Semaine 20

  • Bamidbar
Editorial
Marée noire

Au large – et de plus en plus près – des côtes américaines, l’eau bleue est devenue noire. Certes, chacun le dira une fois de plus, la nature est fragile. D.ieu n’a-t-il pas donné pour fonction à l’homme « de la travailler et de la protéger » ? Il y a quelque chose de profondément bouleversant, au-delà de la réelle catastrophe, à voir ainsi se transformer un cadre de vie habituel. On s’était accoutumé à avoir, en ce lieu, le bonheur de la beauté ; voici qu’une épaisse noirceur le recouvre. On avait pu croire que l’homme était assez sage – ou assez maître de sa propre technologie – pour ne pas détruire ces cadeaux simples et merveilleux : une mer bleue, des arbres verts, des animaux vivants…
Malheureusement, le noir peut se répandre ailleurs que sur les écosystèmes fragiles. Il est aussi capable d’envahir les consciences, de susciter un monde où nul ne souhaite vivre. Quand la barbarie, sous toutes ses formes, entreprend de frapper au cœur des villes dans le seul souci de tuer et détruire, quand elle s’attaque à des hommes qui marchent insouciants dans les rues parce qu’ils portent Kippa, quand elle manifeste son rejet de tout ce qui fait la civilisation, c’est encore une « marée noire » qui monte. La vision pourrait en être aussi désespérante que celle de la nappe s’avançant pour éteindre toute chose vivante sur des côtes paradisiaques. Dans ce dernier cas, cependant, chacun sait que tout est mis en œuvre pour empêcher l’expansion de la noirceur et, à tout le moins, pour que cela ne se reproduise jamais. Tout se passe comme si une « marée noire » matérielle, parce que par nature plus concrète et circonscrite, était plus évidente à maîtriser qu’une marée de l’autre type. Que faire donc face à celle-ci ?
Le peuple juif a connu, au cours de sa longue histoire, bien des situations. Il a dû affronter l’hostilité, l’incompréhension voire ces sollicitudes suspectes à qui sait en comprendre les raisons. A chaque fois, comme un combattant aguerri par les menaces multiples, il a établi les barrages nécessaires. Devant la montée des périls, devant le recul apparent des « eaux bleues », il trouve les moyens à mettre en œuvre. Ce sont ceux de la civilisation des homme, tant il est vrai que ce que les barbares supportent le moins, c’est l’échec de leur dessein. Le combat ici n’est plus conventionnel et ses armes sont la fidélité à soi, la conscience, la recherche de la connaissance. Cela s’appelle le judaïsme vivant et il porte en lui le secret de la plus belle des victoires : celle de l’esprit et de l’âme.
Etincelles de Machiah
L’importance de la Tsédaka

Nos Sages enseignent (traité talmudique Chabbat 139a) «Israël sera libéré par la Tsédaka». Ils soulignent ainsi que l’action de charité est déterminante particulièrement en un temps où la venue de Machia’h se rapproche. C’est précisément cette idée qui demande explication.
A ce propos, il nous est précisé qu’en cette période pré-messianique, «La Soucca de David (c’est-à-dire la Présence Divine) est tombée» jusqu’au niveau défini comme celui des «pieds» et des «talons», c’est-à-dire jusqu’au niveau de notre monde matériel, justement celui de l’action.
C’est pour cette raison que le dernier effort à faire porte sur un domaine où l’action est irremplaçable, celui de la Tsédaka.
De plus, le second Beth Hamikdach a été détruit à cause d’une haine injustifiée qui séparait les hommes (traité talmudique Yoma 9b). C’est donc par l’attitude inverse, celle de la Tsédaka, que cela sera réparé et qu’enfin la Délivrance interviendra.
(D’après Migola Légueoula) H.N.
Vivre avec la Paracha
Bamidbar : Les femmes ne comptent-elles pas ?

