Semaine 19

  • Emor
Editorial
Une Terre pour un Peuple
Tous les peuples, tous les hommes ressentent un attachement particulier avec la terre où ils sont nés. Tous éprouvent pour le lieu de vie qui a été celui de leur naissance, dont les paysages ont entouré leur enfance, un amour qui ne peut se comparer qu’à celui que l’enfant porte à ses parents. Ceux-ci l’ont mis au monde, celui-là a été la première vision qu’il lui a été donné d’en avoir. Les Juifs ne font pas exception à cette humaine règle. Dans tous les pays de leurs résidences, ils respirent l’air qui les fait vivre, admirent les couleurs qui les entourent et s’émeuvent de toutes leurs nuances, partagent les espoirs et les craintes de leurs concitoyens, œuvrent avec eux pour la prospérité générale et le bien de tous. Quoi de plus naturel ? Mais, et c’est sans doute là leur éternelle originalité, ils sont porteurs d’un rêve ou mieux, d’une vision.
Leur vision est née au matin du monde, lorsque D.ieu promit à Abraham, le premier de leurs ancêtres, qu’Il donnerait une terre à ses descendants et que cette terre, différente, deviendrait la Terre Sainte d’un Peuple Saint : la Terre d’Israël. Depuis lors, les Juifs ont beaucoup vécu. Ils ont connu les temps de calme et ceux de tempête, les temps d’abondance et ceux de disette, les temps de bonheur et ceux de détresse. La vie a conduit certains d’entre eux dans ces pays où la neige tombe vite et dure longtemps tandis que d’autres allaient vers les contrées où le soleil illumine un ciel perpétuellement d’azur. Mais, de près ou de loin, les Juifs ont continué, génération après génération, jour après jour, à garder en cœur et en tête, cette vision inchangée : une terre qui s’étend sous un ciel familier, une terre dont tous les noms résonnent comme des connaissances anciennes et jamais vieillies, une terre de plaines et de collines, que la mer vient caresser, et qui semble posséder une âme à part. Leur Terre.
«Les yeux de D.ieu y sont posés du début à la fin de l’année» proclame le texte biblique. Elle est «le palais du Roi» répondent les Sages. Et le peuple juif de vibrer avec elle. Il sait que cette terre lui appartient pour toujours, qu’elle recèle les trésors de son passé, détient bien des merveilles du présent et garde les clés de l’avenir ; elle est Terre d’éternité. Elle est cette Terre qui, en son cœur, porte Jérusalem. Un lieu choisi par D.ieu pour Sa « demeure » dans ce monde.
Les visions ont toujours un caractère merveilleux. Elles accompagnent sans cesse celui qui les accueille. Celle-ci est aujourd’hui avec nous, en nous. Et si tout commençait à présent ? Le nouveau temps que le Messie nous apportera est-il autre chose que la concrétisation suprême de cet héritage ? Et sa venue ne dépend-elle pas que de nos actions ? Dès ici et maintenant.
Etincelles de Machiah
Juste un petit moment
Isaïe annonce, dans sa prophétie (54 : 7), le temps de Machia’h. S’adressant au peuple juif, D.ieu affirme dans ce texte : «Pour un petit moment, Je t’ai abandonné et, avec une grande miséricorde, Je te rassemblerai». Il semble pourtant que l’exil a duré bien plus longtemps qu’un simple «petit moment» ?
C’est que, lorsque Machia’h viendra et que la miséricorde divine se manifestera aux yeux de tous, chacun verra que tout le temps de l’exil n’aura finalement été qu’un «petit moment».
(d’après Séfer Hamaamarim 5700, p. 10) H.N.
Vivre avec la Paracha
Emor : une lumière qui inspire

