Semaine 19

  • Emor
Editorial
Comme un tour de France…

Certaines histoires ne vieillissent jamais. Elles prennent, avec le temps, simplement plus de couleur et de profondeur. Elles modèlent une manière de donner au monde un élan nouveau. C’est une de ces histoires que l’actualité vient encore de souligner. Il y a un peu plus d’une semaine, le 2 Iyar, se tenait à Paris, le Congrès national des Chlou’him de France. C’est dans ce cadre que se sont réunis tous les envoyés du Rabbi dans le pays, tous ceux par qui tant de choses ont changé. Venus du nord, du sud, de l’est ou de l’ouest de la France, ils incarnent une volonté en action. Ils refusent l’idée de parachèvement car, pour eux, la vie ne se comprend que comme un progrès constant. Ils ont une longue et ancienne mémoire mais, loin de la nostalgie, elle est instrument pour comprendre le présent et penser l’avenir.
Et ils savent dire le début des choses, quand le Rabbi et son épouse se trouvaient à Paris avant guerre et qu’ils y agirent comme eux seuls pouvaient le faire dans un monde où le spirituel tenait bien peu de place. Et chacun de se souvenir : «La récolte spirituelle apparue en France vient du labourage effectué alors». Et chacun de marquer les étapes d’une véritable renaissance. De fait, ce pays, qui avait été celui des grands Sages médiévaux qui font encore résonner les commentaires talmudiques du nom des villes de France, avait, par la dureté des temps, oublié ce glorieux héritage. Et, après les horreurs de la guerre, tout était à reconstruire. C’est exactement il y a 41 ans, un 2 Iyar, que commença la «récolte» après le «labourage» accompli par le Rabbi. Celui-ci venait d’en confier, en premier lieu, la mission au Rav Azimov. Puis d’autres Chlou’him, chargés chacun d’une mission propre, allaient venir à leur tour et donner le goût et les moyens de la redécouverte à une communauté toujours en quête d’elle-même.
Aujourd’hui, comme partout dans le monde, les Chlou’him agissent en France là où ils sont utiles. Ils ne revendiquent rien, n’aspirent pas aux honneurs ni au confort. Ils savent qu’ils sont les acteurs du changement et que celui-ci est une œuvre de chaque jour. Au-delà du bilan, par nature lié à un tel congrès, comment ne pas citer les fortes paroles du Rav Kotlarsky ? Coordinateur de l’action des délégués du Rabbi dans le monde, âme de leurs congrès, et venu spécialement de New York à cette occasion, il sut exprimer la résolution de chacun : «Des choses extraordinaires ont d’ores et déjà été réalisées dans ce pays mais, tant qu’il reste quelque chose à faire, la mission n’est pas accomplie». Un vœu est dans tous les cœurs et sur toutes les lèvres : «Puissions-nous la mener à bien et ouvrir ainsi la porte à la Délivrance».
Etincelles de Machiah
Le temps de la préparation

Le Talmud enseigne que le Machia’h viendra au moment où “on n’y pensera pas”. Pourtant, nous observons qu’attendre sa venue fait partie des principes essentiels du judaïsme définis par Maïmonide. Aussi, diverses explications ont été données sur le sens de l’expression. Voici l’une d’entre elles :
La préparation à la venue de Machia’h doit être accomplie pendant le temps de l’exil qui est, justement, une sorte de “on n’y pensera pas” par rapport à la Délivrance. Lorsque l’on éclaire l’endroit le plus sombre, où l’idée même de Délivrance est absente des esprits, qui constitue l’opposé même de la lumière de Machia’h, alors celui-ci arrive.
(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch, Chabbat Parchat Ekev 5713) H.N.
Vivre avec la Paracha
Emor : parler

La Torah donne à chaque individu, à chaque époque, des enseignements pour l’assister dans son vécu quotidien. La nature humaine, les problèmes humains ou les potentiels humains restent inchangés, que nous soyons à l’âge de pierre ou à l’âge de l’Internet.
Chaque mot de la Torah conserve toute sa puissance, y compris le premier mot de la Paracha. Cette semaine, il s’agit d’un mot unique : Emor : «Parle !»