La Paracha Bamidbar commence par un recensement du Peuple Juif :
«…un compte d’une tête par chaque homme selon le nombre de leurs noms. A partie de l’âge de vingt ans et au-delà, tous ceux qui sont aptes à partir à l’armée en Israël, tu les compteras selon leur légion.»
La simple raison de ce recensement était de compter ceux qui pourraient être appelés à partir en guerre. Mais à un niveau plus profond, nos Sages avancent que D.ieu désirait ce recensement du Peuple Juif parce qu’Il le chérit.
Les Maîtres de la ‘Hassidout expliquent que le décompte du Peuple Juif démontre la valeur de chaque individu, montre à quel point chacun de ses membres est cher à D.ieu. Chacun était compté, quel que soit son niveau d’observance, ses aptitudes et ses talents, son niveau d’érudition ou sa richesse. A chaque individu était démontré qu’il compte tout autant que l’autre. Quels que soient les facteurs extérieurs, il lui était exposé que D.ieu considère sa valeur essentielle comme un trésor. Plus encore, en mettant l’accent sur son identité individuelle, chacun prenait la force de respecter son individualité propre et de rester vrai.
Néanmoins, à cette étape de notre réflexion, la question se pose de savoir pourquoi une large part du Peuple Juif était complètement exclue de ce compte. Seuls les hommes étaient recensés et seulement à partir de vingt ans. Y avait-il donc malgré tout une forme d’inégalité ? Pourquoi la contribution de la population féminine n’aurait-elle pas été chérie par D.ieu ?
Les Cabalistes expliquent que la force masculine, dans la création, agit à l’extérieur alors que la force féminine agit à l’intérieur. Le service spirituel de l’homme consiste à pénétrer à l’extérieur, dans un territoire étranger, à mener la guerre contre la négativité de notre monde. Le rôle spirituel de la femme, par contre, vise à protéger, nourrir, découvrir et révéler la divinité à l’intérieur de la nature.
Nous vivons selon un mode masculin quand nous sortons de nous-mêmes pour imposer une vérité supérieure au monde et à nous-mêmes. Quand nous cherchons à nourrir la force divine dans ce qui existe déjà et sensibilisons notre essence intérieure, nous utilisons notre dynamique féminine.
Le recensement du Peuple Juif concernait les hommes à partir de vingt ans, ceux qui étaient suffisamment mûrs, physiquement, émotionnellement et spirituellement, pour sortir au combat.
Mais que veut dire «sortir au combat», au sens spirituel ?
Notre tâche, en tant qu’êtres humains est de créer un monde qui soit une demeure pour notre Créateur, compatible avec Ses valeurs et Son éthique, un monde saint. Nous pouvons agir dans ce sens selon deux modalités.
D’une part, nous apportons plus de Divinité dans notre monde en nous battant contre l’obscurité et le mal qui nous entourent. Nous vainquons la négativité terrestre en l’assaillant de manière «agressive» avec de la force physique, en menant littéralement la guerre contre la tyrannie des régimes cruels ou par des batailles idéologiques contre des idéaux sans moralité.
L’autre mode consiste à renforcer, cultiver et nourrir la positivité déjà inhérente à la création de D.ieu. Il ne s’agit pas ici de faire la guerre ou d’imposer un ordre mais plutôt de découvrir et de nourrir le positif et les aspects divins dans notre monde et ainsi d’augmenter et de disséminer la sainteté.
La première méthode nous met en danger en nous exposant aux atteintes des éléments extérieurs, la seconde implique que l’on protège et que l’on conserve les précieux éléments divins présents dans notre vie et dans le monde.
Ces deux approches sont nécessaires et chacune joue un rôle entier dans le plan divin. En certaines occasions, nous devons nous lancer dans un combat extérieur et en d’autres, nous devons sauvegarder nos trésors intérieurs.
La seconde approche requiert des talents raffinés et une sensibilité spirituelle. La première, implique le fait de prendre des risques et de s’exposer au danger. Pour se battre contre les forces extérieures, il faut non seulement recevoir un entraînement adéquat mais aussi posséder un profond sens de l’identité et une appréciation réelle de sa propre spécificité et de son mérite en tant qu’individu.
Le recensement de cette Paracha s’adressait à des hommes dont la mission serait de «sortir» et «mener une guerre». Ces hommes qui allaient combattre à l’extérieur avaient davantage besoin de cet encouragement que les femmes concentrées vers l’intérieur. En plein combat contre des valeurs étrangères, dans un environnement inconnu tentant constamment d’éradiquer les idéaux et les objectifs, ce rappel était nécessaire pour que le guerrier reste concentré, sur le qui-vive et ne soit pas avalé par les normes environnantes.
Peut-être est-ce la raison pour laquelle seuls les hommes furent recensés. D.ieu donne une force supplémentaire à ceux qui sont exposés et vulnérables dans un combat contre les forces de la création négatives et Il n’a pas besoin de le faire pour les femmes dont l’estime de soi est constamment validée par le rôle de sauvegarde des trésors intérieurs.
Cela n’implique pas que la tâche des femmes soit plus simple ou demande moins d’elles. Bien au contraire, leur rôle était et est toujours essentiel. Mais leurs défis sont différents et elles n’ont pas besoin que leur valeur soit renforcée.
Leur mérite intérieur, qu’elles gardaient si précieusement pour elles-mêmes et leur famille, leur était évident et jamais remis en cause.
Le Coin de la Halacha
Qu’est-ce que la « Bénédiction des Cohanim ? »

