Semaine 2

  • Bo
Editorial
Une vie juive

Notre temps aime les classifications faciles. C’est ainsi que certains affectent de mettre d’un côté ce qu’il est convenu d’appeler les choses de « religion » et d’un autre les affaires dites « civiles ». On crée ainsi des territoires bien définis, élevant des barrières intellectuelles qu’on espère infranchissables entre des domaines de la pensée humaine. Cette attitude a certes des origines socio-historiques compréhensibles. Cependant, appliquée au judaïsme, elle ne peut prévenir l’apparition d’une certaine gêne. Car celui-ci est aussi éloigné de la notion de religion qu’il peut l’être, par exemple, de celle d’idéologie.
De fait, l’idée de « religion » s’accompagne généralement de la vision de rites séculaires, de pratiques à sens mystiques, d’un spiritualisme pour qui le monde n’est jamais qu’un lieu d’hébergement transitoire. Si cela a des conséquences en termes sociaux, politiques ou économiques, ce n’est alors qu’à titre secondaire. L’action de la « religion » est, comme par nature, « ailleurs ». Certes, le judaïsme est également constitué d’un ensemble de pratiques codifiées et ce n’est pas en vain que l’on a souvent souligné l’importance de son ritualisme. Il est pourtant bien autre chose : un mode de vie construit et global, une façon de considérer le monde. Dans cette optique, l’acte « civil » est d’une portée aussi déterminante que l’action qu’on qualifiera de plus spécifiquement « religieuse ». Pourrait-il, du reste, en être autrement ? Si le judaïsme a pour ambition d’établir le lien entre l’homme et D.ieu, ramener sa mise en œuvre aux heures privilégiées du rite ou de l’étude reviendrait à en limiter l’application et, partant, l’importance. Inversement, si cette notion courre bien au cœur du judaïsme, elle doit trouver son expression à chaque heure du jour ou de la nuit, dans tous les domaines de l’activité humaine. En d’autres termes, la judaïté se vit pleinement avec la constance du bonheur et non avec les à-coups de l’incertitude.
Peut-être est-ce là, justement, la richesse de son message. La vie se construit de tout ce que l’homme en fait et le service divin est une manière de dire son développement harmonieux, comme une lumière qui, l’habitant profondément, lui confère chaleur et énergie. C’est dire qu’il revient à chacun de choisir une vie plus pleine et signifiante, au sens où chaque acte est porteur d’un élément essentiel qui le dépasse. C’est dire aussi que chaque action a la capacité de transformer profondément le monde qui lui sert de théâtre. Transformer le monde, pour tous les hommes : un projet d’avenir.
Etincelles de Machiah
Les enseignements de Machia’h

Le Midrach (Kohelet Rabba 11 : 8) avance une idée étonnante : « La Torah que l’homme étudie dans ce monde est insignifiante par rapport aux enseignements de Torah de Machia’h ». Pourtant, l’étude des textes, en notre temps, est un impératif clairement établi par la Torah elle-même !
Cela signifie que l’étude n’est aujourd’hui qu’une préparation à celle des temps futurs. En fait, étudier la Torah dans ce monde donnera à chacun le mérite d’étudier les enseignements de Machia’h.
(d’après Likoutei Si’hot, vol. XXI, p. 280) H.N.
Vivre avec la Paracha
BO : L’opposition et l’obscurité

La Paracha de cette semaine commence avec le commandement de D.ieu à Moché de « venir » chez le Pharaon et de lui ordonner de libérer les Juifs de l’esclavage.
Pourquoi D.ieu dit-il à Moché de «venir» chez le Pharaon et non d’y «aller»? Le Zohar répond à cette question en expliquant que l’aura et la force du Pharaon envahissaient Moché au point qu’il avait peur de pénétrer dans ses appartements. D.ieu prit alors la main de Moché et l’invita à se rendre (avec Lui) chez le Pharaon.

