Samedi, 13 mai 2017

  • Emor
Editorial

 Au rendez-vous de la lumière

Et si on prenait le temps – et la peine – de regarder encore Lag Baomer… Trente-troisième des jours qui s’étendent entre Pessa’h et Chavouot, étape de l’attente impatiente depuis la sortie d’Egypte jusqu’au Don de la Torah, fin d’une tragique – quoique antique – épidémie, temps de cette joie liée à celle de Rabbi Chimon Bar Yo’haï : les thèmes sont si nombreux qu’il pourrait sembler presque inutile, ou très ambitieux, d’y revenir… Pourtant, spécialement aujourd’hui, ce jour éclaire toute la semaine. Comment alors ne pas penser, une fois de plus et jamais une fois de trop, à ces centaines, ces milliers d’enfants qui se réunissent partout dans le monde ? Comment ne pas penser à eux qui, en ce jour, savent clamer haut et fort leur bonheur d’être Juifs par leurs jeux et leurs chants ? Et les messages qu’ils donnent sont ceux, éternels, de la connaissance, de la fidélité et du courage. Ce sont les messages de l’éducation juive, d’une si évidente urgence.

C’est peut-être ainsi que Lag Baomer livre son grand secret. Car il serait facile de n’en faire qu’une commémoration parmi toutes les autres ou une fête en l’honneur d’un de nos grands Sages qui, au fil des siècles, serait devenue une sorte de folklore émouvant, chaleureux… et sans conséquence. Mais ce n’est pas de cela que les hommes peuvent vivre. Leur vie, ils la tirent justement de la conscience qu’ils s’inscrivent dans un projet qu’ils portent et qui les emportent à la fois, que rien ne peut jamais entraver. Ils la tirent de cette justesse de comportement qui fait qu’un enfant juif est capable de ressentir pleinement que la joie de Rabbi Chimon le concerne, et pas seulement au titre de l’histoire. Ils la tirent du fait qu’un tel événement est aussi un facteur d’avenir. Comme un bel arbre qui grandit d’autant mieux que ses racines sont plus profondes.

Il faut nous souvenir : Rabbi Chimon vécut en une époque très dure, un temps aux lendemains incertains. L’empire romain occupait Israël, l’oppression grandissait et nul ne savait de quoi le lendemain serait fait. Céder à l’envahisseur, désespérer d’impuissance étaient des tentations faciles. Rabbi Chimon maintint le judaïsme, consacra sa vie à l’étude de la Torah et donna au monde tout ce dont il avait besoin. Lorsque les enfants fêtent Lag Baomer, c’est cela qu’ils célèbrent : le don de soi, l’amour de l’autre, le souci de tous, l’impératif de la connaissance, la recherche de la paix et tout cela sur un fond d’inébranlable fidélité. C’est cette volonté multiple qu’ils déclarent solennellement mettre en œuvre lorsqu’ils chantent et qu’ils jouent. C’est cette volonté qu’ils concrétisent lorsque, au lendemain de Lag Baomer, le monde n’est décidément plus tout à fait le même, grâce à eux. A présent que la route, par leur passage, s’est éclaircie, à nous de les accompagner. Le monde est obscur et les obstacles nombreux ? Le chemin n’est plus très long. Déjà la lumière se lève.

Etincelles de Machiah

Juste un petit moment

Isaïe annonce, dans sa prophétie (54 : 7), le temps de Machia’h. S’adressant au peuple juif, D.ieu affirme dans ce texte : «Pour un petit moment, Je t’ai abandonné et, avec une grande miséricorde, Je te rassemblerai». Il semble pourtant que l’exil a duré bien plus longtemps qu’un simple «petit moment» ?

C’est que, lorsque Machia’h viendra et que la miséricorde divine se manifestera aux yeux de tous, chacun verra que tout le temps de l’exil n’aura finalement été qu’un «petit moment».

(d’après Séfer Hamaamarim 5700, p. 10) 

Vivre avec la Paracha

 Emor

La Paracha Emor (« Dis ») commence par les lois particulières relatives aux Cohanim « les prêtres »), au Cohen Gadol (« Grand Prêtre ») et au service du Temple. Un Cohen n’a pas le droit de se rendre rituellement impur par le contact avec un corps mort, sauf lors de la mort d’un parent proche. Un Cohen ne peut épouser une femme divorcée ou une femme au passé léger. Un Cohen Gadol ne peut se marier qu’avec une jeune-fille qui n’a jamais été mariée. Un Cohen atteint d’une difformité ne peut servir dans le Saint Temple, pas plus qu’un animal difforme ne peut être apporté en offrande.