Il est bien évident que ce mot appartient à une phrase où il prend son sens. Mais parallèlement, constituant à lui seul le nom d’une Paracha honorée depuis des siècles dans la tradition juive, il possède également une signification par lui-même. Ainsi pouvons-nous nous demander ce que nous dit ce mot : «Parle !». De quoi parler ? Quand et pourquoi devrions-nous parler ?

L’impératif «parle !» semble être en contradiction avec les déclarations de nos Sages en faveur du fait de ne pas trop parler, comme «dis peu mais fais beaucoup» ou encore «la meilleure chose pour l’homme est le silence» et bien d’autres encore.

L’implication de ce commandement est en fait qu’une certaine sorte de discours est chaleureusement recommandée. Le Rabbi approfondit la question en examinant divers commentaires sur le sujet.

Selon une idée traditionnelle juive, la parole peut avoir un effet au-delà de la simple relation d’un événement. Le fait même que certaines paroles aient été prononcées revêt une importance particulière. Un exemple négatif en est fourni par la calomnie, en hébreu : lachone hara. La Torah en interdit la pratique ainsi que celle d’écouter des paroles calomnieuses. En outre, nos Sages affirment que le lachone hara affecte également la personne dont on parle. En dehors de l’effet des paroles diffamatoires elles-mêmes, le fait qu’elles aient été prononcées concrétise en quelque sorte leur contenu.

Par contre, dit le Rabbi, une force positive extraordinaire se dégage du fait de parler en bien des gens et de faire leur louange. Les mots positifs font émerger chez l’autre tout son potentiel pour le bien, même si au moment où ces mots sont énoncés, il ne semble montrer que des aspects négatifs de sa personnalité.

Les Sages nous enjoignent de «juger chacun favorablement», ce que l’on comprend généralement comme signifiant qu’il faut essayer de trouver une excuse à son comportement inadéquat. Une autre explication de ces mots peut nous engager à essayer de trouver une manière de louer cette personne. L’effet spirituel en est que cela permet à ses qualités, qui sont parfois profondément enfouies en elle et non visibles, de faire surface au grand jour.

Le Rabbi lie cette idée avec le fait que Maïmonide nous dit qu’un homme sage «parle toujours en faveur des autres et ne parle jamais en termes négatifs de quelqu’un». Le Sage connaît la force de la parole et l’utilise au mieux dans l’intérêt de son prochain. Les paroles positives donnent constamment des encouragements et ont un fort impact spirituel.

Le premier verset, quant à lui, nous enseigne ensuite : lehazhir guedolim al ketanim, que l’on traduit littéralement par : «pour avertir les aînés concernant les enfants». Ce qui est impliqué ici est que les parents doivent assumer la responsabilité de l’éducation de leurs enfants. Nous ne pouvons pas rester passifs et attendre qu’ils s’éduquent naturellement. Il faut investir des efforts, des efforts personnels et pas seulement se reposer sur les professeurs et le système éducatif extérieur. C’est dans cette veine que le Rabbi Rachab enseignait que, de même que la Torah requiert que les hommes mettent les tefilines chaque jour, ainsi nous devons passer une demi-heure par jour à réfléchir à l’éducation de nos enfants.

Le terme lehazir (avertir) contient une allusion plus profonde encore. Il possède la même racine que le mot zohar, et signifie : briller. Nos efforts pour éduquer (nos enfants ou toute personne envers laquelle nous avons cette responsabilité) ont également une influence positive sur nous-mêmes. Quand nous nous lançons dans l’éducation d’autrui, nous prenons alors conscience de notre propre comportement et de notre propre caractère. Nous essayons de pratiquer nous-mêmes ce que nous enseignons. En tentant de développer chez autrui de bons traits de caractère et des idéaux, nous avons besoin d’analyser et d’améliorer notre propre comportement et d’être un «exemple brillant» pour ceux que nous voulons inspirer. Les actions parlent plus fort encore que les mots. Aucun long discours ne peut se substituer aux actes car un exemple vivant est la véritable source d’inspiration.

