Compagnons de route
Les amateurs de randonnée le savent. Dans tous les longs parcours, connaître l’itinéraire, ou, en d’autres termes, le plan d’avancée, est essentiel. Ils savent aussi que le chemin est fait d’étapes diverses et que, parfois, les réalités rencontrées sont profondément différentes. C’est dans un voyage de ce type que nous sommes aujourd’hui engagés. De fait, depuis le début de la fête de Pessa’h, nous sommes entrés sur le sentier d’un temps plus complexe qu’à l’accoutumée, comme marqué par des caractères opposés : l’Omer et son décompte ont commencé. D’une part, c’est l’époque de l’impatience qui mène de la sortie d’Egypte au Don de la Torah. Une impatience doublée d’une élévation spirituelle progressive qui fait que chaque jour est différent de celui qui l’a précédé comme de celui qui le suivra. D’autre part, c’est un temps où la joie fait l’objet d’une retenue que le caractère jubilatoire de l’attente évoquée plus haut ne laissait pas prévoir. Souvenir d’un épisode tragique de l’histoire juive, rappel des méfaits de la désunion et du manque de respect de l’autre, un trait de gravité souligne donc les jours qui passent.
Il est ainsi demandé aux hommes de vivre, dans le même temps, sur deux plans comme si l’on pouvait aller sur deux routes à la fois. De fait, dans notre vie quotidienne, il existe souvent des situations ambivalentes du même type qui résistent à l’analyse rationnelle mais auxquelles nous parvenons à donner sens. Car, d’une certaine manière, l’enjeu de la création est là : à chacun de tracer sa propre voie et de choisir avec sagesse le but qu’il s’assigne.
La période de l’Omer est, pour cette raison, une invitation au grand voyage spirituel que constitue la recherche de la perfection. Elle indique un chemin qui donne à celui qui l’emprunte les moyens de progresser, de degré en degré, jusqu’au moment indépassable du Don de la Torah et de la rencontre avec D.ieu lors de la fête de Chavouot. Ce n’est pas un temps ordinaire ni des jours anodins. Il y a là comme une palpitation d’infini dans l’existence de tous. Il revient à chacun de prendre la route qui s’ouvre. Elle nous mène jusqu’à la liberté absolue, couronnement de la Délivrance annoncée par les prophètes, que Machia’h nous apportera.
Au talon de Machia’h
Nous nous trouvons dans la période qui précède immédiatement la venue de Machia’h, dénommée celles du « talon de Machia’h ».
Le talon doit savoir qu’il est talon ; quel rapport y a-t-il entre le talon et la réflexion ? Le principal est l’action concrète !
D’après Séfer Hasi’hot 5698 p.8
Emor
La force de la parole
Le mot «Torah» est lié au mot «horaa – enseignement», car chacun de ses aspects et chacun de ses détails donnent aux Juifs une leçon pour leur service spirituel. Ces leçons s’appliquent toujours et partout. Bien sûr, cela est également vrai pour le nom des Sidrot de la Torah, noms établis selon la coutume juive, elle-aussi émanant de la Torah.
Il en va de même pour notre Paracha intitulée Emor. Bien qu’Emor («dis») se réfère à Moché relayant aux Cohanim, les prêtres, le message de D.ieu, nous comprenons que cette Paracha contient une leçon qui s’adresse à tous les Juifs.
Le mot Emor ne permet pas seulement l’acte de parole mais le commande. Bien plus encore, puisqu’aucune limite n’est donnée à la quantité de ces paroles, il est évident que cela concerne des mots si vertueux et exemplaires qu’ils ne sont en rien limités.
