Samedi, 21 mai 2016

  • Emor
Editorial

 Entre hier et demain

Compter les jours qui passent, en d’autres termes le temps, est une activité bien étonnante. Certes, il s’agit, dans la période courante, de la pratique d’un commandement déjà abordée dans ce même cadre, celui de l’Omer. Pourtant, ce fait ne retire pas une impression étrange. Compter les jours comme s’il s’agissait de ne pas laisser s’écouler une chose infiniment précieuse sans en avoir conscience. Comprendre que le simple déroulement du temps constitue un événement quasi bouleversant, que seule l’habitude nous fait considérer avec indifférence. Nos Sages l’ont dit avec force : le temps peut être «une perte impossible à rattraper.» Il faut donc sans doute apprendre à le considérer autrement que comme une poignée de sable s’échappant d’une main ouverte, plutôt comme un élément essentiel et sensible dont il importe de se saisir.

Dans la conscience humaine, le temps se divise en trois grandes parties : l’hier, l’aujourd’hui et le demain. C’est là une idée précieuse car elle nous inscrit dans une continuité et, nous plaçant en perspective, nous permet de jouer pleinement notre rôle. Toutefois, cette conception, aussi juste soit-elle, a un côté quelque peu anesthésiant. Elle peut conduire à se rassurer quant à ses propres insuffisances. On pourra se dire qu’hier était mieux ou moins bien qu’aujourd’hui ou encore que demain sera un autre jour et que, jamais, il n’existe de réelle urgence ni de nécessité immédiate. Il faut aussi pour cela compter le temps. Il faut être pénétré de l’idée que, dans notre champ de vision, seul existe l’aujourd’hui, plus encore que le jour, l’instant qui passe. Et c’est à chacun de lui donner vie, chaleur et enthousiasme.

Le temps est véritablement un don Divin, il nous permet de changer tout au long de son cours. C’est que, parfois, l’existence apparaît terne et monotone, avec son rythme si régulier. Voici le moment de faire de chacune de ses secondes une découverte inespérée, de regarder celle où l’on entre avec l’émerveillement des explorateurs abordant une terre nouvelle, avec toute la joie des matins du monde. C’est là une sorte de secret pour réaliser dès à présent les conditions de la liberté ultime, celles de la venue de Machia’h.

Etincelles de Machiah

 Vers le repos et la sérénité

La Délivrance est appelée «jour tout entier Chabbat et repos pour l’éternité». Quel est le sens de cette expression ?

La situation d’exil est l’opposé absolu du repos et de la sérénité des Juifs. C’est ainsi que le verset l’exprime : «Malheur aux enfants qui ont été exilés de la table de leur Père !» La Délivrance constitue au contraire, par l’annulation de l’exil, l’établissement de ce repos.

A ce moment s’effaceront les tribulations matérielles de l’exil mais aussi celles, spirituelles, de « l’exil intérieur » qui perturbe le service de D.ieu.

(D’après un commentaire du Rabbi – 5 Sivan 5751) 

Vivre avec la Paracha

 Emor

Résumé :

La Paracha Emor («Dis») commence avec les lois particulières relatives aux Cohanim «les prêtres»), au Cohen Gadol («Grand Prêtre») et au service du Temple. Un Cohen n’a pas le droit de se rendre rituellement impur par le contact avec un corps mort, sauf lors de la mort d’un parent proche. Un Cohen ne peut épouser une femme divorcée ou une femme au passé léger. Un Cohen Gadol ne peut se marier qu’avec une jeune fille qui n’a jamais été mariée. Un Cohen atteint d’une difformité ne peut servir dans le Temple, pas plus qu’un animal difforme ne peut être apporté en offrande.

Un veau, un chevreau ou un agneau nouveau-nés doivent être laissés auprès de leur mère pendant sept jours avant de pouvoir servir d’offrande. On n’a pas le droit d’abattre le même jour un animal et ses petits.

La seconde partie de la Paracha fait la liste des célébrations de sainteté annuelles : les fêtes du calendrier juif, le Chabbat hebdomadaire, l’offrande de l’agneau pascal, le 14 Nissan, la fête des sept jours de Pessa’h commençant le 15 Nissan, l’offrande du Omer de la première récolte d’orge, à partir du deuxième jour de Pessa’h, et le commencement, en ce même jour des 49 jours du décompte du Omer, culminant avec la fête de Chavouot, le cinquantième jour ; un «rappel du son du Choffar», le premier Tichri ; un jeûne solennel, le 10 Tichri ; la fête de Souccot durant laquelle nous devons résider sept jours dans des Cabanes et prendre les «Quatre Espèces», à partir du 15 Tichri et la fête qui suit immédiatement, «le huitième jour» de Souccot (Chemini Atsérèt).

