Samedi, 14 décembre 2024

  • Vayislah
  • Vayichla’h
Editorial

 Un regard de lumière

L’obscurité de l’époque paraît parfois si épaisse que rien ne parvient à la percer. C’est ainsi qu’elle peut régner sans partage sur les esprits et les cœurs au point de parvenir à refouler la réalité jusque dans les confins de la conscience. Nombreux sont ainsi les évènements qui, malgré la clarté de leurs enseignements, sont interprétés à l’inverse de l’évidence dont ils sont porteurs. Pour tous les hommes que la nuit des âmes et des intelligences indispose, c’est là une expérience douloureuse.
Pourtant, comme un grand rythme qui dépasse les soubresauts du quotidien, voici revenu le mois de Kislev. Dès son ouverture, il a apporté ce qu’il recèle depuis toujours : une lumière sereine. C’est là, en effet, ce qui le caractérise. Mois de la fête de ‘Hanoucca, il est celui où, d’abord spirituellement, l’ombre recule. Alors que nous n’en sommes qu’à sa première moitié, son influence, déjà perceptible, redonne à la période les couleurs de l’espoir et de la vie. De fait, Kislev est ainsi un temps de ressourcement. Il est un mois où rien ne peut remettre en cause la puissance et la grandeur de la lueur qui monte.
Certes, en une époque de bouleversement, alors que le monde fait déferler toutes les formes du malheur des hommes et que la vérité et l’honnêteté semblent remisées pour longtemps au magasin des accessoires, ce n’est pas à une vision de lumière que nous sommes invités. Pourtant, elle est là présente, juste à la limite du regard. Elle grandit de jour en jour et laisse présager sa victoire éternelle. Car les choses sont ainsi faites : devant le jour qui se lève, la nuit ne peut que reculer. Plus encore, celle-ci n’a pour désir profond que de s’effacer peu à peu.
Nous sommes justement les acteurs de ce changement infini. Nous pouvons trouver la sérénité et l’harmonie reconquises. Nous pouvons être les hommes de la lumière qui font surgir, au cœur du monde, le bonheur de tous. Nous en possédons la clé. Vivre Kislev n’est-il pas aussi une affaire de regard ?

Etincelles de Machiah

 Le cerveau et le cœur

Il est souvent expliqué que l’exil présente un certain nombre d’aspects positifs : il est « une chute pour permettre une élévation supérieure », il manifeste « la supériorité de la lumière qui provient de l’obscurité » etc. Toutefois, toutes ces explications s’adressent au cerveau. Pour les sentiments du cœur, l’amertume de l’exil les rend toutes inacceptables.

C’est pourquoi, bien que ces explications aient été données et comprises, le Peuple juif ne cesse de demander que l’exil se termine enfin et que la Délivrance arrive.

(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch –

Chabbat Parchat Nitsavim 5741)

Vivre avec la Paracha

 VAYICHLA’H

Après un séjour de vingt ans à ‘Haran, Yaakov revient en Terre Sainte. Il envoie des anges émissaires à Essav, dans l’espoir d’une réconciliation mais il s’avère qu’Essav est sur le chemin de la guerre avec quatre cents hommes armés. Yaakov se prépare à la guerre, prie et envoie un cadeau considérable à Essav.

En cette nuit, Yaakov fait traverser la rivière Yabok aux siens mais il reste en arrière et rencontre un ange, représentant l’esprit d’Essav avec lequel il se bat jusqu’à l’aube. Malgré une hanche disloquée, il sort vainqueur du combat et reçoit de l’ange le nom Israël qui signifie « il l’a emporté sur le Divin ».

La rencontre entre les deux frères a lieu, ils s’embrassent mais se séparent. Yaakov s’installe sur un terrain qu’il achète près de Ch’hem. Le prince de cette ville, Ch’hem, abuse de Dinah, la fille de Yaakov. Ses deux frères, Chimone et Lévi, la vengent en tuant tous les hommes de la ville.

Yaakov continue sa route.

Ra’hel meurt en donnant naissance à son second fils, Binyamine. Elle est enterrée au bord de la route, près de Beth Lé’hem.

Réouven perd son droit d’aînesse en commettant une indiscrétion par rapport à la vie intime de son père.