L’opposition de l’intérieur
Le Zohar enseigne également que la force de s’opposer à D.ieu vient étonnamment de D.ieu Lui-même. Nous, êtres humains, choisissons soit d’engager la force que nous a attribuée D.ieu à Son service, soit de nous opposer à Lui. L’opposition du Pharaon était intense. Pour y parvenir, il s’engageait de toutes ses forces dans une sphère très profonde de la force divine.
Dans ce sens, le mot hébreu pour Pharaon - "Paroh" - est traduit par "découvert" ce qui implique la force fondamentale de D.ieu pour révéler (découvrir) Sa lumière. La même force qui permet à D.ieu de découvrir Sa lumière Lui permet également de la couvrir, donnant à l’homme l’option de dénier Son existence. C’est précisément cette dernière possibilité que choisit le Pharaon.
Quand Moché entra chez lui, il fut envahi par une immense aura de Divinité, que personne d’autre, y compris le Pharaon, ne pouvait sentir. D.ieu prit alors sa main et l’invita a y pénétrer à nouveau. Cette invitation donna à Moché la force d’affronter le Pharaon et mena finalement aux trois dernières plaies qui agirent pour enclencher la libération des Juifs.

L’actualisation
Dans le service de D.ieu, des obstacles gigantesques se dressent souvent sur notre chemin. Pour en donner un simple exemple, il est fréquent qu’un employeur nous menace de renvoi ou ne nous engage pas si nous refusons de travailler le Chabbat, de participer aux repas professionnels etc.. Notre pratique des commandements de la Torah peut éloigner de nous bon nombre de nos amis. Pouvons-nous, à notre tour, faire face à ces défis et vivre courageusement en accord avec nos principes et nos valeurs? Qui sait? Cette attitude courageuse sera peut-être ce qui va enclencher notre propre délivrance !


La Kabbale sur l’obscurité
La neuvième des Dix Plaies d’Egypte fut la plaie de l’obscurité: «Nul ne put voir son frère, nul ne put non plus se lever de sa place, pendant trois jours; mais pour les Enfants d’Israël, il y eut de la lumière dans toutes leurs résidences» (Chemot 10:23)
La plaie physique de l’obscurité prend ses racines dans l’obscurité spirituelle, qui peut être définie comme une absence de la présence révélée de D.ieu. Dans une réflexion sur l’origine spirituelle de cette plaie, le Midrach cite deux opinions: Rabbi Nehemia enseignait que l’obscurité prenait sa source dans les régions du Guehinom (le « lieu » où, après la mort, l’homme est purifié des fautes commises). Quant à Rabbi Yehouda, il précisait qu’elle tirait son origine des sphères célestes.
La Hassidout explique la différence entre ces deux formes d’obscurité:
1. L’obscurité classique, associée au Guehinom, agit comme un rideau. Quand un rideau est tiré sur une fenêtre, il obstrue la lumière du soleil et laisse la pièce complètement dans le noir. C est là l’obscurité du Guehinom où la présence de D.ieu est complètement cachée.
2. L’obscurité céleste est primordiale; elle précède toute lumière. L’essence de D.ieu est au-delà de toute révélation. Quand Il choisit de Se révéler, Il irradie à l’extérieur, de sorte que cette lumière soit visible. Mais au-delà de cette lumière, règne toujours l’obscurité. C’est là le domaine de Son essence et l’essence ne requiert pas de lumière. Elle ne manque pas de luminosité car elle transcende toute lumière.

Au niveau humain
Ces deux formes d’obscurité spirituelle, quand elles sont vécues au niveau humain, suscitent deux réactions différentes. L’obscurité classique est le voilement de la lumière. Abandonné dans l’obscurité spirituelle, l’être humain aspire à la Divinité parce que sa situation aspire à la lumière.
L’obscurité céleste a des effets spirituels négatifs au niveau humain. C’est la transcendance de la lumière mais comme l’être humain ne transcende pas la lumière, il la ressent comme une satisfaction dans l’obscurité. Sujet à une telle satisfaction pendant une période de temps prolongée, il risque de perdre complètement le sens de la vertu de la Divinité.

L’aveuglement et l’immobilite
L’obscurité physique affecta les Egyptiens de deux manières. Tout d’abord, «personne ne put voir son frère» et «personne ne put se lever de sa place». Le Midrach enseigne que cette plaie dura six jours. Les trois premiers jours, les Egyptiens ne purent se voir mais ils étaient toujours capables de se lever et de se déplacer. Durant les trois derniers jours, l’obscurité s’intensifia au point de paralyser le moindre de leur mouvement.
Ces deux périodes de trois jours peuvent être considérées comme correspondant aux deux types d’obscurités dont on vient de parler. Durant les trois premiers jours, les Egyptiens vécurent l’obscurité classique où l’on se sent privé de la lumière à laquelle l’on aspire. Ils ne pouvaient voir «leur frère», «frère» étant une métaphore pour la lumière de D.ieu. Ils voulaient retenir cette lumière mais le noir les en empêchaient. Durant la seconde période, l’obscurité prit une forme céleste. Ils étaient satisfaits de l’obscurité, n aspiraient plus à voir leur frère, mais «ils ne pouvaient se lever de leur place». Leur « place » se réfère à leur satisfaction dans l’obscurité. Ils ne pouvaient plus dépasser ce contentement pour apprécier la valeur de la lumière de D.ieu.