Les Cohanim, descendants d’Aharon (le frère de Moché, Moïse) ont reçu l’ordre de bénir, avec amour, le peuple juif. En Israël, cela s’effectue chaque jour, après la « Amida » du matin. En-dehors d’Israël, ceci n’a lieu que lors des jours de fête, « Yom Tov », après la prière de Moussaf.
En présence d’au moins dix Juifs (les Cohanim compris), l’officiant invite les Cohanim à bénir l’assemblée. Auparavant, ils auront retiré leurs chaussures et les Leviim (descendants de la tribu de Lévi) leur auront lavé rituellement les mains, comme cela se passait dans le Temple.
Un Cohen qui a déjà prononcé les bénédictions dans une synagogue, peut les prononcer à nouveau dans une autre synagogue.
Pour bénéficier de la bénédiction des Cohanim, les fidèles si possible debout, doivent se trouver devant eux ou de côté, mais non derrière eux. Tous les Cohanim présents prononcent la bénédiction ensemble. L’assemblée répond « Amen » après la bénédiction puis après chaque verset. On ne regarde pas les Cohanim pendant qu’ils prononcent les bénédictions : les hommes se couvrent donc le visage avec le grand Talit, les enfants restent avec leur père sous le Talit et les femmes et jeunes filles regardent par terre ou dans leur livre de prières.
Pendant que l’officiant chante les trois derniers mots et avant que les Cohanim ne les répètent, on dit à voix basse la prière pour que soient annulés les mauvais rêves et que se réalisent les bons rêves.