Un veau, un chevreau ou un agneau nouveaux-nés doivent être laissés auprès de leur mère pendant sept jours avant de pouvoir servir d’offrande. On n’a pas le droit d’abattre le même jour un animal et ses petits.

La seconde partie d’Emor fait la liste des célébrations de sainteté annuelles : les fêtes du calendrier juif, le Chabbat hebdomadaire, l’offrande de l’agneau pascal, le 14 Nissan, la fête des sept jours de Pessa’h commençant le 15 Nissan, l’offrande du Omer de la première récolte d’orge, à partir du deuxième jour de Pessa’h, et le commencement, en ce même jour des 49 jours du décompte du Omer, culminant avec la fête de Chavouot, le cinquantième jour ; un « rappel du son du Choffar », le premier Tichri ; un jeûne solennel, le 10 Tichri ; la fête de Souccot durant laquelle nous devons résider sept jours dans des Cabanes et prendre les « Quatre Espèces », à partir du 15 Tichri et la fête qui suit immédiatement, « le huitième jour » de Souccot (Chemini Atsérèt).

La Torah évoque ensuite l’allumage de la Menorah dans le Temple et les « pains de présentation » (Lé’hèm Hapanim), placés chaque semaine sur une table qui s’y trouvait.

Emor se conclut par le tragique récit de l’homme exécuté pour blasphème et les punitions relatives au meurtre et aux blessures infligées à quelqu’un ou à la destruction de sa propriété (compensation pécuniaire).

Dans la Paracha de cette semaine, D.ieu dit à Moché Rabbénou : Emor èl Hacohanim, « tu diras aux Cohanim ». La Paracha poursuit en nous enseignant quelques-unes des Mitsvot relatives aux Cohanim.

Cependant, l’on nomme la Paracha Emor, « tu diras ». Du fait que son nom soit Emor, « dis », et non Emor èl Hacohanim, « dis aux Cohanim », l’on peut comprendre que D.ieu nous commande, à nous aussi, de dire certaines choses. Ce commandement semble insinuer que nous devrions beaucoup parler de certains sujets. Mais desquels ? Et n’avons-nous pas appris dans les Pirké Avot, « les Maximes de nos Pères » : Emor meat vé’assé harbé, « parle peu et agis beaucoup » ?

La première chose qui vient à l’esprit est que nous devrions prononcer des paroles de Torah. Mais cela constitue en soi un commandement différent : Vedibarta Bam, « et tu les diras (les mots de la Torah) ».

Ainsi cela implique donc qu’ici, il s’agit d’autre chose.

Par le mot Emor, D.ieu nous indique qu’il nous faut toujours prononcer des propos positifs concernant autrui. Nous pouvons percevoir la portée de ce commandement lorsque l’on pense à ce qui arrive quand, à D.ieu ne plaise, les gens profèrent de la médisance.

Nos Sages nous disent que lorsque quelqu’un dit du Lachone Hara, (« des propos diffamatoires ») trois personnes sont atteintes : celui qui parle, celui qui écoute et celui dont on parle. Nous comprenons aisément pourquoi ceux qui parlent et écoutent sont responsables du péché qu’ils ont commis. Mais pourquoi cela devrait-il affecter celui dont ils parlent ? Il n’a pas pris part à leur conversation. Il est même fort possible qu’il ignorait qu’on parlait de lui !

Réfléchissons un instant à ce que nous faisons quand nous parlons. Nous révélons, à l’extérieur, des pensées cachées. Et cela a une incidence sur la personne dont nous parlons. Quand nous révélons le mal caché à l’intérieur de la personne, nos paroles le font jaillir à l’extérieur. Si nous ne l’avions pas mentionné, peut-être ne se révélerait-il jamais et l’individu ne se conduirait-il jamais mal.

Nos Sages affirment que le bien a beaucoup plus de force que le mal. Songeons à ce qui se passerait si nous ne disions que du bien d’autrui. Parce que la parole fait jaillir les pensées à l’extérieur, dire beaucoup de bien des personnes révélerait le bien qu’elles possèdent en elles. Et c’est là précisément ce que nous commande D.ieu quand Il dit Emor. Il ne faut prononcer que de bonnes paroles à propos de nos prochains, et ce, tout le temps.

Puisque parler fait jaillir à la surface ce qui est caché, nous devrions parler, avec les membres de notre famille et nos amis, de la Guéoula, la Délivrance ultime avec Machia’h, car c’est exactement cela qui la fera survenir plus tôt.

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que Lag Baomer (cette année dimanche 14 mai 2017) ?