Les deux antidotes
Que faisaient les Enfants d’Israël pendant que les Egyptiens étaient plongés dans l’obscurité?
Le Midrach cite les deux desseins que servit la plaie de l’obscurité:
1. De nombreux Juifs ne voulaient pas quitter l’Egypte. Aussi D.ieu décréta-t-Il qu’ils y mourraient. Les Egyptiens restèrent dans l’ignorance de ce fait qui se produisit dans l’obscurité.
2 L’obscurité donna l’occasion aux Juifs de circuler dans les maisons égyptiennes afin de repérer les objets précieux qu’ils emprunteraient plus tard. Quand ils demanderaient aux Egyptiens de les leur prêter, ces derniers ne pourraient nier les posséder, les Hébreux leur indiquant l’endroit où ils étaient cachés.
Selon l’un des commentateurs, les deux raisons sont valides. Pendant les trois premiers jours, les Juifs enterrèrent leurs morts et durant les trois derniers, ils explorèrent les maisons égyptiennes.
A un niveau métaphorique, ces deux activités constituent les antidotes aux deux formes d’obscurités évoquées:
1. L’antidote à l’obscurité qui voile la lumière est d’ouvrir le rideau et de pénétrer dans la lumière. Durant les trois premiers jours, alors que les Egyptiens aspiraient à la clarté, les Juifs y pénétrèrent. Ils distinguaient clairement l’obscurité de la lumière et les justes des impies. Ils comprirent pourquoi leurs frères étaient morts et se hâtèrent de les enterrer pour enlever toutes traces d’impiété parmi eux.
2. L’antidote à l’obscurité qui se satisfait d’elle-même est de regarder dans le noir et d’identifier son origine divine: reconnaître que la satisfaction de l’homme sans lumière est un reflet du fait que Son créateur transcende la lumière. Durant la seconde période de trois jours, alors que les Egyptiens restaient sur place, satisfaits de l’obscurité, les Juifs regardèrent dans les lieux secrets et découvrirent des trésors en or et en argent. Selon la Kabbale, ces deux métaux représentent l’amour de D.ieu. Les Juifs cherchèrent dans l’obscurité et découvrirent leur amour pour leurs racines divines cachées.
Le Coin de la Halacha
Qu’est-ce que le « Modé Ani » ?

La prière Modé Ani est la première phrase que l’on récite dès qu’on se réveille, avant même de se laver les mains rituellement.
Modé Ani Lefane’ha Mélè’h ‘Hay Vekayame Chéhé’hézarta Bi Nichmati Be’hemla ; Raba Emounaté’ha.
«Je Te remercie, Roi Vivant et éternel, car Tu as rendu en moi mon âme avec miséricorde ; grande est Ta confiance.»
La coutume ‘hassidique est de réciter cette phrase en baissant la tête vers la gauche et en la posant sur la main droite, elle-même jointe à la main gauche.
On habitue les enfants, dès leur plus jeune âge, à réciter le Modé Ani et ainsi à se rendre compte que D.ieu se tient près de lui. Ainsi, ils se lèveront avec empressement et seront conscients toute la journée de la présence de D.ieu.
Cette prière ne comporte pas le Nom de D.ieu et c’est pourquoi il est possible de la réciter avant même de s’être lavé les mains et de s’être rincé la bouche.
(La prière de Modé Ani est longuement expliquée par le Rabbi dans le livre : «Inyana Chel Torat Ha’hassidout» publié en 1956).
Le fait de remercier D.ieu pour tout le bien qu’Il nous accorde – même dans le cadre de notre exil – nous rapproche du bien véritable et infini qui règnera avec l’arrivée de Machia’h.