F. L. (d’après Rav E. Wenger)
De Recit de la Semaine
Le vendeur de meubles

Ma fille Dvorah allait se marier dans une semaine et nous avions encore beaucoup de courses de dernière minute à effectuer pour son nouvel appartement.
Nous avions épluché les catalogues, guetté les soldes, bref nous avions repéré un magasin avec un vendeur sympathique, patient, professionnel et doué d’un solide sens de l’humour. Peter – c’était son nom bien que ses collègues l’aient affublé du surnom Cookie – qui était Portoricain. Nous avions jeté notre dévolu sur un canapé et une table avec six chaises. Il nous proposait un prix abordable mais nous désirions encore fouiner ailleurs. Il nous tendit alors sa carte de visite avec son adresse e-mail et le numéro de son portable : «Appelez-moi quand vous serez décidées !»
Une fois que nous nous sommes décidées, Peter avait déjà quitté le magasin. Mais quand nous lui avons téléphoné, il a gentiment accepté de revenir et de rouvrir spécialement pour nous, bien qu’il devait se rendre à une réunion de famille ce soir-là.
Peter écrivit le bon de commande mais, avant que nous n’apposions notre signature, j’insistai : «Peter ! Vous avez deviné que nous n’avons pas vraiment l’habitude d’acheter des meubles. De fait, nous sommes plutôt naïves : êtes-vous réellement en train de nous faire réaliser une bonne affaire ?»
Au lieu de me répondre, Peter déclara : «Je vais vous montrer une photo de mon ange gardien et alors vous aurez confiance en moi !»
Il sortit son portefeuille de sa poche et nous montra la photo de deux enfants très mignons : «Ce sont mes anges gardiens personnels, mes enfants ! Mais je vais vous montrer une autre photo».
Et Peter nous présenta une photo du Rabbi de Loubavitch : «Depuis que j’ai mis la photo de ce saint Rabbi dans mon portefeuille il y a deux ans, tout va beaucoup mieux dans ma vie !»
Dvorah et moi étions stupéfaites : «Peter ! D’où avez-vous obtenu cette photo ? Pourquoi se trouve-t-elle dans votre portefeuille ?
- Ma mère est chrétienne tandis que mon père pratiquait l’hindouisme. Mais il avait un patron juif qui lui avait parlé de ce saint Rabbi et, à son tour, mon père m’en avait parlé.
Mon père m’a enseigné qu’il fallait respecter et révérer les hommes saints de chaque religion. Plusieurs fois, quand j’ai travaillé dans les succursales de notre magasin à Brooklyn, j’ai remarqué des prospectus avec la photo de ce Rabbi, et j’étais peiné d’en apercevoir certains par terre. Je voyais partout cette photo et je me suis mis à lire tout ce que je trouvais à son sujet. Un jour, j’ignore pourquoi, j’ai décidé de garder la photo de cet homme dans mon portefeuille. Et depuis, il m’est arrivé beaucoup d’événements positifs dans ma vie !
J’ai tenté de parler à mes clients juifs à propos du judaïsme mais je ressentais un sentiment de supériorité de leur part. De temps en temps, je touchai la Mezouza posée à la porte du magasin quand j’entrais. Les gens se moquaient de moi mais j’en ai l’habitude parce que je suis Portoricain.
Je me suis mis à effectuer des recherches généalogiques. Du côté paternel, mon arrière grand-père venait d’Espagne : il avait un parent juif et un autre musulman. C’était un franc-maçon. C’est étrange, n’est-ce pas, que je ressente tellement d’attirance pour le judaïsme...
Du côté maternel, mon arrière grand-mère était également originaire d’Espagne et j’ai constaté qu’elle était juive elle aussi !
Nous étions de plus en plus surprises : «Peter ! Etait-elle la grand-mère de votre mère ou de votre père ?»
- De ma mère effectivement !
- Et était-ce le père ou la mère de votre mère qui était l’enfant de cette arrière grand-mère ?
- La mère de ma mère ! répondit Peter sans hésiter.
- Peter ! Cela signifie que vous êtes Juif ! déclarai-je gravement.
Peter réfléchit longuement puis remarqua : «J’aurais voulu me rendre auprès du tombeau de ce saint Rabbi pour prier avant la nouvelle année mais je n’ai pas pu le faire».
- Ce n’est jamais trop tard, Peter ! Et quand vous irez là-bas, précisez aux personnes qui se trouvent dans la synagogue que vous êtes juif et demandez-leur de vous aider à mettre les Téfilines. Savez-vous ce que sont les Téfilines ?
- Vous savez, dit Peter en hochant la tête, j’ai beaucoup lu sur le judaïsme ces deux dernières années. J’ai étudié la Torah. Je sais ce que sont les Téfilines !
- Selon nos Sages, continuai-je, si après cent vingt ans – ce qui est l’espérance de vie de chaque homme selon la Torah – un Juif décède sans avoir jamais mis les Téfilines de sa vie, ce n’est pas très bon pour lui quand il arrive dans l’autre monde. Peter ! Allez sur le tombeau du Rabbi et mettez les Téfilines !
Nous avons signé les papiers. Il était tard mais nous avions du mal à quitter le magasin, nous étions perdues dans nos réflexions.
- Je me suis toujours demandé pourquoi j’étais tellement attiré par tout ce qui est juif ! remarqua doucement Peter.
- Mais c’est parce que vous êtes juif, Peter ! Vous avez une âme juive ! C’est ce que vous êtes !
- Effectivement… Présenté comme cela… murmura Peter avec un sourire.
J’ai reparlé plusieurs fois à Peter au téléphone depuis notre rencontre dans le magasin de meubles. Je lui ai demandé la permission de raconter son histoire par écrit et il a accepté : «Cela fait si longtemps que je cherchais à me connecter à nouveau à mes origines juives !» reconnut Peter.

Yehoudit Cohen
L’Chaim n°1108
traduite par Feiga Lubecki