La Torah évoque ensuite l’allumage de la Menorah dans le Temple et les «pains de présentation» (lé’hèm hapanim), placés chaque semaine sur une table qui s’y trouvait.

Emor se conclut avec l’incident d’un homme exécuté pour blasphème et les punitions relatives au meurtre et aux blessures infligées à quelqu’un ou à la destruction de sa propriété (compensation pécuniaire).

 

La Paracha de cette semaine comporte une description des fêtes que D.ieu commande au Peuple Juif de célébrer. Cela commence par la fête de Pessa’h puisque c’est alors que le peuple devint une nation. La fête suivante qui est mentionnée est celle de Chavouot. Mais contrairement aux autres célébrations évoquées dans ce passage, aucune date spécifique n’est indiquée pour Chavouot. Au lieu de mentionner le jour où l’on devrait célébrer la fête, la Torah nous ordonne la mitsva du Compte du Omer et statue que le cinquantième jour du compte, Chavouot sera fêtée. (D’ailleurs, telle est l’origine du nom Chavouot. Ce mot signifie «semaines». Après sept semaines, quarante-neuf jours, le cinquantième jour sert de jour de fête).

Le Compte du Omer fait bien plus que remplir chronologiquement l’espace entre Pessa’h et Chavouot. L’impact spirituel de cette mitsva permet aux deux fêtes de se compléter. A Pessa’h, «le Roi des Rois, le Saint béni soit-Il, fut révélé» au Peuple juif. Cependant, ils n’étaient pas capables d’intérioriser cette révélation car ils étaient toujours souillés par l’impureté qui s’était attachée à eux, durant les années de l’exil égyptien. Comme le disent nos Sages, «Il fallut à D.ieu un seul instant pour sortir les Juifs d’Egypte mais quarante ans pour en extirper l’Egypte».

Bien plus encore, dans son sens profond, «extirper l’Egypte des Juifs», c’est-à-dire accomplir un raffinement spirituel, est un processus qui doit venir par leurs propres efforts et non par une révélation d’En Haut.

C’est cela qui définit la nature du service divin prescrit par le biais du Compte du Omer : raffiner et élever nos personnalités. Les quarante-neuf jours du Compte du Omer correspondent aux quarante-neuf dimensions de notre personnalité. (Selon la Cabbale, nos émotions se construisent à partir de sept qualités différentes. Elles s’entrelacent les unes avec les autres produisant un total de quarante-neuf. Le service divin du compte du Omer implique le fait de raffiner et développer chacun de ces potentiels).

La pensée ‘hassidique établit une organisation tout à fait différente des paramètres de cette tâche. Non seulement devons-nous abandonner nos traits de caractère indésirables et développer ceux qui sont positifs, mais nous devons également nous concentrer sur le fait de vaincre notre préoccupation fondamentale, la dimension de notre personnalité appelée yechout, l’égocentrisme. A ce point, nos émotions ne se focalisent plus sur «ce que je veux» et «ce que je sens» mais elles s’alignent sur les midot Elyonot, les qualités émotionnelles de D.ieu et les reflètent. Tel est le sens profond du terme sefirah. Il ne veut pas seulement dire «compte» mais signifie également «étinceler». Chacun a le potentiel de rayonner de la lumière de D.ieu.

Perspectives

La lecture de la Torah commence, cette semaine, avec l’injonction adressée aux Cohanim d’éviter l’impureté qui vient d’un contact avec un corps sans vie. L’impureté n’est pas le mal. Bien au contraire, enterrer un corps constitue une mitsva très importante et pourtant, celui qui le fait devient impur. Mais cela vient en résultat de la descente que subit l’humanité après le péché de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, le péché originel. Avant cette faute, l’homme devait vivre éternellement. L’âme et le corps auraient fonctionné dans une harmonie absolue. Cependant, ce délit eut pour conséquence le potentiel de la séparation de l’âme et du corps : la mort. Le vide créé par cette séparation est la source de l’impureté.