Le 33ème jour du compte de l’Omer rappelle la Hiloula (décès) de Rabbi Chimone Bar Yo’haï qui avait demandé que cette date soit célébrée comme un jour de joie (puisqu’il y avait achevé de façon parfaite sa mission sur terre). Ce jour marque une pause dans la période de deuil instituée à cause d’une terrible épidémie qui avait frappé les disciples de Rabbi Akiba).

- On ne récite pas les prières de Ta’hanoune (supplications), même pas la veille.

- Nombre de gens ont la coutume de se rendre au tombeau de Rabbi Chimone Bar Yo’haï à Meron, près de Tibériade en Galilée ; on y procède à la première coupe de cheveux des garçons qui ont atteint l’âge de 3 ans depuis Pessa’h.

- On organise des réunions ‘hassidiques joyeuses.

- On a la coutume de manger des caroubes, en souvenir de ces fruits dont se nourrissaient Rabbi Chimone et son fils Rabbi Eléazar quand ils se cachaient dans une grotte à cause des Romains. Certains ont aussi la coutume de manger des œufs durs dont la coquille serait devenue marron durant la cuisson.

- On donne davantage de Tsedaka (charité).

- Les enfants sortent et défilent tous ensemble fièrement dans la rue avec des drapeaux et des pancartes les encourageant à étudier la Torah et accomplir les Mitsvot : le but de la descente de l’âme dans le corps est de « marcher », d’avancer dans la vie. Ces défilés donnent chaleur et vitalité à l’étude formelle et prolongent l’enthousiasme des enfants dans leur éducation.

- Lag Baomer est un moment propice pour prier pour la naissance d’enfants et leur bonne éducation.

(d’après Hamitsvaïm Kehala’ha)

Le Recit de la Semaine

 L’orpheline et le Rabbi

C’est à l’âge de douze ans que j’appris de la bouche de mes « parents » que j’avais été adoptée. A l’époque, la loi imposait dans ce cas le silence le plus strict quant aux origines de l’enfant. Les merveilleux « parents » qui m’avaient recueillie étaient des Juifs pratiquants et un rabbin leur avait précisé que je devais, à 12 ans, l’âge de la Bat Mitsva, me convertir au judaïsme de mon propre gré – par mesure de prudence puisqu’on ignorait qui avaient été mes véritables parents.

Choquée par cette révélation et en colère, je choisis sans hésiter de ne pas me convertir ! Bien que mes « parents » aient visiblement été peinés par ma réaction, je m’entêtais : pourquoi accepter le judaïsme puisqu’il existait une possibilité que je ne sois pas juive ? C’était ma façon de protester contre le mensonge dans lequel j’avais été élevée. Mes véritables parents m’avaient abandonnée, raisonnai-je et j’étais donc libre de choisir ma voie. Finalement le rabbin suggéra à mes « parents » (que j’aimais beaucoup) d’aller prendre conseil auprès du Rabbi.

Quand nous avons été reçus en audience privée, nous sommes entrés tous les trois ; le Rabbi nous parla collectivement puis demanda à me parler en privé. Je trouvais cela étrange mais mes parents adoptifs acceptèrent de sortir du bureau. Le Rabbi m’annonça alors que j’étais née de parents juifs qui m’avaient beaucoup aimée et qui m’aimaient encore beaucoup de là où ils se trouvaient dans le Ciel. Non, répéta-t-il, ils ne m’avaient pas abandonnée mais étaient décédés dans un accident de voiture. Il continua : c’était la Volonté de D.ieu – pour quelque raison que ce soit – qu’ils soient décédés et que je reste une orpheline. Il ajouta que D.ieu est le Père de tous les orphelins et que j’étais donc spécialement aimée par Lui.

Même si je ne passais pas par le processus de conversion, j’étais juive à 100 % puisque ma mère l’avait été ; je devais néanmoins passer par cette étape car c’était ce que la loi juive dictait dans de telles circonstances (puisqu’il n’y avait pas deux témoins pour attester de la judaïté de mes parents car tous les papiers concernant mon adoption étaient – à l’époque – tenus rigoureusement secrets et scellés). Cependant, cela ne changeait rien au fait que j’étais certainement juive de naissance.

Bien entendu, j’étais en état de choc puisque ce rabbin que mes parents avaient rencontré auparavant avait statué que, sans la conversion, je ne pouvais être considérée comme juive. Je n’avais aucune idée de la grandeur du Rabbi et je supposais juste qu’il suivait une opinion plus conciliante : comment aurais-je pu comprendre que D.ieu lui avait accordé la faculté de tout connaitre de mon histoire – dès notre première rencontre – alors que personne d’autre n’était au courant ?