A quel style de paroles est-il ici fait allusion ? Il ne peut s’agir de paroles de Torah puisqu’ un tel discours possède son propre commandement : «Tu en parleras» (Devarim 6 :7)
Dans son commentaire sur le verset «Dis aux Cohanim…», le Midrach (Vayikra Rabbah, ch.26) statue : «Les paroles de D.ieu sont pures ; les paroles des êtres humains ne sont pas pures. Il est habituel que lorsqu’un roi de chair et d’os pénètre dans un pays, tous les habitants le louent. Le roi se réjouit de leurs louanges et leur promet «demain je construirai pour vous…». Puis le roi va dormir et ne se réveille jamais. Où est-il et où sont ses paroles ?
Mais D.ieu n’est pas ainsi. Au contraire, «l’Eternel D.ieu est vrai» (Yirmiyahou 10 :10). Pourquoi est-Il vrai ? Rabbi Avin dit : «Parce qu’il est un D.ieu vivant et un Roi éternel.»
Puisque le Peuple Juif est «vivant» parce qu’il s’attache à D.ieu, «Et vous (le Peuple Juif) qui vous attachez à l’Eternel votre D.ieu êtes vivants aujourd’hui», l’on peut bien comprendre que les Juifs sont capables de se dire les uns aux autres «des paroles pures» qui se réaliseront très certainement.
Bien plus, puisque «les Justes sont semblables à leur Créateur», il s’ensuit que tout comme les paroles de D.ieu sont efficaces (le monde a été créé par Sa parole), les paroles des Justes peuvent, elles aussi, permettre à certaines choses de se réaliser.
Nous saisirons mieux à quel type précis de discours cela se réfère en notant que le Midrach, que l’on a précédemment cité, s’achève par une déclaration sur l’effet particulièrement dévastateur du lachone hara, la médisance, qui «tue trois personnes : celui qui parle, celui qui écoute et celui dont on parle».
Il est donc bien clair que les belles et bonnes paroles à propos desquelles la Torah exhorte «Emor», «parle» et «dis», sont l’antithèse absolue du lachone hara. Elles concernent donc le fait d’exprimer et de déclarer des louanges à l’égard d’autrui. Un tel discours, outre le fait d’être louable en soi, est aussi très productif car les mots eux-mêmes ont un effet positif.
L’on comprendra mieux si l’on se penche un instant sur ce que l’on a affirmé à propos du lachone hara.
L’on peut comprendre qu’il ait un effet profondément négatif sur celui qui parle et sur celui qui écoute. Après tout, ils se sont adonnés à une occupation que nos Sages comparent à la combinaison des péchés de «l’idolâtrie, l’inceste et le meurtre».
Mais qu’en est-il de celui que l’on calomnie ? De quoi est-il coupable, d’autant qu’il n’a pris aucune part au péché. Pourquoi devrait-il, lui, en souffrir ?
En voici l’explication. La parole est le processus qui dévoile des informations, divulguant verbalement ce qui était précédemment caché. Ce processus d’exposer notre propre intériorité en exprimant nos pensées est parallèle à l’effet que nous avons sur les autres, par le simple fait d’en parler.
Aussi, quand les mots révèlent quelque chose de mal sur quelqu’un, ont-ils la capacité de causer un mal spirituel à cette personne. Si ce mal n’avait pas été révélé par les mots, il serait resté en sommeil et n’aurait pas suscité de conséquences désagréables.
Si le fait d’évoquer les défauts et les failles d’autrui lui fait du mal, il est sûr qu’en dire les qualités et les mérites influence celui dont on parle, donnant plus de vigueur et de vitalité à son service spirituel.
Parler positivement de quelqu’un le fait agir positivement.
Le fait même d’attribuer des raisons positives à quelqu’un qui fait preuve, sous nos yeux, d’un comportement discutable, permet l’expression d’un bien inhérent et encore silencieux, en lui, et développe son aptitude morale à s’élever et à se conformer aux bonnes paroles que l’on a prononcées.
L’essence de l’homme est faite d’une masse d’émotions conflictuelles et non réalisées. Donner un élan positif, en éveillant les qualités insoupçonnées mais présentes chez lui, peut avoir un effet remarquable.
