Semaine 22

  • Bamidbar
Editorial
En attendant

Les hommes n’ont pas toujours le sens de l’attente. C’est là une réalité dont chacun peut faire l’expérience quotidienne: notre société n’est-elle pas celle de l’urgence? Urgence des réponses à donner, urgence du travail à faire, tout cela nous emporte parfois dans une déferlante de futilités dont on peut avoir peine à s’abstraire. Tout se passe comme si ce qui est aujourd’hui perçu par beaucoup comme une nécessaire immédiateté n’avait finalement pas d’autre objet que de nous faire oublier le sens et l’importance des choses qui comptent.
Il existe cependant différents types d’attente. Certaines sont stériles; elles ne valent guère mieux qu’une sorte de couloir gris et morne qui s’étendrait entre deux lieux de vie. Certes, de telles attentes ne sont guère enviables et leur vacuité même fait souvent que le point d’arrivée est aussi décevant que le voyage était ennuyeux. Ce n’est pas de ces attentes-là qu’il peut être question pour nous mais bien d’une attente dynamique, frémissante de préparatifs, pétrie d’impatience, passage nécessaire pour un aboutissement lumineux.
C’est ce type d’attente que nous vivons actuellement, jour après jour. Voici, en effet, que la fête de Chavouot se présente déjà à l’horizon du calendrier. Voici que, très bientôt, elle sera parmi nous, nous portant à un autre plan de conscience et d’union avec D.ieu. Voici que nous attendons cet instant avec ardeur depuis plusieurs semaines et qu’au fil du décompte de l’Omer nous avons manifesté, avec notre souci d’élévation progressive, notre impatience grandissante. Cette attente-là a été fructueuse. Elle nous a permis de raffiner chaque composante de notre personnalité afin que le don de la Torah soit, pour chacun de nous, un événement que nous vivrons de toutes les forces de notre être.
Chacun a su ressentir cette attente et a accompli l’œuvre attendue. Chacun sait que le chemin qui s’étend encore devant nous a, à la fois, la brièveté du temps qui passe et la longueur de ce qui reste à faire. Mais chacun sait aussi qu’au grand rendez-vous de Chavouot, personne ne manquera et qu’à la Lumière d’en-Haut répondra celle des hommes.
Etincelles de Machiah
Retirer le cœur de pierre

Décrivant le temps de Machia’h, le prophète Ezéchiel (36: 26) annonce: “Et Je retirerai le cœur de pierre de votre chair”. L’idée du verset semble évidente: aujourd’hui, notre cœur ne ressent pas, à l’instar d’un cœur de pierre, lorsque Machia’h viendra, cela sera réparé.
Cependant, pourquoi parler d’un cœur de pierre” et non d’un “cerveau de pierre” qui ne comprend pas ? En fait, en ce qui concerne la compréhension, chacun doit faire effort par lui-même. C’est précisément grâce à cet effort personnel que le “cœur de pierre” sera retiré par D.ieu.
(d'après Séfer Hasi'hot 5748, vol. I, p. 311) H.N.
Vivre avec la Paracha
Bamidbar :
Dans le désert

Deux montagnes occupent une place prééminente dans l’histoire juive: le Mont Sinaï sur lequel nous reçûmes la Torah et le Mont Moriah, également connu sous le nom de Mont du Temple, qui représente le lieu ultime du service humain du Créateur. Le premier s’élève dans un désert nu, quant au second, il est au cœur de Jérusalem.
Nos Sages expliquent que la Torah fut donnée dans le désert pour mettre l’accent sur le fait qu’elle est accessible à tous. Le monde civilisé se divise en “zones” ayant chacune des niveaux d’exclusivité particuliers: les passages publics, des zones réservées à certains groupes spécifiques (citoyens du pays, membres du club etc.), des maisons privées. Il y a les villes ouvertes, les villes fortes, les capitales. Le Mont du temple représente l’apothéose d’une telle hiérarchie de l’espace: nos Sages comptent dix “cercles” géographiques, chacun comprenant un domaine de sainteté ou de restriction plus grandes, depuis les bords de la Terre Sainte jusqu’à la pièce la plus intérieure, le Saint des Saints. Cela exprime l’idée que le chemin menant de l’homme vers D.ieu consiste en de nombreux niveaux par lesquels une personne doit passer avant de pouvoir continuer.
Le Mont Sinaï, par ailleurs, qui s’élève dans le désert représente un sommet accessible à tous: la Torah est offerte à tout un chacun, tout comme le désert n’a ni propriétaire ni zone privée. Cela est également évoqué par le fait que la Paracha Bamidbar (“dans le désert”) est toujours lue avant la fête de Chavouot qui marque le jour où nous reçûmes la Torah, mettant à nouveau l’accent sur le fait qu’elle est aussi “accessible que le désert, à tous les habitants de la terre”.
Une autre leçon que nous offre le désert sans limite est que la véritable maîtrise de la Torah requiert le Messirat Néfèch, un engagement et un sacrifice sans équivoque. Dans chaque domaine, il existe des frontières qui indiquent jusqu’où l’on peut aller. Le Messirat Néfèch signifie que l’on ne reconnaît pas de frontières à ses capacités, ou d’obstacles qu’on l’on n’est pas “censé” surmonter. Selon les mots du Midrach, “celui qui ne s’abandonne pas comme s’il était un désert, ne peut acquérir la Torah”.