Qu’arrive-t-il quand un sage parle ?
Le Rambam écrit : «tout comme un sage se reconnaît par sa sagesse et ses traits de caractère, car dans ces domaines, il se tient à l’écart du reste des gens, ainsi également doit-il se reconnaître par sa conduite.»
L’intention du Rambam est de nous transmettre que l’approche juive de la connaissance est bien plus que théorique. Il faut donc que les connaissances que possède un individu forgent son caractère et, ce qui est encore plus important, influencent son comportement. C’est en cela qu’il se distingue comme sage.
Parmi les types de conduite que le Rambam décrit comme appropriées pour un homme sage, se distingue le raffinement dans la parole. Il continue dans ces termes : «un érudit en Torah ne doit pas crier ou hurler quand il parle… Mais il doit parler gentiment à tout le monde… Il doit juger chacun à une lumière favorable, disant les louanges de ses collègues ne mentionnant jamais contre eux quelque chose qui leur ferait honte.»
La terminologie employée par le Rambam : «juger… à une lumière favorable» et «ne mentionnant jamais quelque chose qui leur ferait honte», implique qu’il se peut qu’un érudit voit des fautes dans le caractère de son collègue. Mais même le cas échéant, il «fera sa louange». Quand il s’adresse à lui en privé, il peut patiemment et gentiment lui reprocher sa conduite. Mais quand il s’adresse aux autres et quand il pense à lui en son for intérieur, il doit le faire d’un point de vue positif et favorable.
Il ne s’agit pas seulement du reflet du propre raffinement de l’érudit. Mais en soulignant constamment les aspects positifs des qualités de l’autre, il encourage réellement leur expression. Car la pensée et la parole peuvent apporter des changements tangibles à notre monde. C’est d’ailleurs pour cette raison que le Maguid de Mézéritch prononçait, de temps à autre, des concepts qu’il savait pertinemment inaccessibles à son auditoire. Son intention était d’ «attirer l’idée dans notre monde» de sorte qu’elle pût, plus tard, être compréhensible par d’autres.
Prenons pour exemple un concept similaire dans le domaine des relations humaines. Nos Sages statuent que le Lachon Hara (paroles de médisance) tue trois personnes : celui qui le prononce, celui qui l’écoute et celui dont on parle. Nous pouvons aisément comprendre que de tels propos affectent celui qui en est la source et celui qui les écoute, tous deux prenant part à une faute que nos Sages considèrent équivalente aux effets combinés de l’idolâtrie, du meurtre et de l’adultère. Mais pourquoi la personne à propos de laquelle des ragots ont été rapportés serait-elle affectée ? Elle n’a pas pris part à la transgression !
Pour le comprendre, il peut être avancé que parler des défauts d’une personne ravive leur expression. Bien qu’il se puisse que cet individu ne soit pas conscient du fait qu’on parle de lui, le fait qu’on puisse discuter des défauts de son caractère réveille la révélation de ces traits. Si l’on n’avait pas parlé de ces fautes, il est probable qu’elles seraient restées cachées.
La sentence : «les attributs positifs sont plus puissants que les attributs de châtiment» et des concepts similaires s’appliquent au fait de parler positivement des traits de caractère d’une personne. La mention constante du bien que possède une personne, et à l’intérieur de tout être il existe des trésors cachés de bien, rend plus facile l’expression de ce bien dans la conduite individuelle.

Un commandement de parler
Les idées dont on vient de parler ont une relation avec notre Paracha appelée Emor. Emor est un commandement nous enjoignant de parler. Dans le contexte de la lecture de la Torah de cette semaine, ce commandement possède une application immédiate : celle de communiquer les lois relatives à la prêtrise. Néanmoins, le fait que ce terme soit utilisé comme nom pour la Paracha indique qu’il renferme une signification plus large : l’homme doit parler.
(Le lien de la Paracha avec des paroles adéquates est également souligné par sa conclusion de l’épisode du blasphémateur qui fournit un exemple de l’approche inverse. De plus la Paracha Emor coïncide toujours avec le compte du Omer et partage donc également en cette occurrence un lien avec des paroles correctes car cette période est marquée par des coutumes de deuil pour la mort des élèves de Rabbi Akiva. Nos Sages expliquent que la source spirituelle de la plaie qui les tua était leur inaptitude à se respecter mutuellement et le Lachon Hara qu’ils prononçaient.)
Et pourtant, nous rencontrons ailleurs les conseils de nos Sages : «Parle peu…» et «Je… n’ai rien trouver de mieux pour une personne que le silence» impliquant donc que la parole excessive est indésirable. Nous ne pouvons non plus affirmer que le terme Emor se réfère au fait de prononcer des paroles de Torah car à ce propos existe un commandement explicite : «et tu en parleras», nous encourageant à abonder dans les mots de la Torah. Emor concerne plutôt le fait de parler des qualités de nos prochains, comme cela a été expliqué plus haut.