Comme le relate le Talmud, Rabbi ‘Hanina dit : «J’ai appris beaucoup de mes maîtres, plus encore de mon prochain, mais le meilleur est venu de mes élèves».

En étant un exemple brillant des valeurs et des traits de caractère auxquels nous tenons, nous grandissons et prenons mieux conscience de notre propre comportement. Dans nos efforts pour transmettre ces idéaux, nous en tirons nous-mêmes, et les premiers, les plus grands bienfaits dans notre propre développement.
Le Coin de la Halacha
Quelle est «la voie médiane en or» préconisée par nos Sages (suite) ?

Il est de la nature humaine de s’adapter à son environnement et de s’assimiler aux gens que l’on côtoie. Il convient donc de s’efforcer d’habiter parmi des gens vertueux. On s’associera si possible à des personnes érudites afin d’apprendre leur façon de se conduire. Ce sont ces personnes que l’on fréquentera et avec qui on se mariera.
La Torah ordonne : «Tu aimeras ton prochain juif comme toi-même». On évoquera les qualités de chacun, on respectera les biens de l’autre et on évitera la médisance ainsi que les médisants. On aimera chaque Juif, l’érudit comme l’ignorant.
Il est interdit de haïr un autre Juif dans son cœur. Si quelqu’un a mal agi envers nous, nous devons le lui signaler avec tact et, s’il se repent et demande pardon, nous lui pardonnerons de tout cœur.
Si on voit quelqu’un qui agit mal, c’est une Mitsva de lui adresser des reproches, mais d’abord en privé. On lui parlera sereinement et on tentera de le convaincre de changer pour son propre bien.
Il est interdit d’insulter, de faire honte, de rappeler les erreurs passées – surtout en public.
On doit être particulièrement sensible et respectueux envers la veuve et l’orphelin car D.ieu écoute leurs prières. Cependant, on veillera à l’éducation de l’orphelin en lui adressant éventuellement des reproches s’il faut le ramener dans le droit chemin.