A l’Ere de la Rédemption, «Je ferai en sorte que l’esprit d’impureté quitte la terre» promet D.ieu. L’homme reviendra à une existence comparable à celle de l’Eden car dans le Futur Ultime, sera révélé le fait que le corps a une source spirituelle plus élevée que l’âme. Aujourd’hui, le corps prend sa vitalité de l’âme et meurt quand la connexion entre les deux est brisée. Dans le Futur Ultime, l’âme tirera sa vitalité du corps et appréciera la transcendance de D.ieu investie dans l’existence matérielle.

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que Lag Baomer (cette année jeudi 26 mai 2016) ?

Le 33ème jour du compte de l’Omer rappelle la Hiloula (décès) de Rabbi Chimone Bar Yo’haï qui avait demandé que cette date soit célébrée comme un jour de joie (puisqu’il y avait achevé de façon parfaite sa mission sur terre). Ce jour marque une pause dans la période de deuil instituée à cause d’une terrible épidémie qui avait frappé les disciples de Rabbi Akiba).

- On ne récite pas les prières de Ta’hanoune (supplications), même pas la veille.

- Nombre de gens ont la coutume de se rendre au tombeau de Rabbi Chimone Bar Yo’haï à Méron, près de Tibériade en Galilée ; on y procède à la première coupe de cheveux des garçons qui ont atteint l’âge de 3 ans depuis Pessa’h.

- On organise des réunions ‘hassidiques joyeuses.

- On a la coutume de manger des caroubes, en souvenir de ces fruits dont se nourrissaient Rabbi Chimone et son fils Rabbi Eléazar quand ils se cachaient dans une grotte pour fuir les Romains. Certains ont aussi la coutume de manger des œufs durs dont la coquille serait devenue marron durant la cuisson.

- On donne davantage de Tsedaka (charité).

- Les enfants sortent et défilent tous ensemble fièrement dans la rue avec des drapeaux et des pancartes les encourageant à étudier la Torah et accomplir les Mitsvot : le but de la descente de l’âme dans le corps est de « marcher », d’avancer dans la vie. Ces défilés donnent chaleur et vitalité à l’étude formelle et prolongent l’enthousiasme des enfants dans leur éducation.

- Lag Baomer est un moment propice pour prier pour la naissance d’enfants et leur bonne éducation.

(d’après Hamitsvaïm Kehala’ha)

Le Recit de la Semaine

 Un mariage bien mérité

En plus de mes nombreuses obligations communautaires, je m’intéresse beaucoup à l’éducation et j’aime parler aux enfants : leur raconter des histoires de nos Sages, les stimuler à avancer dans leur étude de la Torah avec enthousiasme et constater combien ils aiment étudier.

Un jour, en 2004, on me proposa de participer à la parade Loubavitch annuelle de Lag Baomer dans notre quartier de Boro Park, à Brooklyn. Celui-ci est peuplé principalement de Juifs ‘hassidiques mais, comme moi, pas spécifiquement Loubavitch. Je devais y prononcer un discours pour inspirer les enfants à accroître leur implication religieuse.

J’acceptai avec empressement car cette initiative du mouvement Loubavitch mérite d’être saluée et encouragée au regard de son influence positive indéniable. Cependant, certaines personnes de ma communauté me firent énergiquement comprendre que cela ne leur plaisait pas du tout. J’en discutai avec le Rav de ma synagogue, Rav Moché Wolfson qui insista au contraire pour que je participe à cette grande réunion qui plait tant aux enfants, aux parents, aux éducateurs, au Rabbi.

Un Chabbat, peu avant Lag Baomer, c’est tout un groupe de gens qui s’approcha de moi à la synagogue, en plein milieu de la prière en me sommant de sortir pour parler d’un «sujet important» : de fait, ils me menacèrent en termes explicites ! Si je persistais à vouloir participer à la parade, le résultat ne serait pas bon pour moi !

Imperturbable, je répondis fermement que je n’agissais qu’avec l’accord de mon Rav : si on avait quelque chose à me reprocher, il fallait intervenir auprès de lui ! En ce qui me concernait, je n’allais pas changer d’avis ! Quelles que soient les conséquences fâcheuses dont ils me menaçaient !