Mais déjà le Rabbi continuait : il savait que je pouvais ne pas le croire et penser qu’il s’agissait d’un coup monté par mes parents adoptifs pour que j’accepte de rester juive. Il me conseilla alors de me rendre dans le cimetière juif d’une certaine ville et d’y prier pour le repos de l’âme de mes vrais parents qui y étaient enterrés !

Puis le Rabbi me demanda de lui promettre trois choses : de toujours manger cachère, de respecter le Chabbat et d’essayer de lui rendre visite au moins une fois par an. Je quittai le bureau complètement abasourdie mais surtout moins en colère : après tout, mes vrais parents ne m’avaient pas abandonnée comme je l’avais cru jusqu’alors. Et j’acceptais finalement de passer par le processus de conversion comme le Rabbi me l’avait demandé.

Quelques années plus tard, alors que je me remettais très lentement de ce que le Rabbi m’avait annoncé sur mes parents biologiques, je perdis mes parents adoptifs ! J’étais orpheline une seconde fois ! C’était insupportable et je devins de plus en plus furieuse contre tout ce qui avait trait au judaïsme. J’habitais dans un village perdu où il n’y avait pas d’autres Juifs. Cependant, la cacherout ne représentait pas de problème puisque j’étais devenue végétarienne et que je pouvais me procurer beaucoup d’aliments (pain, biscuits, fromages…) avec des symboles discrets de cacherout. Chabbat, je n’utilisais pas l’électricité, je ne conduisais pas et je restais à la maison à lire, méditer et me reposer. Ainsi se manifestait mon obéissance aux consignes du Rabbi : les bases de la cacherout et du Chabbat.

Une fois par an, je me rendais à New York et l’attendais devant la synagogue du 770 Eastern Parkway. Parfois, il se contentait de me saluer, parfois il me demandait d’ajouter un détail dans mon observance du Chabbat et de la cacherout (réciter une bénédiction avant de manger etc…). Une fois, alors qu’il passait rapidement devant moi, je ne pus m’empêcher de crier : « Pourquoi ? ». Il se tourna vers moi et voici ce que je retins de sa réponse : « Les parents qui vous ont donné la vie étaient de bonnes personnes mais – et ce n’était pas de leur faute – ils ne connaissaient rien du judaïsme et ne le pratiquaient pas. D.ieu est aussi un partenaire dans votre existence et est aussi votre parent. Il vous aime et sait que votre âme avait besoin de nourriture cachère et de respect du Chabbat durant vos années d’éducation. Vous avez été confiée à des parents adoptifs qui vous ont donné uniquement de la nourriture cachère et qui vous ont appris à respecter le Chabbat. C’est pourquoi vous devez respecter votre promesse et veiller au Chabbat et à la cacherout ! ». Puis le Rabbi entra dans sa voiture qui démarra à toute allure. Cela avait peut-être duré quinze secondes mais, pour moi, c’était le message d’une vie.

Bien des années plus tard, j’ai pu obtenir les renseignements sur ma naissance, des faits auxquels personne n’avait eu accès jusque-là. Oui mes parents étaient juifs et étaient enterrés au cimetière juif de la ville que m’avait indiquée le Rabbi ! J’y vais chaque année prier pour le repos de leurs âmes.

J’ai continué de rendre visite au Rabbi une fois par an et, depuis le 3 Tamouz 1994, je me rends chaque année auprès de son tombeau. J’y pleure jusqu’à ce qu’il ne me reste plus de larmes et j’y laisse ma peine ; je me sens un peu réconfortée car je me sens liée à quelque chose de plus grand que moi. Je tente d’internaliser le message du Rabbi : D.ieu est mon parent et même moi, cette « fille rebelle », je suis la fille de D.ieu, D.ieu qui l’aime ; et je me rapproche de Lui en respectant ma promesse datant d’il y a si longtemps !

Comment le Rabbi savait-il tout ceci ? Le fait est qu’il savait tout ce qui se passait dans ce monde et le monde futur ! Pour lui, tout était simple et évident comme s’il lisait une carte et un panneau indicateur. Il connaissait avec certitude mes origines, savait que je n’avais pas été abandonnée par des parents insensibles et savait même comment ils étaient décédés et où ils étaient enterrés ! Il savait pourquoi j’étais devenue orpheline et pourquoi j’avais été adoptée par des parents pratiquants. Ce n’était pas une logique humaine mais « une autre dimension » de ce que nous pensons ou comprenons. Je ne crois pas que quiconque puisse comprendre les implications de mon récit, ce n’est pas encore une autre histoire d’un miracle accompli par le Rabbi. C’est simplement un aspect de la description d’un être humain qui avait un accès sans restriction au divin.

Malka (qui souhaite rester anonyme)

Propos recueillis par Rav Chalom Avtzon - COLlive

Traduit par Feiga Lubecki