Telle est la leçon du titre Emor : «Parle ! Parle positivement des autres. Permets à tes mots d’affecter le monde et permets aux autres d’être affectés par tes paroles et d’être ceux que tu décris si positivement parce que tu crois en eux !»
Qu’est-ce qu’un Gema’h, caisse de prêts ?
C’est une plus grande Mitsva de prêter de l’argent que d’en donner.
Il est interdit de demander un intérêt lorsqu’on prête de l’argent à un autre Juif.
Il est particulièrement recommandé de prêter de l’argent à celui qui en a besoin pour éviter la faillite. On peut prêter de l’argent à quelqu’un de riche mais on prêtera de préférence à un pauvre, même si le riche fait partie de la famille.
Chaque communauté mais aussi chaque institution, chaque école et même chaque classe devraient instituer une caisse de prêts afin d’aider ses membres.
La Mitsva de prêter de l’argent n’intervient que si on est sûr de pouvoir récupérer cet argent. Si l’emprunteur est connu comme quelqu’un en qui on ne peut pas avoir confiance, on peut exiger des garants. Si malgré les garants, on a des raisons de se méfier, les administrateurs de la caisse peuvent refuser le prêt car ils sont responsables de sa bonne gestion qui doit être utile à tous ses membres qui en auraient honnêtement besoin. Dans ce cas-là, le responsable ne devrait pas mentir (en prétextant par exemple qu’il ne dispose pas de la somme demandée) mais plutôt remettre à plus tard l’obtention du prêt. Si cela s’avère inefficace, il est permis de mentir plutôt que de risquer des rancœurs et des haines au sein du peuple juif. On préférera prétendre par exemple que l’argent n’est pas disponible pour le moment ou qu’il est nécessaire pour des besoins plus urgents etc.
F. L. (d’après Rav Yossef Ginsburgh)
Une demande par la pensée
L’avion de Gibraltar venait de se poser à Londres et Michaël s’apprêtait à poursuivre sa route vers New York, chez le Rabbi de Loubavitch. A cette époque – 1981 – Michaël avait l’habitude de téléphoner au Rabbi avant chaque voyage afin que celui-ci se passe sans incident. Il profita donc de l’escale à Londres pour appeler le secrétariat du Rabbi.
Le secrétaire répondit que dans quelques minutes, il entrerait dans le bureau du Rabbi et, à cette occasion, demanderait une bénédiction pour Michaël. Il conseillait donc à son interlocuteur de le rappeler d’ici vingt minutes pour obtenir peut-être une réponse.
Une demi-heure plus tard, Michaël rappela le secrétariat : «Le Rabbi vous accorde sa bénédiction pour que le voyage se passe bien mais a également demandé des nouvelles de votre sœur !»
Cette question était étonnante. Cela ne faisait que quelques heures que Michaël avait quitté Gibraltar et tout allait bien dans sa famille : «Je n’ai qu’une sœur, rappela-t-il au secrétaire ; elle va bien et s’est mariée l’année dernière. Je n’ai aucune idée pourquoi le Rabbi me demande de ses nouvelles ! Je n’ai jamais demandé au Rabbi une bénédiction en ce qui concerne sa santé !»
Le secrétaire l’écouta attentivement mais lui conseilla néanmoins de téléphoner à sa famille à Gibraltar.
Quand Rav Michaël Hazan - qui est maintenant responsable d’une Yechiva à Monsey, à côté de New York – raconte cette histoire, il revit en tremblant l’étonnement mais surtout l’inquiétude qui s’étaient emparées de lui à ce moment-là…
Gibraltar – la couronne du gouvernement britannique, tout au sud de l’Espagne – abrite une communauté juive florissante : synagogues, écoles juives, commerces cachères… mais pas encore de Yechiva, d’institut talmudique de haut niveau. Les jeunes gens désireux de compléter leurs connaissances sont obligés de s’exiler dans d’autres pays.