Apprendre avec la lumière
Nos Sages associent le commandement Emor avec l’obligation du ‘Hinou’h, l’éducation des enfants, commentant :
[Il est écrit :] «Parle» et [il est écrit] «dis-leur». [Pourquoi la répétition dans le même verset ?] Pour mettre en garde les parents concernant leurs enfants…
Lehazhir, le mot hébreu traduit par «mettre en garde» partage la même racine que le mot Zohar, qui signifie «rayonnement». Cela nous enseigne une leçon fondamentale concernant l’éducation : elle doit se caractériser par une lumière rayonnante. En général, deux approches sont tentées pour persuader les enfants de rejeter un comportement indésirable : mettre l’accent sur sa bassesse ou montrer une alternative positive. Lehazhir souligne l’importance de répandre la lumière, car «une petite lumière repousse beaucoup d’obscurité» et en répandant la lumière, on allume la lumière intérieure que possède chacun.

La lumière amène la lumière
Le concept qui précède possède aussi une signification plus profonde. Dans son sens complet, le ‘Hinou’h de nos enfants, et par extension de tous ceux que l’on influence, ne doit pas être considéré comme une obligation qui dépasse notre propre service divin, comme une autre tâche à accomplir, mais comme une émanation naturelle de ce service.
Quand le service divin de l’individu atteint un sommet parfait, et en s’attachant à Ahavat Israël et A’hdout Israël (l’amour et l’unité du Peuple Juif) il se joint aux autres, son contact avec eux permet et accélère leurs progrès personnels. La lumière qui émane de sa conduite illuminera et éduquera tous ceux avec lesquels il entrera en contact.
Et cet allumage de lumière par la lumière nous conduira à l’ère où «le Sage brillera comme la splendeur du firmament» et «Israël… quittera son exil avec miséricorde».
Le Coin de la Halacha
Qu’est-ce que Kiddouch Levana, la sanctification de la lune ?

Les hommes récitent la prière de Kiddouch Levana jusqu’au quinzième jour après le «Molad», le moment exact du renouvellement de la lune, indiqué dans les calendriers hébraïques. Selon la Kabbala, il est préférable de ne la réciter qu’après le septième jour suivant le «Molad».
Il est préférable de la réciter en groupe, avec autant de gens que possible, mais au moins avec une autre personne.
Dans la plupart des livres de prières, le Kiddouch Levana se trouve juste après la Havdala, la cérémonie marquant la sortie du Chabbat car c’est souvent à ce moment-là qu’on la récite, quand on est encore revêtu des habits de Chabbat, ce qui ajoute à la solennité du moment.
On récite cette prière dehors et non sur un balcon recouvert. On ne la prononce que si on voit bien la lune, c’est-à-dire qu’elle n’est pas recouverte par les nuages.
Un des versets récités dans cette prière est tiré du «Cantique des Cantiques» : «La voix de mon fiancé ! Le voici qui arrive, sautant au-dessus des montagnes, au-dessus des collines». Le Yalkout Chimoni commente : «La voix de mon fiancé : c’est le Machia’h. Il vient dire au peuple juif : vous serez délivrés ce mois-ci !»
Que D.ieu fasse que Machia’h saute au-dessus de tous les obstacles qui empêchent la délivrance et qu’Il permette à cette promesse d’être réalisée ce mois-ci !

