujourd’hui pour la première fois de votre vie…»
Un grand silence se fit.
David enleva les Téfilines et quelqu’un lui demanda, respectueusement : «Avez-vous jamais prié ?» Là, David s’anima : «Ah oui ! Je prie tous les jours pour qu’il neige et pour n’avoir pas besoin des canons à neige : le domaine est tellement immense !»
Et il revint sur les Téfilines : «De fait, j’avais toujours envie de faire quelque chose dans ce sens mais je n’en ai jamais eu la possibilité. Vous êtes vraiment des anges envoyés par D.ieu !»
Pour la prière du soir, il fit venir tous ses employés juifs. Stupéfaits, ceux-ci contemplèrent ce spectacle étonnant : leur patron entouré par neuf jeunes Loubavitch… «Comme à l’époque d’Izzy !» remarque l’un d’entre eux. En l’honneur du Yahrzeit de son père, David déboucha une bouteille de vodka, proposa des gâteaux secs et des cornichons. Les employés n’en revennaient pas : «Vous êtes venus exprès de New York – quatre heures de route ! – pour que David puisse réciter le Kaddich à la mémoire de son père ? Seuls les Loubavitch sont capables de cela !». La discussion se poursuivit sur les problèmes actuels des Juifs et du judaïsme. Avant de nous séparer, David nous serra la main avec émotion : «N’oubliez pas de prier pour la neige !»
Effectivement, quelques jours plus tard, David nous téléphona ; il criait presque de joie : «Il neige, il neige ! Vos prières ont aidé !»
* * *
A deux heures de là, nous avons visité la colonie de vacances de «Free». Les enfants originaires des pays de l’est avaient là l’occasion de vivre du matin au soir dans une atmosphère juive : pour certains d’entre eux, c’étaient la première fois qu’ils allumaient les lumières de ‘Hanouccah : «Moi je savais qu’il fallait les allumer car ma grand-mère, en Russie, nous avait raconté que son père les allumait, même quand le régime communiste envoyait pour cela des gens aux travaux forcés en Sibérie !»
En rentrant à New York, je me retournai pour contempler encore une fois les montagnes du Catskills en réfléchissant avec admiration : le même jour, un Juif âgé avait mis les Téfilines pour la première fois de sa vie et de jeunes enfants avaient eu un premier contact avec leur judaïsme.
Menachem Goren
‘Hadachot Chabad
traduit par Feiga Lubecki