Le camp
La Torah fut donnée dans le désert. Mais où exactement dans le désert ? Le Talmud cite deux versions de la manière et du lieu où survint la transmission de la sagesse divine à l’homme.
Toutes deux tombent d’accord pour dire que “les principes généraux” de la Torah furent révélés au Mont Sinaï (sous la forme des Dix Commandements et de la communication à Moché pendant les 40 jours qu’il passa sur la montagne). En ce qui concerne les détails de la Torah, Rabbi Yichmaël est de l’opinion qu’ils furent communiqués à Moché dans le Michkan, le sanctuaire portable que le Peuple Juif érigeait à chacune de ses 42 étapes dans le désert. Rabbi Akiva n’est pas d’accord, soutenant que “les principes généraux et tous les détails de toutes les lois furent enseignés au Sinaï”.
Le Michkan était le précurseur du Temple. Il constituait l’épicentre du camp israélite, le plus intérieur d’une série de périmètres qui marquaient successivement des domaines plus saints comme le serait le Temple sur le Mont Moriah. Le Michkan (consistant en un “Saint des Saints, un sanctuaire moins limité d’accès et une cour extérieure) était entouré par le camp des Léviim, qui était à son tour encerclé par les campements des douze tribus d’Israël. En d’autres termes, le camp israélite avec le Sanctuaire en son cœur représente la “civilisation” du désert dans un espace structuré, divisé en zones, elles-mêmes catégorisées par leur fonction, leur sainteté et leurs limites.
A la lumière de ce qui précède, nous pouvons comprendre le sens plus profond de la dissension entre Rabbi Yichmaël et Rabbi Akiva. Alors que tous deux sont d’accord sur le fait que la Torah fut donnée dans le désert, c'est-à-dire qu’elle est ouverte à tous et qu’elle doit être abordée dans un esprit de Messirat Néfèch, Rabbi Yichmaël le voit comme la qualité élémentaire “générale” de la Torah qui doit être suivie d’une étude structurée de ses détails Pour lui, le Messirat Néfèch doit exister dans l’arrière-plan mais la véritable poursuite de la Torah doit être “civilisée” et balisée par les mêmes lois et frontières que celles qui s’appliquent à chaque entreprise sainte.
Néanmoins, Rabbi Akiva soutient qu’à la fois “les principes généraux et les détails de toutes les lois furent prononcés au Sinaï”, que l’universalisme de la Torah imprègne tous ses domaines et que l’abandon de soi à son étude doit être total et tout embraser. La Torah, pour Rabbi Akiva, est toute désert: un terrain ouvert de Messirat Néfèch sans aucune restriction.