F. L. (d’après Rav Shmuel M. Butman)
De Recit de la Semaine
Des lanières de cuir noir

- Mais que fait ce gars-là ? demandai-je, ahuri, la première fois que j’ai vu quelqu’un qui mettait les Téfilines.
Je me trouvais dans une conférence juive sur l’environnement, durant ma première année d’université. A cette époque de ma vie, j’habitais dans une petite cabane en bois, perchée sur une colline, dans un endroit appelé «La Vallée de l’Arc-en-ciel», à une heure de la ville nommée Eugene dans l’Orégon. J’avais réussi à programmer tous mes cours le mardi et le jeudi, ce qui m’évitait de me rendre trop souvent en ville. Je passais le reste de mes journées à randonner, espérant seulement me trouver au bon endroit quand le soleil percerait à travers les nuages.
Comme je commençais à m’intéresser à mes racines juives et que, de plus, je m’astreignais à vivre bio et écolo, une conférence juive sur l’environnement me semblait particulièrement intéressante. J’étais donc assis au fond de l’auditorium et demandais à la personne assise à côté de moi ce que faisait ce jeune homme avec ses lanières de cuir noir pendant le long de son corps.
- Que voulez-vous dire ? demanda-t-il, étonné de mon étonnement.
Je jetai à nouveau un coup d’œil sur l’individu qui mettait les Téfilines. Mon système de pensée végétarien se hérissait en le voyant arborer un «équipement» en cuir au sein d’une conférence consacrée à l’écologie. Je le regardai quand il ne regardait pas autour de lui, évitant de croiser le regard d’un homme qui commettait un impair, comme s’il s’était rendu en pyjama dans une réception où le smoking était de rigueur.
- Mais que fait-il donc ? murmurai-je à nouveau à l’oreille de mon voisin ; persuadé qu’il partagerait mon incompréhension.
- Vous êtes sérieux ? répondit-il.
Je sentais que c’était moi qui n’avais rien compris…
- Ce sont des Téfilines ! finit-il par lâcher, sur un ton d’évidence qui me fit me sentir encore davantage mal à l’aise.
Balbutiant des excuses, prétextant que je devais aller saluer un ami, je sortis de la conférence en me répétant mentalement «To-Fill-Ine-To-Fill Ine…» afin de ne pas oublier ce mot étrange.
Mais qu’est-ce que c’est ?
Assis dans la position du lotus dans ma baraque forestière, j’étudie des livres sur le judaïsme que j’ai empruntés à la bibliothèque la veille. Il en résulte que le port des Téfilines est une ancienne pratique juive et je découvre que les lanières n’ont comme fonction que d’accompagner des boîtiers noirs. Ceux-ci sont la partie principale puisqu’ils contiennent de petits rouleaux de parchemin sur lesquels sont inscrits divers versets de la Torah, à propos des Téfilines justement. Ces boîtiers sont placés sur la tête et sur le bras gauche, proche du cœur, afin de symboliser l’union du cœur et de l’intellect à laquelle l’homme doit aspirer quotidiennement.
Réalisant que j’ignorais tout des Téfilines jusqu’à maintenant, je compris que, de fait, j’ignorais même tout du judaïsme. A quoi m’avaient donc servi toutes les heures passées sur les bancs du Talmud Torah, le dimanche matin ? Cette révélation était en même temps amusante et dérangeante. C’est ainsi que les Téfilines m’éloignaient progressivement d’un genre de vie et me liaient à un autre, m’enveloppant avant même que je ne commence à les envelopper autour de ma tête et de mon bras.
Bien que je ne puisse pas me procurer une paire de Téfilines là où je vivais, je me mis à prier chaque jour de la seule manière dont on peut le faire : religieusement. Tandis que mes investigations à propos des Téfilines me menaient à explorer et à pratiquer d’autres aspects de la vie juive, je me transformai graduellement : de quelqu’un qui refusait la routine et les emplois du temps forcé, je devins quelqu’un qui prenait plaisir, qui voyait un but dans ce recadrage.
Mes journée passées à errer dans les bois furent remplacées par une étude organisée et une observance minutieuse des rites et de leur timing.
Un philosophe a un jour remarqué : «Nous ne voyons pas le monde tel qu’il est, nous le voyons tel que nous sommes». Ma vie avait progressivement changé. Au lieu de considérer la routine comme un carcan, je commençai à la voir comme un cadre. Au lieu de me laisser aller à suivre mes instincts et mes intuitions, je devins quelqu’un d’ordonné, le genre de croyant qui prie avant de manger.
Il m’a fallu plus d’un an depuis ce jour mémorable pour acheter mes propres Téfilines. Depuis, je les ai portés chaque jour de semaine, sans rater une seule fois cette chance qui m’a été accordée.
Et chaque fois que je me trouve dans une foule, à l’aéroport, dans un avion ou en train et que je mets les Téfilines, j’ai envie de déclarer aux gens qui me regardent avec curiosité et incrédulité : «Oui ! Vous pouvez me croire ! Je sais combien c’est important !»

Yerachmiel Galinsky
chabad.org.magazine
traduit par Feiga Lubecki