F. L. (d’après Junior Code of Law de Rav Dr. Nissan Mindel)
De Recit de la Semaine
Tout raté ! Tout ?

Ces six étudiants de Yechiva (école talmudique) complétaient leurs études rabbiniques tout en se rendant en mission à St-Pétersbourg (Russie). Là, ils devaient insuffler une inspiration nouvelle à la jeunesse juive. Venus du Texas et du Canada, du Wisconsin et de France, ils venaient aider Rav Mendel Pewzner et son épouse – les émissaires du Rabbi arrivés deux ans plus tôt dans la «Venise du nord» et qui dirigent maintenant l’une des plus importantes communautés juives de l’ex-Union Soviétique.
Malgré les conditions économiques déplorables et la pénurie d’aliments en général, sans mentionner le peu d’aliments cachères en particulier, ces étudiants étaient animés d’un enthousiasme qu’aucune météo glaciale ou qu’aucune barrière de langage ne pouvaient tempérer.
Bien vite, ils s’occupèrent des enfants juifs qui fréquentaient la petite école et établirent des cours de Torah pour adultes, des clubs de loisirs pour les adolescents et, infatigables, frappèrent de porte en porte pour trouver encore une famille juive et encore une famille juive.
Pour ‘Hanouccah, ils organisèrent un grand concert : tracts, publicités dans les journaux et à la télévision, panneaux publicitaires, tous les moyens furent mis en œuvre et, le soir dit, plus de 5000 personnes se pressèrent dans la grande salle de fêtes. Ce qui ravit les jeunes étudiants, d’autant plus que de nombreux parents avaient amené leurs jeunes enfants, qu’ils purent enrôler immédiatement dans les programmes destinés à la jeunesse.
Au fur et à mesure que l’année avançait, le nombre de jeunes attirés par le judaïsme progressait. La fête de Pourim aussi réunit un nombre important de Juifs de tous les âges.
A l’approche de Pessa’h, les étudiants décidèrent de préparer un Séder – modèle : obtenir de la salade romaine était un véritable tour de force ; et vaincre la bureaucratie pour louer un grand hall relevait également de l’épreuve d’endurance. Mais ils y parvinrent et, le jour prévu, ils accueillirent les enfants des écoles juives et des Talmud Torah de la ville. Une fois ceux-là partis, les étudiants épuisés reprirent des forces pour accueillir d’autres enfants.
Mais personne d’autre n’arriva. Ils attendirent une heure et encore une heure. Plus personne ! Comment était-ce possible ? N’avaient-ils pas fait assez de publicité ? Les affiches n’étaient-elles pas assez bien formulées ? Les dessins n’étaient-ils pas assez évocateurs ?
Enfin, à 16h 30, une dame arriva, avec deux enfants. Ils bénéficièrent d’un accueil royal. Les six étudiants s’occupèrent d’eux, leur expliquèrent avec soin toutes les étapes de la fabrication de la Matsa Chmourah puis du Séder, leur offrirent tous les souvenirs et gadgets qu’ils avaient préparés puis prirent leurs coordonnées avant de les laisser repartir. A 17 heures, tout était terminé et les étudiants, horriblement déçus, ne purent comprendre d’où venait cet échec.
Mais Pinchas Turk, l’un de ces étudiants, refusa de considérer leurs efforts comme vains. Ce soir-là, il téléphona à une mère de famille pour convenir d’une visite à son domicile.
De fait, cette famille habitait la banlieue. Les parents – élevés sous le régime communiste – n’avaient jamais reçu d’éducation juive bien qu’il subsistât un vague souvenir de repas de Pessa’h et de «pain plat» pendant une semaine au printemps.
Et cette famille comptait non pas deux mais quatre enfants, un phénomène rare dans ce pays où la plupart des familles n’avaient que deux enfants. Comme Pinchas venait d’une famille nombreuse, il put donner des conseils pratiques en plus d’informations sur la vie juive.
Puis la mère demanda aux enfants d’informer leur père de la visite de l’étudiant – rabbin. Les enfants toquèrent avec respect à la porte pour appeler leur père. Celui-ci, d’une stature imposante, entra et se mit immédiatement à parler du christianisme. Pinchas était stupéfait : une mère et ses enfants si intéressés par le judaïsme et un père qui évoque le christianisme avec passion ?
Pourtant le père aussi était juif. Il ressentait le besoin d’enseigner D.ieu à ses enfants et, faute d’éducation juive, il s’en était remis à une école chrétienne…
Pourtant les enfants portaient tous des prénoms juifs : Sarah, Chalom (pour que le peuple juif connaisse enfin la paix), Lemouel (un nom que le père avait trouvé dans la Bible) et finalement Babi Yar, en mémoire des quelques 100 000 Juifs (!) massacrés dans la forêt du même nom par les Nazis en 1941.
Bien vite, les parents acceptèrent d’envoyer les enfants à l’école juive, aux clubs de loisirs et à la colonie de vacances Loubavitch.
A la fin de l’année, les étudiants retournèrent à New York et obtinrent leurs diplômes rabbiniques.
Tous se marièrent. L’un d’entre eux, Mendel Gurewitz s’installa avec son épouse Rivka à Offenburg en Allemagne où ils établirent un Beth ‘Habad en 1998.
A son tour, il sollicita l’aide de jeunes étudiants pour l’aider à organiser les activités pour la jeunesse, pour les fêtes…
Une fois les premiers jours de Pessa’h terminés, il put enfin faire vraiment connaissance des jeunes gens qui l’avaient aidé si efficacement. L’un d’entre eux en particulier lui semblait déjà connu. Où donc l’avait-il déjà rencontré ? Rav Mendel Gurewitz lui demanda d’où il venait.
- Je m’appelle Babi Yar et je suis originaire de St-Pétersbourg !

(Note de l’auteur : de nombreux étudiants de ce groupe de St-Pétersbourg assistèrent au mariage de Babi Yar à Brooklyn il y a deux ans).

David Zaklikowski
www.chabad.org
traduit par Feiga Lubecki