C’était pour cela qu’en 1977 Michaël s’était inscrit à la Yechiva de Morristown dans le New Jersey. Là, il avait appris à connaître le mouvement Loubavitch et à apprécier l’étude de la ‘Hassidout. Comme il n’existait pas encore de ligne directe entre Gibraltar et New York, il était obligé de faire escale à Londres.
Bien entendu, le fait que le Rabbi insiste pour avoir des nouvelles de sa sœur poussa Michaël à lui téléphoner à Gibraltar. Mais personne ne répondait de l’autre côté de la ligne. De plus en plus inquiet, il appela ses parents mais là aussi, personne ne répondait.
Nerveusement, il composa un numéro puis l’autre sans succès jusqu’à ce qu’il soit obligé de monter dans le second avion.
En arrivant à New York, il s’empressa de récupérer ses bagages et sauta dans un taxi vers le 770 Eastern Parkway, la synagogue du Rabbi. Il rencontra le secrétaire qui s’apprêtait justement à entrer à nouveau dans le bureau : «Je vais signaler au Rabbi que vous êtes bien arrivé» promit-il.
Une heure plus tard, il rencontra à nouveau le secrétaire : «Je vous cherchais justement, s’écria-t-il. Quand j’ai mentionné votre nom devant le Rabbi, il a tout de suite rétorqué : ’Et comment va sa sœur ?’»
Michaël se remit immédiatement à téléphoner à Gibraltar. Maintenant, il était vraiment fou d’inquiétude. Sa sœur ne répondait pas mais il parvint à joindre sa mère.
Avant même qu’il ait pu lui expliquer que le Rabbi avait par deux fois demandé des nouvelles de sa sœur, elle lui raconta que juste après son départ le Gibraltar, sa sœur avait été conduite d’urgence dans la salle d’accouchement, apparemment bien avant le terme prévu. Bien vite, son était s’était compliqué : elle avait plusieurs fois perdu connaissance, elle avait perdu beaucoup de sang et les médecins craignaient même pour sa vie.
En entendant cela, Michaël se hâta d’interrompre la conversation et courut trouver le secrétaire pour lui expliquer la situation et demander une bénédiction au Rabbi. Quelques instants plus tard, le secrétaire revint avec une nouvelle rassurante : «Le Rabbi dit qu’il ne faut pas s’inquiéter et qu’avec l’aide de D.ieu, tout se passera bien !»
Michaël rappela sa mère pour lui annoncer ce qu’avait dit le Rabbi. Bien entendu, en entendant cela, toute la famille fut soulagée et les jours qui suivirent se passèrent dans l’optimisme et la confiance. Effectivement, de façon tout à fait miraculeuse, la sœur de Michaël se rétablit progressivement.
Dès qu’il eut l’occasion de lui parler au téléphone, il lui raconta comment le Rabbi s’était par deux fois inquiété de son sort sans que quiconque ne lui ait signalé le problème. Elle éclata en sanglots – des larmes de joie ! – et raconta ce qui lui était arrivé.
Quand elle avait senti ses forces l’abandonner, elle avait tenté de demander à sa mère – qui se tenait anxieusement à ses côtés – de contacter Michaël pour qu’il demande une bénédiction au Rabbi. Mais sa faiblesse était telle qu’elle n’avait pu sortir un mot de sa bouche. En constatant qu’elle essayait de parler, sa mère lui avait recommandé de se reposer et de ne pas se fatiguer à parler.
Dans l’impossibilité de se faire comprendre, la jeune femme avait refusé de se décourager et, dans son esprit, se représentait le visage du Rabbi. Comme dans un rêve, elle avait demandé : «Une bénédiction pour Ruth, fille de Sim’ha, pour une guérison complète !»
Et c’est justement à ce moment-là, quand Michaël avait téléphoné depuis Londres au Rabbi que celui-ci avait demandé des nouvelles de sa sœur…
Arié Samit - Kfar Chabad – Sichat Hachavoua traduit par Feiga Lubecki