Le parfait et le passionné
Ces deux perspectives de la Torah trouvent leur reflet dans la vie de chacun des protagonistes. Rabbi Yichmaël fut un érudit durant toute sa vie et un Cohen Gadol (Grand Prêtre). Rabbi Akiva était le descendant de convertis au Judaïsme et jusqu’à sa quarantième année, un berger ignorant qui, selon ses propres dires, éprouvait une haine immense à l’égard des érudits en Torah. Ainsi Rabbi Yichmaël et Rabbi Akiva représentent-ils les chemins respectifs du Tsaddik, le juste parfait qui suit le programme de toute sa vie pour développer le bien en lui et dans le monde, et du Baal Techouvah, qui se projette des profondeurs de l’iniquité jusqu’aux hauteurs de ses accomplissements. La route du Tsaddik est ordonnée et sans surprise; pas à pas, il monte les marches de la Torah pour accroître sa connaissance de D.ieu et son union avec Lui. La vie du Baal Techouvah implique des chutes brutales et des montées météoriques. Le Tsaddik intériorise son Messirat Néfèch et construit par-dessus une civilisation sainte; le Baal Techouvah l’agite pour parvenir à une vie pleine d’enthousiasme.
Ces deux approches à la Torah doivent être adaptées et adoptées, combinant la perfection ordonnée de Rabbi Yichmaël à la force et la passion de Rabbi Akiva.
Le Coin de la Halacha
Qu’est-ce que la “ Bénédiction des Cohanim ? ”

Les Cohanim, descendants d’Aharon (le frère de Moïse) ont reçu l’ordre de bénir, avec amour, le peuple juif. En Israël, cela s’effectue chaque jour, après la “Amida” du matin. En dehors d’Israël, ceci n’a lieu que lors des jours de fête, “Yom Tov”, après la prière de Moussaf.
En présence d’au moins dix Juifs (les Cohanim compris), l’officiant invite les Cohanim à bénir l’assemblée. Auparavant, ils auront retiré leurs chaussures et les Léviim (descendants de la tribu de Lévi) leur auront lavé rituellement les mains, comme cela se passait dans le Temple.
Un Cohen qui a déjà prononcé les bénédictions dans une synagogue, peut les prononcer à nouveau dans une autre synagogue.
Pour bénéficier de la bénédiction des Cohanim, les fidèles si possible debouts, doivent se trouver devant eux ou de côté, mais non derrière eux. Tous les Cohanim présents prononcent la bénédiction ensemble. L’assemblée répond “Amen” après la bénédiction puis après chaque verset. On ne regarde pas les Cohanim pendant qu’ils prononcent les bénédictions: les hommes se couvrent donc le visage avec le grand Talit, les enfants restent avec leur père sous le Talit et les femmes et jeunes filles regardent par terre ou dans leur livre de prières.
Pendant que l’officiant chante les trois derniers mots et avant que les Cohanim ne les répètent, on dit à voix basse la prière pour que soient annulés les mauvais rêves et que se réalisent les bons rêves.