Yaakov arrive à ‘Hévron, chez son père, qui meurt plus tard, à l’âge de 180 ans (Rivkah est morte avant le retour de Yaakov).

Amoindri !

Yaacov retourne vers sa patrie, appréhendant avec une certaine anxiété une réaction hostile de la part de son frère Essav, qui avait antérieurement exprimé le désir de le tuer après qu’il lui eut « dérobé » ses bénédictions. Yaacov évoque sa peur qu’Essav ne lui fasse du mal et prie D.ieu pour solliciter Son aide. Pour expliquer l’origine de son angoisse, Yaacov déclare : « J’ai été amoindri par toutes les bontés... » (Béréchit 32 : 11).

Plusieurs interrogations émergent. Tout d'abord, que signifie véritablement l’affirmation de Yaacov selon laquelle il se sentait amoindri ? Deuxièmement, comment la bienveillance divine aurait-elle pu contribuer à cette diminution ? Enfin, pourquoi éprouvait-il une telle appréhension envers son frère Essav ? D.ieu ne lui avait-Il pas déjà promis qu'Il serait à ses côtés et le protégerait en tout lieu ? Yaacov nourrissait-il réellement des doutes quant à cette promesse divine ? Manifestement non. Dans le cas contraire, pourquoi ressentirait-il un soulagement accru si D.ieu réaffirmait simplement Son engagement initial ?

Trop de revendications

Rachi aborde ces questionnements en affirmant que Yaacov considérait avoir épuisé l’ensemble des mérites qu'il avait accumulés par le passé. D.ieu avait déjà veillé sur lui tout au long de son séjour chez Laban. Les vertus qu'il possédait, qui lui avaient conféré les bénédictions divines pour sa protection antérieure, pouvaient être perçues comme épuisées. Par ailleurs, Yaacov craignait d'avoir régressé et, de ce fait, ne plus être digne de la promesse originelle de protection. Ainsi, l'expression « J’ai été amoindri » suggère que ses mérites pourraient avoir été réduits et altérés du fait des nombreuses « revendications » qu'il avait formulées. Le terme « amoindri » se réfère donc à ses mérites et non à Yaacov lui-même.

Humble

Rabbi Chnéor Zalman de Lyadi (le fondateur du mouvement ‘Habad, dont nous commémorerons la libération des emprisonnements tsaristes, la semaine prochaine, le Youd Teth Kislev (le 19 Kislev), propose, dans une lettre rédigée après sa libération, une interprétation alternative concernant l’amoindrissement de Yaakov résultant de la bienveillance divine.

Deux types de réactions se manifestent chez les individus bénéficiant d'une générosité divine. Certains développent un sentiment de supériorité et d'arrogance. Ce type de personnalité utilise ses dons comme un instrument au service de son ego et tend à dévaloriser ceux qui ne bénéficient pas d'une telle faveur.

A l’opposé, l’approche consistant à tirer profit des bienfaits divins implique que l’individu devienne plus humble lorsqu’il expérimente des événements positifs dans sa vie, car il ressent une proximité exceptionnelle avec D.ieu. Rabbi Chnéor Zalman décrit cette expérience comme si D.ieu l’étreignait.

Lorsqu'un individu est confronté à quelque chose d'infiniment supérieur à lui-même, cela engendre un sentiment naturel d'insignifiance et d'humilité. Par conséquent, lorsqu'une personne relativement grande se tient aux côtés d'une personne beaucoup plus grande, elle éprouvera inévitablement un sentiment de petitesse.

Ainsi, plus nous faisons l'expérience du bien, plus notre humilité s’accroît et plus nous devenons humbles, moins nous avons tendance à penser que D.ieu nous doit quoi que ce soit.

Yaacov appartenait indiscutablement à ce dernier groupe. Ayant tant bénéficié des largesses divines à maintes reprises, il éprouvait une proximité remarquable avec D.ieu.

De ce fait, Yaacov déclare qu'en vertu des nombreuses grâces accordées par D.ieu, il s'est retrouvé humble et a donc prié D.ieu pour qu'Il poursuive ces bénédictions malgré les nouvelles lacunes qu’il reconnaissait en lui-même. Bien que D.ieu lui ait promis Sa protection, il souffre à l'idée qu'il ne soit peut-être plus digne de ces bénédictions et promesses.