Effectivement, je prononçais un discours enflammé à la parade et je sus qu’on l’avait beaucoup apprécié. Cette journée de Lag Baomer fut très réussie, un véritable Kiddouch Hachem ! Les enfants étaient très heureux et profitèrent d’une très belle journée de détente, certainement avec la bénédiction de Rabbi Chimone Bar Yo’haï et du Rabbi.

Quant aux menaces dont j’avais fait l’objet, il ne se passa absolument rien ! Je ne perdis aucun ami et personne ne m’adressa le moindre reproche ou la moindre critique.

La même année, la veille de Roch Hachana, je me rendis avec mon fils au cimetière pour me recueillir sur la tombe de mes parents comme le veut la coutume. Alors que nous passions sur Springfield Boulevard, mon fils remarqua que nous étions tout près du Ohel, le cimetière Montefiore où repose le Rabbi. Comme mon fils ne s’y était jamais rendu, il me suggéra de m’y arrêter pour prier : bien sûr, un jour aussi propice que la veille de Roch Hachana, c’était là une excellente initiative pour lui et pour moi.

Quand nous sommes entrés dans la salle où chacun écrit ses requêtes sur un papier avant d’entrer vraiment dans le cimetière, je me souvins que j’avais effectivement un problème à soumettre au Rabbi. J’avais besoin de sa bénédiction : cela faisait déjà un an que nous recherchions un mari digne de notre fille. Nous avions reçu près de vingt-cinq propositions, toutes très intéressantes ; nous les avions étudiées attentivement une à une et, finalement, que ce soit de notre côté ou de l’autre côté, il n’en restait plus aucune !

La fête de Souccot approchait, les jeunes gens allaient rentrer de leurs Yechivot respectives et il était temps de prévoir une rencontre éventuelle. Donc avant d’entrer au Ohel, je rédigeais une petite note mentionnant notre «problème» et demandant une bénédiction rapide pour le régler le mieux possible. Je récitais plusieurs Tehilim, glissais quelques pièces dans la boîte de Tsedaka et suppliais intérieurement le Rabbi : je m’étais investi dans la parade de Lag Baomer pour l’honneur du Rabbi et je souhaitais de tout cœur que ma fille bâtisse enfin un foyer solide.

De retour à la maison, j’étais particulièrement épuisé et m’écroulais sur mon lit pour une courte sieste. A mon réveil, ma fille m’informa qu’Acher Hornig avait téléphoné : c’était un très bon ami qui s’asseyait à côté de moi à la synagogue. J’estimai que j’allais de toute manière le voir ce soir et qu’il n’était donc pas nécessaire de le rappeler de toute urgence avant la fête.

A 17 heures, il rappela. Haletant, il m’informa tout de go qu’il avait pensé à une très bonne suggestion de Chidou’h (rencontre pour un mariage) pour ma fille. Il insista pour que je me renseigne le jour-même et ne pas attendre après la fête. Il s’agissait de Yits’hak Meir Horowitz, le fils d’un de nos associés communs. Pour une raison mystérieuse, je n’y avais jamais pensé !

Bien que l’idée me semblât excellente, je ne pouvais pas comprendre ce qui l’avait incité à considérer l’affaire de façon si urgente. Quand je le lui fis remarquer, il répondit que lui-même ne pouvait pas se l’expliquer mais depuis le moment où cette idée lui avait traversé l’esprit, il avait ressenti un besoin impérieux de m’en faire part le plus rapidement possible, avant que ne commence la nouvelle année.

Encore impressionné par ce qui arrivait, j’en parlai à mon épouse et nous avons décidé de nous renseigner au plus vite après la sortie de la fête ou même discrètement à la synagogue. Effectivement, les rencontres entre les deux jeunes gens se déroulèrent immédiatement après la fête et, à Hol Hamoèd Souccot, notre chère fille se fiança.

C’est alors que je fis le rapprochement : le premier coup de téléphone d’Acher Hornig s’était produit à peine une heure après que j’ai prié au Ohel ! Certainement ce Chidou’h avait été inspiré directement par la bénédiction du Rabbi ! Certainement le Rabbi voulait ainsi me remercier d’avoir tenu bon et d’avoir participé, dans une modeste mesure, à la parade de Lag Baomer.

D.ieu soit loué, le jeune couple est marié maintenant depuis dix ans et, avec leur merveilleuse famille, ils sont pour nous une source continue de satisfactions ‘hassidiques.

Rav Leibish Langer – A Chassidisher Derher

Traduit par Feiga Lubecki

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