F. L.
De Recit de la Semaine
«Rabbi ! Parnassa !»

Il y a deux ans, mon mari observait les sept jours de deuil pour sa mère à Lakewood. Après Cha’harit (la prière du matin), un vieux monsieur s’approcha de lui et lui dit : «Je vois que vous êtes un ‘Hassid de Loubavitch. Puis-je vous raconter ce qui m’est arrivé avec le précédent Rabbi, Rabbi Yossef Its’hak ?»
Bien entendu, mon mari ne demandait pas mieux.
«Je m’appelle Mordechai G. Je suis né en Hongrie, et, avec mes parents, j’ai habité à Mounkatch. Bien qu’il ne s’y trouvât pas de ‘Hassidim de Loubavitch, je connaissais et respectais ce mouvement car notre Rabbi, le saint Rabbi de Mounkatch – avait un très grand respect pour Rabbi Chnéour Zalman, l’auteur du Tanya et du Choul’hane Arou’h Harav ainsi que pour les Rebbeim qui lui avaient succédé.
J’ai vécu la Shoah et toutes ses horreurs, j’ai survécu à Auschwitz. Après la guerre, je me suis retrouvé dans un camp de Personnes Déplacées, je me suis marié et j’ai eu un enfant. En 1949, grâce aux services du HIAS, j’ai réussi à me rendre aux Etats-Unis. On nous donna une chambre dans un hôtel de Manhattan, comme à plusieurs autres familles juives venues d’Europe de l’Est. Nous étions heureux d’être enfin arrivés dans «le pays en or» dont nos oreilles avaient été bercées durant notre enfance mais tout était très difficile pour nous : comme nous ne connaissions pas l’anglais, nous avions beaucoup de mal à trouver un travail. Les mois passèrent mais je n’en trouvai toujours pas.
Chaque matin, le quotidien édité en yiddish était distribué à la porte de notre chambre. Un dimanche matin, le 11 Chevat, les gros titres annoncèrent le décès du Rabbi Yossef Its’hak de Loubavitch : la levée de corps se ferait à Brooklyn, devant le 770 Eastern Parkway. Je décidai de m’y rendre avec un de mes compagnons d’hôtel. Nous n’avions absolument pas d’argent mais nous avons demandé à plusieurs personnes et finalement quelqu’un nous donna de quoi prendre un taxi.
Quand nous sommes arrivés au 770, il y avait là une foule immense. Par haut-parleur, quelqu’un annonça que seuls ceux qui s’étaient trempés le matin même au Mikvé (bain rituel) seraient autorisés à toucher le «Arone», le cercueil. Non, je ne m’étais pas trempé au Mikvé, mais j’ai néanmoins poussé comme tout le monde et j’ai pu m’approcher du «Arone». Quelqu’un m’arrêta et me demanda si je m’étais rendu au Mikvé le matin. Je relevai alors ma manche et montrai le numéro tatoué sur mon avant-bras par les Nazis, quand j’étais arrivé dans le camp d’extermination : «Je ne me suis pas trempé au Mikvé ce matin, mais je me suis purifié par le feu !». Pétrifié, il s’écarta pour me laisser passer. Quand je parvins à toucher le «Arone», je murmurai deux mots : «Rabbi ! Parnassa ! («un travail !)». Je réussis même à porter le «Arone» sur quelques pas et je n’arrêtai pas de murmurer ces deux mots, comme une véritable obsession : «Rabbi ! Parnassa !»
Je réussis à me rendre au cimetière à Queens et, tout en me poussant continuellement (après tout, je suis aussi un ‘Hassid), je parvins à me rendre vraiment sur le site de l’inhumation et à verser quelques pelletées de terre selon la tradition. A chaque fois que je jetais de la terre, je murmurai comme une litanie : «Rabbi ! Parnassa !»
Puis je me rendis vers une voiture, une deuxième, une troisième pour éventuellement trouver quelqu’un qui puisse me ramener à Manhattan. Finalement, j’entendis deux hommes parler en yiddish – la langue que je comprenais – et je leur dis que je cherchais du travail. L’un des deux répondit qu’il ne se rendait pas à Manhattan mais il me tendit sa carte de visite en disant : «Rendez-vous à cet endroit demain matin et vous trouverez du travail !»
D’une manière ou d’une autre, je réussis à retourner à l’hôtel et, le lendemain, à me rendre à ce nouveau travail. J’y fus employé jusqu’à ma retraite… !
Par contre, mes compagnons restés à l’hôtel eurent beaucoup de mal à trouver du travail et passèrent encore de longs mois au chômage !…
Comme le dit le Zohar : «Les Tsaddikim ont une influence bénéfique même après cent vingt ans, encore davantage que de leur vivant… !»

Mme Silberberg – West Bloomfield (U.S.A.)
« Shmais »
traduit par Feiga Lubecki