« Humbles, le temps de votre Rédemption est arrivé »

Le Midrach stipule qu'avant la Rédemption future, le Machia’h proclamera la nouvelle ère en déclarant : « Humbles, le temps de votre Rédemption est arrivé ».

On peut se questionner sur les raisons pour lesquelles le Machia’h désigne le Peuple juif par l’appellation « humbles » ? Ne serait-il pas plus pertinent d’opter pour un terme qui souligne davantage une qualité vertueuse, comme le qualificatif « Justes », par exemple ?

Une explication possible réside dans le fait qu'alors que le Machia’h s'apprête à introduire une nouvelle époque caractérisée par la paix et la bonté, nous nous préparons à vivre la manifestation suprême de la bienveillance divine. Il devient alors crucial d’éviter toute une approche susceptible d’engendrer égoïsme et arrogance.

Au contraire, le Machia’h nous exhorte à demeurer humbles car nous sommes sur le point d'expérimenter la plus grande « étreinte » de l'histoire avec le Divin. Même avant que cette réalité ne se manifeste visiblement, il est essentiel que nous ressentions déjà cette proximité ainsi que l'humilité qui en découle.

Un des effets bénéfiques de l'humilité réside dans notre capacité à ne jamais porter un regard condescendant sur autrui. La jalousie, les conflits et les dissensions cèdent alors place à la paix et à l'harmonie. Toute mesquinerie disparaît et le monde est désormais mieux préparé à accueillir le Machia’h et inaugurer l'ère de la Guéoula Cheléma, la Rédemption complète.

Le Coin de la Halacha

 « Tu t’éloigneras du mensonge » (Chemot - Exode 23 : 7)

Chacun doit s’efforcer de s’éloigner du mensonge.

Pour des raisons de bonnes relations, il est parfois recommandé soit de ne pas dévoiler toute la vérité soit de la modifier légèrement. Même alors, il est préférable de se taire et, en tous cas, de s’abstenir au maximum d’émettre des paroles mensongères.

Les parents et éducateurs doivent être particulièrement attentifs de ne pas mentir devant leurs enfants. L’enfant qui découvre qu’un adulte lui a menti estimera que ceci est normal et permis.

Le mensonge semble parfois résoudre des problèmes mais, loin d’être une solution, il n’apporte souvent que des problèmes encore plus grands. Par exemple : un parent prétend qu’il ne reste plus de friandises ; l’enfant demande alors au parent de lui en acheter au magasin et s’entend répondre qu’il y en a encore à la maison. (Le parent prévoit qu’en arrivant à la maison, il prétendra s’être trompé mais ne peut évaluer l’impact – à vie ! – du mensonge sur l’enfant !).

Il convient d’être particulièrement vigilant et de ne rien promettre à un enfant (ou un adulte…) si on n’a pas l’intention de tenir sa parole.

(d’après Rav Yossef S. Ginsburgh – Si’hat Hachavoua N° 1978)

Le Recit de la Semaine

 Le Disco-Rabbin

Ma famille appartient au groupe ‘hassidique de Karlin mais ceci ne dissuada pas une Yechiva (école talmudique) Loubavitch d’engager mon père, Rav Israël Grossman pour la diriger en 1966. C’est ainsi que débuta mon premier contact avec le Rabbi de Loubavitch. Mon père écrivait au Rabbi à propos de la Yechiva et recevait en réponse des instructions précises. Moi aussi, j’écrivis au Rabbi et reçus une très belle réponse, m’encourageant dans mon étude de la Torah.

A la suite de la miraculeuse victoire de la Guerre des Six Jours en 1967, le pays connut un élan spirituel intense. J’eus personnellement le grand mérite de me rendre au Kotel, le Mur Occidental le jour de sa libération et, alors que je me tenais au pied de ce vestige du Temple, je me demandai : comment exprimer ces remerciements débordants envers D.ieu ? Je décidai alors de consacrer ma vie à ramener d’autres Juifs à leur foi naturelle – ce que le Rabbi avait toujours encouragé, surtout avec la campagne des Téfilines qu’il avait initiée juste avant cette guerre.