F. L. (d’après Rav E. Wenger)
De Recit de la Semaine
PAR LE MERITE DE L’AÏEUL

Rav Gavriel Yossef est un ‘Hassid de Viznitz qui habite à Monsey, non loin de New York. C’est un descendant de Rabbi Israël Baal Chem Tov.
Au mois de février 2002, il partit en voyage organisé à Lyzensk en Pologne pour se recueillir sur la tombe de Rabbi Eliméle’h. Puis, tout seul, il se rendit en Russie pour se recueillir dans d’autres cimetières avant de rejoindre son groupe dans la ville de Viznitz.
Le vendredi 25 Adar, au matin, Rav Gavriel Yossef arriva à Berditchev: au cimetière, il pria près de la tombe de Rabbi Lévi Its’hak. A trois heures du matin, il reprit la route dans un taxi en direction de Zitomir.
Après la prière du matin, il se prépara pour le long voyage de retour, environ 350 kms, vers Viznitz, où il espérait arriver à temps afin de passer Chabbat avec ses compagnons. Alors qu’il était déjà arrivé dans la région de Kaménitz Podolsk, il fut arrêté à un barrage. Un policier fit comprendre à Rav Gavriel Yossef qu’il devait sortir de la voiture et le suivre dans un bâtiment administratif, ce qu’il fit. Au début Rav Gavriel Yossef pensait qu’il s’agissait d’un poste de police local et même quand il constata que le bâtiment n’avait rien d’officiel, il se dit que c’était ainsi que les choses se passaient en Ukraine.
Le policier examina son passeport et lui posa toutes sortes de questions, certaines sans aucun rapport avec les règles de la circulation ou les lois internationales. Par chance, le policier parlait anglais, ce qui facilitait bien entendu la conversation.
Soudain, le policier saisit un pistolet. C’est alors seulement que Rav Gavriel Yossef comprit qu’il n’avait pas affaire à un policier mais à un brigand !
“L’argent !” hurla le “policier”.
Rav Gavriel Yossef sortit de ses poches tout l’argent qu’il avait emporté pour la poursuite de son voyage.
Il espérait ainsi être quitte mais le brigand avait d’autres plans.
“Si je vous libère, vous allez me dénoncer ! dit-il. Il ne vous reste qu’une minute à vivre. Priez et préparez-vous à abandonner cette vie avant que je vous tire une balle dans la tête !” dit-il sèchement.
Une sueur froide recouvrit Rav Gavriel Yossef. Tremblant comme une feuille, il tenta d’expliquer qu’il n’habitait pas la région et ne risquait pas d’aller se plaindre auprès des autorités, il n’en avait d’ailleurs pas le temps etc… Mais le tueur ne se laissa pas impressionner. Rav Gavriel Yossef le supplia:
“Vous avez l’argent. A quoi vous servirait ma vie ? J’ai douze enfants, trente petits-enfants ! Ayez pitié d’eux !”
Le brigand était inflexible: “Il ne vous reste qu’une demi-minute !”
Rav Gavriel Yossef lui proposa alors d’autres objets de valeur qui se trouvaient dans la voiture mais le bandit n’en avait cure: de toute manière, les biens de sa victime lui étaient déjà acquis.
Soudain Rav Gavriel Yossef se souvint que, lors du voyage, il avait écouté un cours de Torah sur cassette audio: la personne qui donnait des cours avait raconté que, lorsqu’on se trouve en danger, il est recommandé de mentionner le nom de Rabbi Israël Baal Chem Tov: “Israël Ben Eliézer VeSarah !”. C’est donc ce qu’il fit immédiatement, encore et encore, tout en suppliant le “policier” de le laisser en vie.
Celui-ci dirigea son arme vers le front de Rav Gavriel Yossef. Avant qu’il ne tire, Rav Gavriel Yossef tenta encore une fois de l’amadouer: “Faites-moi suivre par un de vos hommes pour vous assurer que je me rends directement à Medziboz et que je ne vais pas porter plainte à la police !”. Il avait voulu dire “Viznitz” mais sans y faire attention et parce qu’il n’avait pas arrêté de penser au Baal Chem Tov, il avait dit: “Medziboz”, qui était justement la ville de Rabbi Israël Baal Chem Tov.
C’est alors que le brigand se calma: “Vous avez dit: Medziboz ?” dit-il en baissant son pistolet. “Qu’allez-vous faire à Medziboz ?”
Rav Gavriel Yossef ne voulut pas se reprendre de peur de perdre la confiance de son interlocuteur.
“A Medziboz est enterré un grand Sage dont je suis le descendant; je désire prier près de sa tombe”.
L’Ukrainien le regarda droit dans les yeux. “Votre grand-père s’appelle-t-il le Baal Chem Tov ?” demanda-t-il d’une voix étranglée.
“Oui” répondit Rav Gavriel Yossef, de plus en plus étonné: en effet, comment ce non-Juif, ce tueur potentiel, connaissait-il le Baal Chem Tov au point qu’il prononçait son nom sans l’écorcher ?
Il avait maintenant posé le pistolet sur la table. Il sortit de sa poche les billets qu’il avait volés et les rendit à Rav Gavriel Yossef.
“En ce qui me concerne, vous êtes libre de vous rendre à Medziboz !”
Rav Gavriel Yossef était stupéfait.
“Savez-vous pourquoi j’ai brusquement changé d’avis ? demanda l’Ukrainien. Quand mon grand-père était encore en vie, il me parlait souvent d’un grand Sage juif, le Baal Chem Tov. Il disait que cet homme pouvait réaliser des miracles. Il m’avait même fait promettre de ne jamais faire de mal à l’un de ses descendants… !”
Le temps passait: Rav Gavriel Yossef calcula qu’il n’avait plus le temps d’arriver à Viznitz avant Chabbat. Il reprit son taxi et indiqua au chauffeur la direction: “Medziboz” !
Il passa la journée du Chabbat seul, en compagnie – si l’on peut dire – de son défunt aïeul. Ce fut une journée mémorable durant laquelle il ressentit une inspiration spirituelle incomparable: il put se remettre du choc et remercier D.ieu pour le grand miracle qu’Il avait réalisé par le mérite de son aïeul dont le nom était même connu d’un tueur ukrainien.

Traduit par Feiga Lubecki