J’étais aussi très proche du Rabbi de Leïlov qui me demanda, à peu près à cette époque, de m’installer à Bné-Brak pour diriger une institution de Torah. Notre appartement était situé au-dessus de l’usine Dubek produisant des cigarettes et j’avais remarqué que les ouvriers commençaient très tôt le matin et restaient assez tard – ce qui les empêchait de mettre les Téfilines. J’en parlai au directeur qui me permit de venir plusieurs fois par jour aider les ouvriers à mettre les Téfilines pendant leur temps de pause. Quand j’en informai le Rabbi de Loubavitch, il exprima sa grande satisfaction et m’encouragea à continuer.

Puis le Rabbi de Leïlov eut une autre idée pour moi : que je m’installe à Migdal Haémek pour m’y occuper de la jeunesse. Cette ville de développement avait été fondée dix ans plus tôt pour héberger de nouveaux immigrants mais souffrait du chômage et de la délinquance juvénile. Personnellement, j’ignorai l’existence de cette ville que je ne savais même pas situer sur la carte, j’ignorai aussi comment le Rabbi de Leïlov en avait entendu parler mais je ne posai pas de questions et m’y installai.

On était en 1968, j’arrivai tout droit de villes comme Jérusalem et Bné-Brak connues pour leur orthodoxie. Je me renseignai auprès des passants :

- Où se trouve la Yechiva ?

Les gens me regardaient sans comprendre de quoi je parlai.

- Yechiva ? C’est quoi ?

J’insistai :

- Où se trouvent les jeunes ?

- A la discothèque ! me répondit-on.

Je n’avais jamais entendu ce mot auparavant… Etait-ce le nom d’une Yechiva, me demandai-je dans ma naïveté ?

Je me rendis à l’endroit qu’on m’avait indiqué et je traduisis dans mon langage : ces disco-clubs fêtaient Pourim toute l’année !

Il se trouve que j’établis très vite le contact avec ces jeunes et ils me surnommèrent le Disco-Rabbin. Certains me racontèrent qu’ils avaient des amis détenus dans la prison de Shatta non loin de là et je m’y rendis aussi. J’y mis au point un programme de réhabilitation des prisonniers qui connut un grand succès.

A chaque étape, j’envoyais un compte-rendu au Rabbi de Loubavitch car je savais combien toutes ces initiatives lui tenaient à cœur. Il me répondait en s’enquérant de chaque détail et en me demandant de lui transmettre chaque progrès.

En 1970, je fus nommé rabbin de cette ville dans laquelle je rêvais d’établir une nouvelle structure éducative pour les enfants issus de milieux défavorisés. Comme je fus invité aux États-Unis pour récolter des fonds, j’eus enfin l’occasion de rencontrer le Rabbi face à face et je mentionnai ce projet. Il insista sur les bienfaits d’éduquer garçons et filles dans des institutions séparées, non pas d’un point de vue religieux, remarqua-t-il en passant, mais tout simplement humain et proposa des stratégies pour faire respecter la cacherout dans les restaurants de la ville. Il connaissait la situation de Migdal Haémek comme s’il y habitait lui-même ! Il m’écouta avec beaucoup d’intérêt quand je mentionnai mon rêve d’établir une institution éducative pour ramener les jeunes au judaïsme tout en les éloignant de la tentation du crime et en leur donnant de meilleures perspectives d’avenir. Il me bénit et promit que si je réalisai ce projet, je connaîtrais un grand succès.

Dès que nous avons posé la première pierre de la Yechiva Migdal Haemek, j’en informai le Rabbi qui répondit par un télégramme contenant des bénédictions incroyables. L’année suivante, je retournai le voir et il m’encouragea à continuer de développer la structure et suggéra à ma grande surprise : Il y a de nouvelles unités d’habitation qui se construisent non loin de votre propriété, vous devriez tenter d’en acheter !

Or, nous avions déjà du mal à boucler le budget de nos propres institutions !

Mais, muni de cette bénédiction, je m’enhardis, demandai un rendez-vous aux autorités en charge de ce nouveau projet et c’est ainsi que je pus acquérir toute la rue de notre Yechiva !

Rav Yits’hak David Grossman - JEM

Traduit par Feiga Lubecki

Allumages 5774